jeudi 14 mars 2019

DANS LA CABANE PERCHÉE D’ÉMILE CUCHEROUSSET

Petite java littéraire autour d’une gueule grande ouverte sur la nourriture du récit, de danses avec la vie, de fesses déclouées par un vaste appel du courage, de pantoufles et d'un tomahawk, en marchant en écrivant de mots rythmés, de formes et de barèmes littéraires ou de l’art du conte bien compté. Rencontre(s) et bavardages avec un écrivain qui « passe beaucoup de temps assis sur son fauteuil à bascule » à inventer un monde à brandir collectivement


©Clémence Paldacci


Pombo était d’un naturel paresseux. Il passait son temps à rêvasser, les pieds bien au chaud dans ses pantoufles. Il s’installait sur son fauteuil à bascule devant sa maison et laissait son imagination faire le reste.

SURGI DE NULLE PART
En l'occurrence, ce texte est né avec le surgissement d'une phrase, qui d'ailleurs ouvre le récit : « Pombo était d'un naturel paresseux ». L'origine du texte du texte dépend donc de l'origine de cette phrase et, dans la mesure où elle m'est apparue subitement, sans crier gare, je serais tenté de dire que ce texte trouve son origine dans ce drôle de lieu qu'est nulle part...
La question de la nourriture jetée dans la fosse à histoire est compliquée à aborder, aussi, pour ma part. Dans la mesure où je ne mène pas de Grande réflexion sur un thème en particulier à traiter, que je n'écris pas de Grandes lignes au préalable, que finalement je me laisse embarquer au fil de l'histoire avec mes personnages, la façon dont je la nourris est très peu tangible. Il y a beaucoup de paramètres, à mon sens, qui rentrent en jeu en écrivant et tous doivent combiner pour faire s'élever la voix propre de l'histoire. Il y a les obligations du récit à respecter pour qu'il soit cohérent, le temps à maîtriser,  la place de la langue, des dialogues, du silence, de la sonorité des mots, de la musicalité globale du texte, de la musicalité propre à chacun des personnages. Je nourris le texte en orchestrant tout cela mais je n'ai pas de méthode particulière pour y arriver. Je ne cherche pas à y réfléchir, à proprement dit. Cela m'arrive à devoir le faire, pour X raisons, mais la majeure partie de la place prise dans mon travail d'écriture, l'est par l'improvisation. Alors dans ce cas-là, la nourriture apportée au récit reste bien mystérieuse.

Bien sûr, il ne prenait guère de risque à rester les fesses clouées à son fauteuil. D’aucuns diront qu’il ne se frottait pas à la vraie vie. Qu’il n’était qu’un fainéant et un peureux. Mais Pombo préférait faire l’économie des égratignures. Au moins, sur son rocking-chair, il était en sécurité.
Java voyait tout ça d’un drôle d’oeil. Contrairement à son ami, lui ne pouvait rester en place plus de deux minutes. Il lui fallait sans cesse caracoler à droite ou à gauche, revenir sur ses pas, et partir à la découverte du monde.


©Clémence Paldacci

le bruit de la terre qui tremble, LE BRUIT DE LA FÊTE ENDIABLÉE
Le récit s'ouvre donc ainsi : « Pombo était d'un naturel paresseux ». Pour moi il était évident qu'en nommant ainsi cet ours (car en le nommant il devint ours aussitôt), je ne l'affublais pas d'autres caractéristiques que celle de la paresse ou de l'oisiveté. Il y a dans la sonorité de son nom quelque chose d'inévitablement pataud, comme le bruit de la terre qui tremble sous les pas lourds d'une immense bestiole...
Je pense que Java est très vite arrivé sur le papier en guise d'antithèse à Pombo pour faire l'équilibre avec son tempérament. Le nom de Java a une sonorité plus électrique et plus festive que son compère, il entre dans la vie d'une manière beaucoup plus endiablée.
En tout cas, je trouve que ces deux personnages, (et leurs noms), parlent beaucoup de la façon dont on peut avoir tendance à danser avec la vie. Conduire ou se laisser conduire. Il y est beaucoup question des rythmes qui traversent chacun de nous et des possibilités de les faire s'accorder, malgré leurs différences. Les faire ralentir ou s'accélérer selon les aspirations de l'Autre. Sortir des postures habituelles.


