TRUFFE ET MACHIN
Première partie : Naissances
A
l’origine ou les arts croisés
Emile :
Je crois qu’au départ je voulais adapter un texte que j’avais écrit pour la
revue Biscoto. Je voulais en faire quelque chose de plus consistant, et
travailler avec Camille à l’illustration. Le texte s’appelait « Ivan le
terrible » et il y était question d’une bande de lapins très naïfs qui
partent en quête de nourriture. Finalement, je n’ai rien adapté du tout, mais
j’ai gardé les lapins. Ce sont eux les responsables.
Camille : C’est tout d’abord Émile qui
a commencé à écrire une première version de l’histoire de l’idée perdue
(« Retrouver l’idée perdue »). J’ai alors fait des recherches pour
les deux personnages: Truffe et Machin. Je savais qu’il y avait un grand et un
petit. Au début je leur avais donné une allure trop grande, trop adulte… Je les
ai dessinés plein de fois avant de les tenir à peu près. Et j’ai fait quelques
recherches pour les décors et l’univers graphique. Émile a ensuite écrit
d’autres histoires avec ces deux héros. Dans l’ensemble, nous travaillons
chacun de notre côté mais en demandant très régulièrement l’avis de l’autre.
Camille Jourdy |
répétition et conversation avec les personnages
Camille : Au départ, j’ai cherché à
faire exister Truffe et Machin au travers du dessin. Pour cela, je les dessine
beaucoup. Je dois savoir à quoi ils vont ressembler : petits, grands,
quels habits portent-ils… Mais je dois aussi les faire vivre et donc les faire
parler et bouger ! J’aime bien parler des personnages que je dessine comme
de petits acteurs en train de naître. Pour bien jouer leurs rôles, ils doivent
répéter un certain nombre de fois !
Ensuite je choisis les passages de l’histoire
qui me paraissent importants ou bien qui m’inspirent pour un dessin ou une
idée. Puis je fais un crayonné (voire même plusieurs) pour voir si cela
fonctionne. Je fais également des recherches graphiques : décors, rapport
texte/image, choix de la technique utilisée (ici c’est de l’acrylique avec un
peu de crayon de couleur)… Pour réaliser l’image finale je me sers du crayonné,
parfois en le repassant à l’aide de la table lumineuse. J’essaie de rendre
l’image plus aboutie (plus propre et plus belle graphiquement) mais tout en
gardant l’aspect spontané et expressif du crayonné.
Recherches sur Truffe et Machin |
Emile :
Partir d’une trame narrative me bloque pour écrire. J’ai essayé plusieurs fois
mais je crois que pour moi, cette façon d’écrire est contre-productive. Je ne
cherche pas à construire de cadre parce que j’ai besoin, je pense, d’avoir le
champ libre tout le long du processus d’écriture et de conserver une grande
part de mystère dans le déroulement de l’histoire. J’aime bien l’idée que tout
ça doit rester mystérieux. Au mieux, je fais des plans pour le dialogue
d’après… ce qui peut m’obliger à faire prendre une direction à l’histoire pour
pouvoir insérer le dialogue en question. C’est assez tordu et anarchique, en
fait.
Je
dirais que je pars d’une idée, qui en amène une autre, etc… L’histoire se
dessine au fur et à mesure. Cette méthode me va bien parce qu’elle me permet de
me laisser surprendre par le récit et d’instaurer un dialogue permanent avec
les personnages pour savoir où aller. Un dialogue dans l’urgence. Et puis, je
pense que j’ai besoin de ne pas avoir totalement le contrôle, de laisser sortir
les choses comme elles doivent sortir, et non de les faire rentrer dans un
cadre, construit au préalable. Tout doit être malléable au maximum.
Camille Jourdy |
Truffe
et Machin
Emile : Machin
se laisse vite emporter par son imagination et ses émotions. Je dirais que
c’est le plus créatif des jumeaux. Truffe, lui, est plus un directeur
d’opérations. Ils sont assez complémentaires, en fait. Je ne
me souviens pas leur avoir cherché de prénoms. Ils ont dû surgir et s’imposer
un jour où je passais l’aspirateur…
FAMILLE COMPOSEE
Emile :
Il n'y pas eu de réflexion en amont, sur la composition familiale. L'idée d'une
mère à la fois douce et autoritaire s'est imposée. Le fait que ce soit un
personnage qui n'intervienne qu'à la fin des histoires me plaît. Elle sert de
cadre à Truffe et Machin, qui ont tendance à se disperser. Même si ses
explications leur passent souvent au-dessus de la tête... Elle est le
personnage rassurant nécessaire à leurs débordements. Sans elle, je pense
qu'ils ne se permettraient pas tant d'audace.
Pour
le personnage du père, c'est différent. A vrai dire, initialement, il a été
oublié. Du moins, aucune place ne lui avait été prévue. Quand il m’a été fait
cette remarque, j'ai préféré ne pas y remédier personnellement. Je me suis dit
que si la figure paternelle n'avait pas fait partie de mes plans, c'est qu'il y
avait peut-être une raison. Et je ne tiens pas à me l'expliquer. Tout cela fait
partie des conséquences de l’écriture spontanée. Il en sort forcément des
choses sur lesquelles nous n'avons que très peu d'emprises et qui naissent en
nous échappant. C'est une manière de laisser un peu de soi s'évacuer... et je
peux m'en amuser. Par contre, je laisse le soin de l'analyse à ceux qui en
trouveraient de l'intérêt... Bref... C'est donc Camille qui s'est occupée du
père. Il est un acteur que l'on voit s'affairer, souvent au second plan, mais
qui finalement est présent... Équilibre rétabli, in extremis...