lundi 26 août 2019


NOUVELLES DE POLYNIES ÉDITION N°4
AUTOMNE 2019



ÉDITO
Beau Sang


Donc, la vie, il faudrait la gagner, gagnant-gagnant, au petit jeu de l’oie docile, au ras de l’existence, case étude de marché. « Gagner sa vie », la gagner peut-être, certainement, sur le dos de l’autre parce que l’époque le veut, précarités concurrentielles de bêtes à concours sans récompense, la gagner donc pour ne pas la perdre, comme d’autres. Gagner/Perdre. Il ne faudra pas compter sur les écrivains réunis en cette saison pour venir éclairer, de toute la lumière si désirée par ceux qui veulent faire disparaître la littérature et les variations imprévues de la vie, les jours vides et tout tracés d’un destin réussi. Avec eux, il s’agit d’une mise au secret, peu à peu dévoilée par le travail obstiné des mots, des pensées, des sensations. La complexité humaine se déséquestre ici, on n’y consigne pas des aspirations synthétisées pour un jour, − car un jour on sera grand, non ? c’est-à-dire dans le rang − trouver son habit bien emballé dans la naphtaline. Au contraire. Ils sont à nu, ils se livrent et s’exposent dans toutes leurs réalités, des plus évidentes aux plus ténébreuses, selon un mode de pensée subtile. Ils sont des étranges, des à l’écart, des boiteux, des inadaptés à la norme, des forcenés, des enfants, des beaux coléreux, des irritables. Car que se joue-t-il dans cette volonté de se tenir aux grands traits d’un individu, le pitch de soi, si ce n’est de le faire disparaître en tant qu’être sensible, donc variable, donc insaisissable, donc fuyant, et ainsi politique, révolutionnaire. « La sensibilité de chacun, c’est son génie », rappelait Baudelaire. Eux, ils frottent tellement la peau de leur langage, irritation, rougeurs, démangeaisons, irruptions et spasmes, vibrations, contre-indications existentielles, que leur génie intérieur surgit dans son intensité pour offrir des vœux et promesses de ressentir. On se trouve affectés de les lire. On s’en trouve modifiés. Une brèche s’ouvre, c’est une égratignure sur la peau où une goutte du sang de l’autre pointe, une lettre, une image, un geste, la sauvagerie de l’aléatoire. Non pas gagner ou perdre sa vie, mais la prendre comme une coupure, une effraction, en l’inventant, en cultivant l’effondrement du sens commun, en l’imaginant au futur, voilà ce que nous chuchotent Petit Garçon de Francesco Pittau, en cette association si juste du Grand Dehors Flou et du Grand Intérieur Fou, royaumes de l’imaginaire où le monde ne cesse de se réinventer grâce à une identité qui, elle, saisit la dépersonne pour mieux l’approcher, Zorroooo ! Zorroooo !; métamorphoses d’un devenir où hommes et bêtes se retrouvent corps-objets par l’insensé organisé et rappellent qu’on est bien peu de Chose, sauf à se rencontrer sur la grande scène de l’agora dans La Chose du MéHéHéHé de Sigrid Baffert, Tcha-koutcha d’urgence ; debout soudain sur la planche de Surf de Frédéric Boudet, malgré la peur et l’angoisse d’être, inspiration et aspiration, malgré le peu d’appétit suscité par un destin de BTS d’animateur de soirées en maison de retraite et les bras poilus des gardiens du désordre, éclipse et apparition, trouver la forme de son existence au point même de la révélation, il faut écrire sa putain de vie ! Écrire sa vie, lire, inventer un nouveau savoir-vivre, avoir lieu pour être. Goutte de sang coagulée.

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