©Clémence Paldacci


L’ÉVEIL DU COURAGE ET SES REDOUBLEMENTS
Ici l'éveil du courage intervient grâce à l'Autre. On fait rarement preuve d'un grand courage en restant les fesses clouées à son fauteuil à bascule, comme Pombo. Du moins, Pombo ne s'y frotte guère, en réalité. Il est courageux dans ses pensées,  dans la représentation de lui-même, dans ses rêveries.
Le fait que son ami Java lui demande de l'aide, le pousse dans ses retranchements. Il est amené à combattre sa peur excessive du danger, sa peur du vide, sa peur d'entreprendre en somme.
Il fait preuve de courage à deux reprises : la première pour monter en haut de l'arbre, qui est une entreprise réfléchie, qui le fait naviguer sans cesse entre élan et recul. Il y a je pense dans cette version du courage la recherche du dépassement de soi, une manière de façonner une confiance qui lui fait défaut (il a très envie de monter à cet arbre), de se hisser également à la hauteur des attentes de Java. Cette version du courage est davantage liée à la peur que le courage dont fait preuve Pombo par la suite. Lorsqu'il sort de chez lui en défiant l'orage pour sauver son compagnon, il n'y a aucune préméditation à le faire de sa part. Il le fait parce que la seule chose qui l'anime à ce moment-là est de sauver la vie de Java. La peur se transforme en une grande vitalité, une énergie folle qui ne l'empêche plus. C'est une forme de courage plus primaire, instinctive, qui lui permet a posteriori de se sentir vivant.


©Clémence Paldacci



− Tu vas finir par te blesser avec ton tomahawk, Java.
− Et comment crois-tu que je vais tailler ça comme il faut, Pombo ? On ne fait pas une cabane en regardant passer les hirondelles à ce que je sache.
− Les outils comme ça, c’est pour faire la guerre. Pas pour fabriquer une cabane. Là, c’est un peu comme si tu mangeais ton pot de miel avec une pelle à neige.

tomahawk et pantoufles, guerre et paix
Guerre et paix, si l'on exagère. L’histoire de ces deux ours permet davantage de mettre en opposition deux tempéraments antinomiques (action versus inaction, peur versus inconscience...) et de parler de leur terrain d'entente. Ils ne peuvent se trouver qu'à force de concessions et d'efforts mêlés. C'est une histoire d'adaptation à l'autre. Il leur faut trouver le consensus entre le tranchant du tomahawk et le molletonné d'une charentaise, effectivement.


©Clémence Paldacci

Il se réveilla dans la soirée, alors qu’un déluge s’abattait sur la forêt. Des éclairs jaillissaient du ciel et venaient lécher la cime des arbres. Le tonnerre, en roulement de tambour, battait le rythme de la tempête.

le courant de la musique des mots
Plus que de recherche, il s'agit de préoccupations autour de la sonorité et de la musique d'un texte. C'est pour moi très important, à tel point que l'intrigue est une chose qui passe complètement au second plan pendant les premières pages d'un texte. Je suis obligé d'y revenir pour ne pas raconter n'importe quoi mais, j'aime bien suivre pendant un temps et sans trop me poser de questions, le courant de la musique des mots. Je suis quelqu'un qui bat sans cesse le rythme. En marchant pour combler le silence entre le bruit de mes pas. Je compte aussi. Les syllabes de certaines phrases. Et lorsque j'écris, il m'arrive de sentir que je dois rajouter un mot ou en enlever un dans la phrase, pour qu'un certain tempo, une certaine mélodie, soit respectés.
Et puis, il y a tellement de mots à écrire. Des mots immensément beaux qui, mariés à certains autres, font chanter merveilleusement les personnages et le reste... En tout cas, je ne cherche jamais à me brider quant au vocabulaire (au risque de produire des textes qui a priori excluraient certains lecteurs). Mais ceci est une autre affaire et c'est bientôt l'heure du repas...
La question des dialogues tient, elle, davantage du jeu. Je soigne beaucoup cela pour que l'on ait au maximum une impression de justesse dans leur façon d'exister, leur psychologie. Ils doivent avoir une certaine consistance, les personnages. Il ne s'agit pas simplement de les résumer...

