dimanche 28 janvier 2018

COURIR LES RUES

Des romans, des chansons et poèmes, des scénarii et court-métrages, et maintenant, l’œil photographe. La création court les rues chez Audren.



Baker Street, 2015 © Audren


AUDREN: Baker Street, c’est une vieille chanson de Gerry Rafferty que je fredonne machinalement quand j’attends le métro à cette station.
« When you wake up, it’s a new morning
The sun is shining it’s a new morning
And you’re going, you’re going home… »

My Own Private Reality © Audren

Place d’Italie à Paris, la lumière est souvent extraordinaire. Il n’y a aucun trucage dans cette photo mais je ne livrerai à personne le secret de cette étrange réalité.

Empire Stat© Audren

L’Empire State Building, pendant les fêtes de fin d’année, il faut être  patient pour accéder au dernier étage et admirer la vue sur New York. Files de touristes en sueur dans leurs gros manteaux hivernaux, fouille, ascenseurs, couloirs… J’en avais vraiment assez de piétiner, d’attendre et de suivre le troupeau, je cherchais du calme et de l’air… J’ai  sorti ma tête hors de la foule, comme une nageuse de crawl qui reprend son souffle, et derrière un poteau, dans un coin interdit au public, j’ai aperçu ces trois fenêtres…


Nationale © Audren

Le métro aérien, la ligne 6, la lumière. Plaisir des yeux.


Colza © Audren

J’étais en voiture en banlieue parisienne, et entre deux villes moches et deux averses, j’ai eu la surprise de découvrir ce colza joyeux. 




lundi 22 janvier 2018

TRUFFE ET MACHIN
Première partie : Naissances

A l’origine ou les arts croisés
Emile : Je crois qu’au départ je voulais adapter un texte que j’avais écrit pour la revue Biscoto. Je voulais en faire quelque chose de plus consistant, et travailler avec Camille à l’illustration. Le texte s’appelait « Ivan le terrible » et il y était question d’une bande de lapins très naïfs qui partent en quête de nourriture. Finalement, je n’ai rien adapté du tout, mais j’ai gardé les lapins. Ce sont eux les responsables.
Camille : C’est tout d’abord Émile qui a commencé à écrire une première version de l’histoire de l’idée perdue (« Retrouver l’idée perdue »). J’ai alors fait des recherches pour les deux personnages: Truffe et Machin. Je savais qu’il y avait un grand et un petit. Au début je leur avais donné une allure trop grande, trop adulte… Je les ai dessinés plein de fois avant de les tenir à peu près. Et j’ai fait quelques recherches pour les décors et l’univers graphique. Émile a ensuite écrit d’autres histoires avec ces deux héros. Dans l’ensemble, nous travaillons chacun de notre côté mais en demandant très régulièrement l’avis de l’autre.

