Vendredi et Robinson occuperont, dès le 24 mai, les librairies.
Rencontre avec Gilles Barraqué qui a comme projet littéraire de "continuer à prendre du plaisir à écrire, au gré d’une humeur parfois fantasque" et ainsi, au gré de son humeur vagabonde, de chercher le vertige de l'écriture. Contraintes et littératures, intuitions et respects, différences harmonieuses et monde de l'enfance, sous le prisme du jeu, aujourd'hui comme les autres jours (Première partie)
© Hélène Rajcak |
SUIVRE LA PENTE
La genèse de ce texte est
le fil d’une pente. Je projetais un recueil de textes courts soumis à une
contrainte oulipienne (la variation sémantique d’une formule de conte
traditionnel, appliquée aux titres, chaque texte répondant alors à l’évolution
de cette formule). Le premier texte pondu fut la nouvelle qui entame ce Vendredi.
J’ai aimé l’humeur, la définition de ce petit monde, de ses personnages. Au
point que le deuxième, puis le troisième texte développaient ce même monde. J’ai
suivi la pente, et décidé que tout le recueil introniserait ce Robinson, ce
Vendredi, dans ce contexte. Ne restait plus qu’à réfléchir à la structure, à l’organisation,
au mouvement d’ensemble.
À noter que toutes les
nouvelles obéissent à la contrainte initiale (ce jeu précis de variation de
titres), mais que celle-ci n’apparaît plus – j’ai choisi d’autres titres. Tel
quel, le recueil se passait d’un plan supplémentaire oulipien.
Jouer et Écrire,
jouer À Écrire, Écrire en jouant
Vendredi ou les
autres jours est un petit recueil
de jeu et d’humeur.
Sur le jeu :
l’intention initiale était donc le jeu de contrainte oulipien, la liberté de
création qu’il induisait. Mais plus largement, j’envisage l’écriture
fictionnelle comme un jeu. L’auteur y convie le lecteur : jouons à croire à
ce qui est écrit. C’est un partenariat, ou comme une distribution de rôles. La
relation auteur/lecteur fonde l’écriture. Incidemment, le jeu d’écriture du
recueil adopte l’angle spécifique… du jeu ! D’un bout à l’autre, Robinson
et Vendredi jouent ensemble, l’un avec l’autre, l’un contre l’autre. Mais il
n’est pas question pour eux de passer le temps ; ils ne trompent pas leur
ennui : ils définissent une donnée de leur espace-temps, posent le jeu en
règle de vie.
Sur l’humeur : je
voulais qu’elle soit légère, je visais à un plaisir premier de lecture, au
divertissement. Ce qui n’évacue pas un arrière-plan réflexif. Mais on ne peut
pas parler là de discours. Le processus de l’écriture est toujours un peu
trouble. Dans ce plan réflexif, on navigue entre intentions délibérées,
intuitions, laisser-aller (ce qui échappe à l’auteur), et respect de la
définition du petit monde installé.
TOUS LES Robinson
et Vendredi
© Hélène Rajcak |
Le recueil est né de
la rencontre de ces deux personnages ou figures.
La première rencontre,
c’est bien sûr dans le Robinson Crusoé de Defoe, à l’âge des lectures de
préadolescent. Plus tard, Vendredi ou les limbes du Pacifique, de Michel
Tournier, a été l’occurrence de retrouvailles. Robinson est un mythe
littéraire, comme Don Quichotte ou Pinocchio – il y en a d’autres, mais ils ne
sont pas si nombreux. L’intronisation d’une figure forte et singulière vise à
l’emblématique : c’est le rapport à soi-même, au monde, à l’autre, qui est
interrogé.
Pour ce Vendredi,
la référence serait plutôt le Tournier que le Defoe. Tournier a exploré le
rapport à l’autre, la coexistence dans les conditions d’isolement dans l’île.
Il s’agit de la recomposition d’une société – dès lors que deux individus sont
confrontés. C’est plus intéressant que le strict rapport à la solitude.
Par ailleurs, le fait
que l’un soit Noir et l’autre Blanc n’est sûrement pas neutre – leur différence
d’âge ne l’est pas non plus. Dans mon Vendredi, il est question d’une
harmonie trouvée, cultivée, mais pas dans une fusion béate, et pas en niant la
différence. L’autre reste un autre, avec son identité. Trouver un agrément dans
la coexistence ne va pas de soi. Ça passe par la confrontation, et l’institution
de règles – qui subissent parfois quelques entorses… En l’occurrence, Robinson
et Vendredi transposent la confrontation par le jeu. Au final, ils posent et
partagent un modus vivendi, presque un art de vivre, sans que soit établi un
rapport de domination.
RÈGLES ET ENTORSES
A suivre, la seconde partie de l'entretien, Qu'en
pensez-vous ?
© Hélène Rajcak |
Robinson et Vendredi jouent, mangent, mentent… et ils boivent, et ils fument. Résolument transgressif. Ils privilégient un plaisir premier et cependant codifié (la cuisine, la musique, les jeux…).
C’est bien sûr une image du monde de l’enfance. Les projections imaginaires, le refus de la continence, l’assouvissement dans l’instant, la transposition par le jeu en sont des composantes. À noter que le jeu n’a pas qu’une vertu de divertissement ; il recouvre aussi une gravité. Les enfants s’engagent gravement et entièrement dans le jeu. Ils en sortent avec légèreté, ayant, comme une grâce, la conscience innée de la fugacité.
C’est bien sûr une image du monde de l’enfance. Les projections imaginaires, le refus de la continence, l’assouvissement dans l’instant, la transposition par le jeu en sont des composantes. À noter que le jeu n’a pas qu’une vertu de divertissement ; il recouvre aussi une gravité. Les enfants s’engagent gravement et entièrement dans le jeu. Ils en sortent avec légèreté, ayant, comme une grâce, la conscience innée de la fugacité.
© Hélène Rajcak |
Vendredi ou les autres jours
Gilles Barraqué, illustrations d'Hélène Rajcak
Collection Polynie
Gilles Barraqué, illustrations d'Hélène Rajcak
Collection Polynie