− Java, pourquoi faudrait-il que ta cabane se trouve perchée tout là-haut ? Elle est très bien au sol.
− C’est pour voir le lointain, Pombo.
− Le lointain, je n’ai qu’à fermer les yeux pour le voir, Java.
©Clémence Paldacci

SOUHAIT D’UN TEXTE ARGENTÉ
Je n'avais aucun souhait en particulier mais effectivement, ce texte se rapproche très certainement plus de la forme du conte. L'utilisation du passé et notamment de l'imparfait n'y sont pas étrangers, je pense. Le fait que le texte soit plus condensé, aussi. Après je ne sais pas tellement à quoi cela tient en fait. Je ne suis pas un grand spécialiste des genres. J'espère juste être payé de la même manière si j'écris un conte plutôt qu'un roman... D'ailleurs, est-ce que des barèmes existent à ce sujet ? Parce que si le conte est genre un sous-genre, moins rentable et donc moins rétribué qu'autre chose, je pense que Pombo Courage serait plus proche du roman finalement...


©Clémence Paldacci

ÉCRIRE EN PRENANT DE LA HAUTEUR DANS UNE CABANE PERCHÉE
Il est sûrement plus facile de restituer le monde en l'ayant au préalable observé. D'ailleurs même quand j'écris, je vois les choses de haut. Pas que je dédaigne l'histoire mais, c'est plus simple ainsi de tirer les ficelles, de mettre en scène tout ce petit monde.


Un jour, il lui prit l’idée de construire une cabane. Une cabane haut perchée d’où il pourrait observer le lointain. Il choisit un chêne robuste et assez vieux pour supporter qu’on s’y installe et commença les travaux.

UN MONDE EN COMMUN OU LES NOUVELLES BRÈVES LONGUES
L'idée de développer une série à partir des personnages de Pombo et Java ne m'a jamais effleuré l'esprit. J'ai toujours vu cette histoire comme se suffisant à elle-même. Alors quand il m'a été suggéré de réfléchir (tout de même) à cette possibilité de suite, il m'a fallu trouver quelle forme tout cela pourrait prendre. D'où le projet de série autour d'un lieu,  non consacré à des personnages récurrents, et la forêt m'a paru le lieu idéal pour poser les bases de ce « nouveau monde ». C'est un endroit parfait je trouve, pour l'implantation de l'imaginaire.
L'idée est d'écrire des histoires à propos des habitants de cette forêt. Des histoires courtes, qui n'ont pas forcément de lien entre elles et qui serviraient à dépeindre le monde, dans toute sa diversité. Le territoire est un prétexte pour pouvoir intervenir différemment à chaque récit : en termes de langage, de registres, d'émotions, de couleurs, de musique. Comme se décline notre propre monde en fait. Les Brèves de la forêt seraient au service d'un grand reportage sans vraiment de limite, puisque le territoire est évoqué mais pas défini. J'aimerais qu'au fil des histoires, petit à petit, une carte se dessine avec les repères topographiques, des indications du lieu où les histoires se passent. Ce serait une carte en mouvement perpétuel, aux frontières poreuses. Tout cela pourrait s'étendre très loin.
D'un point de vue « général », l'idée serait qu'il y ait un illustrateur différent pour chaque histoire, qu'il y ait autant de collaborations qu'il y a de récits, que ce monde soit riche de la pluralité. Le projet, en somme, est d'esquisser un monde fait d'aspirations artistiques différentes. Un monde à brandir en commun.
©Clémence Paldacci


Pombo Courage
Émile Cucherousset
Illustrations de Clémence Paldacci
Petite Polynie

En librairie le 21 mars