Camille Jourdy
répétition et conversation avec les personnages
Camille : Au départ, j’ai cherché à faire exister Truffe et Machin au travers du dessin. Pour cela, je les dessine beaucoup. Je dois savoir à quoi ils vont ressembler : petits, grands, quels habits portent-ils… Mais je dois aussi les faire vivre et donc les faire parler et bouger ! J’aime bien parler des personnages que je dessine comme de petits acteurs en train de naître. Pour bien jouer leurs rôles, ils doivent répéter un certain nombre de fois !
Ensuite je choisis les passages de l’histoire qui me paraissent importants ou bien qui m’inspirent pour un dessin ou une idée. Puis je fais un crayonné (voire même plusieurs) pour voir si cela fonctionne. Je fais également des recherches graphiques : décors, rapport texte/image, choix de la technique utilisée (ici c’est de l’acrylique avec un peu de crayon de couleur)… Pour réaliser l’image finale je me sers du crayonné, parfois en le repassant à l’aide de la table lumineuse. J’essaie de rendre l’image plus aboutie (plus propre et plus belle graphiquement) mais tout en gardant l’aspect spontané et expressif du crayonné.
Recherches sur Truffe et Machin
Emile : Partir d’une trame narrative me bloque pour écrire. J’ai essayé plusieurs fois mais je crois que pour moi, cette façon d’écrire est contre-productive. Je ne cherche pas à construire de cadre parce que j’ai besoin, je pense, d’avoir le champ libre tout le long du processus d’écriture et de conserver une grande part de mystère dans le déroulement de l’histoire. J’aime bien l’idée que tout ça doit rester mystérieux. Au mieux, je fais des plans pour le dialogue d’après… ce qui peut m’obliger à faire prendre une direction à l’histoire pour pouvoir insérer le dialogue en question. C’est assez tordu et anarchique, en fait.
Je dirais que je pars d’une idée, qui en amène une autre, etc… L’histoire se dessine au fur et à mesure. Cette méthode me va bien parce qu’elle me permet de me laisser surprendre par le récit et d’instaurer un dialogue permanent avec les personnages pour savoir où aller. Un dialogue dans l’urgence. Et puis, je pense que j’ai besoin de ne pas avoir totalement le contrôle, de laisser sortir les choses comme elles doivent sortir, et non de les faire rentrer dans un cadre, construit au préalable. Tout doit être malléable au maximum.


Camille Jourdy



Truffe et Machin
Emile : Machin se laisse vite emporter par son imagination et ses émotions. Je dirais que c’est le plus créatif des jumeaux. Truffe, lui, est plus un directeur d’opérations. Ils sont assez complémentaires, en fait. Je ne me souviens pas leur avoir cherché de prénoms. Ils ont dû surgir et s’imposer un jour où je passais l’aspirateur…




FAMILLE COMPOSEE
Emile : Il n'y pas eu de réflexion en amont, sur la composition familiale. L'idée d'une mère à la fois douce et autoritaire s'est imposée. Le fait que ce soit un personnage qui n'intervienne qu'à la fin des histoires me plaît. Elle sert de cadre à Truffe et Machin, qui ont tendance à se disperser. Même si ses explications leur passent souvent au-dessus de la tête... Elle est le personnage rassurant nécessaire à leurs débordements. Sans elle, je pense qu'ils ne se permettraient pas tant d'audace.
Pour le personnage du père, c'est différent. A vrai dire, initialement, il a été oublié. Du moins, aucune place ne lui avait été prévue. Quand il m’a été fait cette remarque, j'ai préféré ne pas y remédier personnellement. Je me suis dit que si la figure paternelle n'avait pas fait partie de mes plans, c'est qu'il y avait peut-être une raison. Et je ne tiens pas à me l'expliquer. Tout cela fait partie des conséquences de l’écriture spontanée. Il en sort forcément des choses sur lesquelles nous n'avons que très peu d'emprises et qui naissent en nous échappant. C'est une manière de laisser un peu de soi s'évacuer... et je peux m'en amuser. Par contre, je laisse le soin de l'analyse à ceux qui en trouveraient de l'intérêt... Bref... C'est donc Camille qui s'est occupée du père. Il est un acteur que l'on voit s'affairer, souvent au second plan, mais qui finalement est présent... Équilibre rétabli, in extremis...

lundi 15 janvier 2018

REGARDER LE MONDE

Rencontre avec Cédric Philippe, illustrateur de La petite épopée des pions, qui cherche à faire résonner ses dessins avec « des pensées secrètes, profondes ou aventureuses chez ceux qui lisent ou écoutent (s)es histoires ».

