NOUVELLES DE
POLYNIES ÉDITION N°4
AUTOMNE 2019
AUTOMNE 2019
ÉDITO
Beau
Sang
Donc,
la vie, il faudrait la gagner, gagnant-gagnant, au petit jeu de l’oie docile,
au ras de l’existence, case étude de marché. « Gagner sa vie », la gagner
peut-être, certainement, sur le dos de l’autre parce que l’époque le veut,
précarités concurrentielles de bêtes à concours sans récompense, la gagner donc
pour ne pas la perdre, comme d’autres. Gagner/Perdre. Il ne faudra pas compter
sur les écrivains réunis en cette saison pour venir éclairer, de toute la
lumière si désirée par ceux qui veulent faire disparaître la littérature et les
variations imprévues de la vie, les jours vides et tout tracés d’un destin réussi.
Avec eux, il s’agit d’une mise au secret, peu à peu dévoilée par le travail
obstiné des mots, des pensées, des sensations. La complexité humaine se
déséquestre ici, on n’y consigne pas des aspirations synthétisées pour un jour,
− car un jour on sera grand, non ? c’est-à-dire dans le rang − trouver son
habit bien emballé dans la naphtaline. Au contraire. Ils sont à nu, ils se
livrent et s’exposent dans toutes leurs réalités, des plus évidentes aux plus
ténébreuses, selon un mode de pensée subtile. Ils sont des étranges, des à
l’écart, des boiteux, des inadaptés à la norme, des forcenés, des enfants, des beaux
coléreux, des irritables. Car que se joue-t-il dans cette volonté de se tenir
aux grands traits d’un individu, le pitch de soi, si ce n’est de le faire
disparaître en tant qu’être sensible, donc variable, donc insaisissable, donc
fuyant, et ainsi politique, révolutionnaire. « La sensibilité de chacun,
c’est son génie », rappelait Baudelaire. Eux, ils frottent tellement la
peau de leur langage, irritation, rougeurs, démangeaisons, irruptions et
spasmes, vibrations, contre-indications existentielles, que leur génie intérieur
surgit dans son intensité pour offrir des vœux et promesses de ressentir. On se
trouve affectés de les lire. On s’en trouve modifiés. Une brèche s’ouvre, c’est
une égratignure sur la peau où une goutte du sang de l’autre pointe, une lettre,
une image, un geste, la sauvagerie de l’aléatoire. Non pas gagner ou perdre sa
vie, mais la prendre comme une coupure, une effraction, en l’inventant, en
cultivant l’effondrement du sens commun, en l’imaginant au futur, voilà ce que
nous chuchotent Petit Garçon de Francesco Pittau, en cette association
si juste du Grand Dehors Flou et du Grand Intérieur Fou, royaumes de
l’imaginaire où le monde ne cesse de se réinventer grâce à une identité qui,
elle, saisit la dépersonne pour mieux l’approcher, Zorroooo ! Zorroooo !;
métamorphoses d’un devenir où hommes et bêtes se retrouvent corps-objets par l’insensé
organisé et rappellent qu’on est bien peu de Chose, sauf à se rencontrer sur la
grande scène de l’agora dans La Chose du MéHéHéHé de Sigrid Baffert, Tcha-koutcha
d’urgence ; debout soudain sur la planche de Surf de
Frédéric Boudet, malgré la peur et l’angoisse d’être, inspiration et
aspiration, malgré le peu d’appétit suscité par un destin de BTS d’animateur de
soirées en maison de retraite et les bras poilus des gardiens du désordre,
éclipse et apparition, trouver la forme de son existence au point même de la
révélation, il faut écrire sa putain de vie ! Écrire sa vie, lire,
inventer un nouveau savoir-vivre, avoir lieu pour être. Goutte de sang
coagulée.
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