Illustration de Cédric Philippe (La petite épopée des pions)
Des mondes imaginaires
Je voulais être enseignant-chercheur en physique et garder l’art comme un loisir, peut-être parce qu’il arrive à l’art de mourir quand il doit remplir l’assiette de quelqu’un. Faute de temps j’ai dû choisir l’un ou l’autre. Les professeurs de classe préparatoire ne comprenaient pas pourquoi, ayant décidé de partir pour l’art, je suivais toujours leurs cours. J’aimerais deux vies, pour approfondir l’art et la science chacun de leur côté.
Les mathématiques forment des mondes imaginaires autant que les romans. Quand on étudie en physique le mouvement des planètes, des espaces infinis, inconcevables, ou la couleur d’un électron qui vibre, on est obligé de rêver puisqu’on ne peut pas percevoir les choses qu’on tente de saisir par les formules. C’est une façon d’aborder des mondes connus ou inaccessibles ou imaginaires ; l’écriture ou le dessin en sont d’autres tout aussi précises.
Il s’agit peut-être de poser des questions, et d’esquisser des réponses.
Je me demande comment par l’art, on expliquerait le bleu du ciel.

Illustration de Cédric Philippe (La petite épopée des pions)
Dégoupiller par tous les moyens les instants
J’aime essayer, j’aime faire, et je pousse le hasard dans les directions qui m’attirent. Les talents des autres et la vie me donnent envie alors je les essaie, et parfois je découvre des choses par moi-même. Cela tient surtout à la curiosité excessive que mes parents, Roger Hargreaves et d’autres ont su ouvrir en moi et à tout ce qu’engendre, comme chacun sait, cette vilaine manie d’être curieux.
Je choisis les techniques narratives en fonction de ce que je souhaite raconter, ou parce qu’elles me semblent nouvelles et fascinantes. Quand on se frustre de réaliser qu’un dessin est immobile, la vidéo ou l’animation sont parfaites pour lui donner vie ou l’allonger dans le temps. C’est très plaisant de voir s’agiter sur l’écran un lièvre ou une robe qui n’existe que fixement sur une page de carnet. Et j’aime fabriquer des objets, ou rendre à des objets ces existences qu’on leur oublie dans la vie de tous les jours ; faire qu’une chaussette tousse des cadeaux ou qu’un bloc de post-it soit une pile de fenêtres ouvertes sur l’inconnu. Quelqu’un parlait —je ne sais plus qui— de dégoupiller le potentiel extraordinaire de chaque instant.
Après avoir dessiné ou écrit pendant des mois sur du papier bidimensionnel, c’est aussi agréable de toucher du bois, de la mousse, de scier, d’assembler, de tordre, pour fabriquer quelque chose. Je pense que c’est très important que les enfants d’aujourd’hui continuent à jouer aux Legos ou bricolent des cabanes dans les bois, et regardent les oiseaux.

Vies du trait
J’adore la couleur parce qu’elle chante et emporte et émeut. Mais en rapport avec le texte, je m’en méfie parce qu’elle est bavarde, parfois trop, et il lui arrive de dire tellement que le lecteur n’a plus rien à imaginer. Le noir et blanc permettent une liberté d’interprétation parfois plus grande et placent d’emblée le dessin dans un monde qui n’est pas celui du réel.
Dans la plupart des romans illustrés, le blanc de la page est aussi l’espace au-delà des mots imprimés, celui dans lequel on s’évade pour construire l’histoire. Si ce blanc est aussi le blanc de l’illustration, l’histoire que le lecteur imagine traverse à la fois l’image et le texte pour s’épanouir dans cet espace commun. On vit cela en lisant les Moomins, par exemple.
Le trait me plaît parce qu’un trait d’encre c’est franc, c’est direct, c’est vif ; ça dit quelque chose sans fioritures et si c’est bien dit, personne n’a besoin de se torturer l’esprit pour comprendre de quoi il est question. Et puis si l’on dessine vite, ce trait donne une énergie au dessin, ou un rythme, ou une vitesse : une vie. Et le trait noir est proche visuellement des lettres sur la page, dans une page qui contient du texte et des dessins au trait on garde une belle unité.
Illustration de Cédric Philippe (La petite épopée des pions)

Je voudrais ajouter avant de partir une phrase de Gianni Rodari que j’aime beaucoup, tirée de sa Grammaire de l’imagination (Grammatica della fantasia) : « On peut regarder le monde à hauteur d'homme, mais aussi du haut d'un nuage. On peut rentrer dans la réalité par la porte principale ou s'y faufiler - c'est beaucoup plus amusant - par une lucarne. »
Et bon voyage !
Illustration de Cédric Philippe (Les fleurs sucrées des trèfles)

jeudi 4 janvier 2018

LA FABRIQUE DE TRUFFE ET MACHIN


Camille Jourdy : Au départ, j’ai cherché à faire exister Truffe et Machin au travers du dessin. Pour cela, je les ai beaucoup dessinés. Je dois savoir à quoi ils vont ressembler : petits, grands, quels habits portent-ils… Mais je dois aussi les faire vivre et donc les faire parler et bouger ! J’aime bien parler des personnages que je dessine comme de petits acteurs en train de naître. Pour bien jouer leurs rôles, ils doivent répéter un certain nombre de fois !

Recherches, esquisses, réflexions autour des personnages de Truffe et Machin et...

Camille Jourdy


... quelques répétitions plus tard

Illustration de Camille Jourdy extraite de Truffe et Machin d'Emile Cucherousset

mardi 2 janvier 2018


EN POLYNIES


C’est un trou dans la glace, où joue une troupe d’auteurs.

Les esprits des textes, en Polynies, habitent de bien étranges corps, rugueux et volcaniques, et semblables tout à la fois à de minuscules terriers d’animaux, secrets et humbles, attendant le visiteur qui aura la taille parfaite pour, au milieu des ronces, s’avancer au plus près, les observer et les lire. Ainsi, c’est un Sasha au corps de bois, simple pion décidant, un jour de prise de conscience vive, de vivre des aventures extraordinaires hors de l’échiquier familier, en un récit de révolte et de résistance, fondamental comme l’apprentissage de la conjugaison du verbe penser (Audren, La petite épopée des pions). Ou, dans l’air joyeusement électrique chahuté par Émile Cucherousset, les pattes magnétiques des lapins, de Truffe et Machin, poètes clandestins du quotidien, demandant l’impossible avec réalisme, la disparition de l’ennui, l’avènement de l’imaginaire, et continuant chaque jour le combat en un drôle de désordre. Mais aussi, des kourés, des fruits indigo et juteux, des puits d’encre, accrochés aux branches de Monsieur B., dernier baoyé sauvé par Tiago et sa famille des mâchoires des Déracineurs, alors tous condamnés à l’exil sur la route rouge (Sigrid Baffert, La marche du baoyé). Ou encore, une île déserte ingénieusement habitée par les Vendredi et Robinson de Gilles Barraqué, ces deux naufragés chacun à leur manière, grands amateurs d’oreilles de cochons grillées et de courses de cafards de compétition (Vendredi ou les autres jours). Corps bizarres et versatiles, dessinés par des illustrateurs et des peintres en compagnonnage familier, Cédric Philippe, Camille Jourdy, Alžbeta Skálová et Hélène Rajcak.
Ces premiers titres inaugurent les trois collections de romans aux éditions MeMo, maison jusqu’alors dédiée aux albums et, depuis toujours, lieu d’exigence artistique et littéraire, au sens d’une recherche constante autour de la haute idée de la création : Petite Polynie, réunissant des romans illustrés destinés aux lecteurs à partir de 6 ans ; Polynie, romans illustrés pour les 9-12 ans et Grande Polynie ouverte aux adolescents à partir de 12 ans. À l’automne, ils seront suivis de quatre nouveaux romans, écrits par des auteurs confirmés ou naissants, car au sein de ces collections seront également accueillis des auteurs débutants, par une volonté appuyée de les accompagner dans la construction de leur œuvre.

Comment qualifier ce qui les unit, eux qui aiment à se nommer troupe ? L’envie d’écrire et de transmettre. Une foule d’enfants en eux, en permanence en train de jouer et d’inventer, mille autres possibles aux noms réinventés. Une impuissance à se conformer, en imaginatifs désirants. Un déchaînement d’énergie. Une musique dense, personnelle, volontairement épique, rapide et free jazz, chant du monde ou chant de marin, et leurs accords conjugués donnant à écouter la rumeur chuchoteuse de la littérature. La richesse d’une langue qui vit sa propre vie. « Voir notre ferme avalée, ça nous aurait écorché les entrailles. Aucun de nous ne s’est retourné, mais on a entendu le choc des mandibules, l’atroce craquement du toit rond de chaume, les lamentations des murs en terre cuite façonnés par la main de P’pa au fil des années /— Tais-toi donc et aie confiance. Tu vas faire le mort. — Ça me plaît pas du tout ça. Le mort comment ? – Le mort debout. Ferme les yeux /Je vais quitter la boîte et… il est même possible que je ne revienne pas. En disant cela, il sentit un frisson lui parcourir le bois. Il avait très peur de ne pas savoir retrouver son chemin, très peur de se perdre à tout jamais. Toutefois, l’envie d’autre chose était plus forte que la peur. Ils cavalèrent ainsi dans le sable. Le premier battait des bras, comme s’il voulait s’envoler, le second imitait le grognement du cochon sauvage en furie. Ils s’effondrèrent enfin l’un près de l’autre, tout essoufflés. » : ça bourgeonne, ça pousse dans des endroits bizarres, ça sème ses propres graines pour l’avenir. L’attachement, aussi, à des histoires convoquant les sens, la vue, le toucher, l’ouïe et ce sens premier, l’imagination. Les formes de l’expérience vivante, les leurs et celles des autres, en ces temps partagés, supérieurs, qui disent, pressentent quelque chose du monde et où les personnages en viennent à devenir narrations.
Écoutez, regardez, lisez, nous invitent-ils avec la réserve de ceux qui croient trop à la littérature pour lui imposer ces nouvelles lois de la crédibilité et de la normativité. Il faut le dire, ils ont tous entendu l’histoire de ce type, creusant quotidiennement son rond de glace avant d’y lancer sa canne à pêche, jusqu’au jour où la voix d’un agent lui rappelle qu’à la patinoire, point de poissons. Pas si sûr, chacun sa polynie. Chacun aussi sa hache qui brise la mer gelée en lui. Ainsi, la troupe polynienne est obligée d’écrire et est contrainte à une certaine sauvagerie, gare aux patinoires. Ils écrivent, ils sont partie prenante de ce mouvement. Pour eux, il ne s’agit pas de proposer un simple roman aux enfants et adolescents, de les divertir et de les amuser, de leur faire découvrir l’inconnu d’une histoire ou les traits saillants d’un personnage, de saturer un temps narratif de sensations et de pensées, de faire entendre la musique de leurs mots : il y a un monde derrière. Ces auteurs ont la mer, froide ou non, à boire. Et ils veulent faire goûter aux lecteurs autre chose, le goût si particulier du sel de leur littérature.
C’est cette intention-là, ce goût de l’inattendu, cette possibilité du choc que nous avons tous connus, enfant et adolescent, grâce à cette lanterne magique qu’est le livre, et dont nous nous souvenons encore très précisément, qui a trouvé demeure. Stig Dagerman faisait remarquer : « Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? » Modestement et pourtant passionnément, quotidiennement, artisanalement, Petite Polynie, Polynie, Grande Polynie entendent faire pousser et grandir des forêts de livres au milieu d’ours polaires et de bélugas, et voir les enfants de tout âge se percher dans leurs arbres, pour découvrir autre chose, leurs propres choses.
Chloé Mary, directrice de collections.

RENCONTRE DANS LA FORET
Audren, La petite épopée des pions




A l’origine des sasha
Lorsque j’étais enfant, dans le chalet ou je passais mes vacances, je jouais souvent avec un coffret en bois exotique, abritant des pions. A chaque fois que je l’ouvrais, j’en sortais rapidement tous les pions. Je ne voulais pas les faire attendre plus longtemps. J’étais persuadée que j’étais en train de leur offrir un moment de liberté. Je les observais, j’attendais qu’ils s’échappent, qu’ils partent en courant, qu’ils vivent enfin leur vie… Mais rien de tout cela ne se produisait. Leur sagesse m’inquiétait un peu. Ces pions ont toujours été très vivants dans ma tête. J’éprouvais toujours de la peine à les ranger et les renfermer dans le noir.
Mes Sasha-pions, eux, devaient trouver eux même cette liberté que j’avais tenté de leur offrir étant enfant, et vivre pour de bon. En ce qui concerne le prénom Sasha, j’ai tout d’abord cherché un prénom commun pour tous les pions. Un prénom mixte (ni homme ni femme chez les pions ; la neutralité s’imposait) et international (l’histoire pouvait se passer n’importe où). Mais je savais que mon héros devait porter un surnom qui inclurait le mot halluciné. J’ai donc trouvé dans ma liste mixte et internationale, un prénom se terminant par HA afin de pouvoir fabriquer le surnom du héros « Sashalluciné ».
Comme dans mon enfance, je personnifie encore souvent les objets, les végétaux et m’adresse parfois à eux. J’aime aussi les dessins animés dans lesquels on rencontre des théières, des voitures, des éponges ou des fleurs qui parlent. Je cherche partout des signes d’humanité… quand je n’en trouve pas assez chez les êtres humains, j’en invente ailleurs.
Illustration de Cédric Philippe


Le (petit) trot des chevaux
Selon le dictionnaire, une épopée est un  « long récit poétique d’aventures héroïques où intervient le merveilleux ». Mon récit était court mais il me semblait, qu’en dehors de sa taille, il répondait parfaitement à la définition de l’épopée. J’ai donc simplement ajouté « petite » à mon titre afin qu’il soit tout à fait en accord avec mon histoire. Même si cela n’a rien à voir avec le texte, l’allitération en p m’évoque à la fois le trot des chevaux tirant une voiture sur une rue pavée et pluvieuse… et les gestes précis et extrêmement rapides des écureuils ou des petits rongeurs dans leurs occupations quotidiennes. On retrouve tout de même dans mes associations, l’idée de voyage, de déplacement, de vie accélérée. J’aime aussi la musicalité de ces quelques mots, semblable à celle d’une comptine. Je voulais que la douceur de l’enfance transparaisse malgré tout dans ce titre annonçant d’une manière très classique des exploits légendaires. Si je devais qualifier ce texte, je dirais qu’il est un vade-mecum (dans son sens non-dentifricial)
Illustration de Cédric Philippe
De l’insurrection
Ce ne sont pas les périodes obscures qui me poussent à écrire l’insurrection mais les gens ternes qui s’enlisent, sans réagir, dans ces périodes obscures et les rendent alors encore plus sombres. Ces personnes-là, on les retrouve à toutes les époques. L’uniformisation, la renonciation, l’acceptation sans réflexion préalable me désolent. Peu d’artistes présentent, par exemple, des défauts sur la tranche, au contraire de Sashalluciné.
La musique qui accompagne ma réponse : « Think ! »  d’Aretha Franklin
«… People walking around everyday, playing games, taking scores
Trying to make other people lose their minds
Well be careful, you’re gonna lose yours … »
Il faut lutter, s’accrocher. Contrôler son existence, la façonner, faire ses propres choix, avancer, contourner les obstacles, être curieux, apprendre… apprendre beaucoup, s’améliorer, contempler, aimer...

Lire également Dans le ventre de la baleine, Nouvelles de Polynies

La petite épopée des pions, Audren, illustrations de Cédric Philippe, Petite Polynie.
En librairie le 18 janvier
EN ROUTE POUR LES POLYNIES



Illustration de Camille Jourdy extraite de Truffe et Machin d'Emile Cucherousset, Petite Polynie