OUVRIR LES ESPACES
Rencontre avec Hélène Rajcak, illustratrice de Vendredi ou les autres jours. Découvertes et naissance d'un geste, apparitions d'animaux, libération des lieux et des personnages : l'art en libertés
PREMIER
GESTE, PIEDS NUS
Je crois que j’ai toujours aimé dessiner et peindre. J’ai une
photo de moi à la crèche, pieds nus, debout face à mon chevalet, pinceau à la
main, en pleine action de peinture. Je n’ai pas le souvenir de ce moment, ni du
premier dessin. Mes souvenirs remontent à l’école maternelle où je me
souviens de l’attention que je mettais à dessiner un sapin avec toutes ses
épines.
Vue de la maison de Bill, Lettes Bay, Tasmanie, 22 X 15 cm, 2016 ©Hélène Rajcak |
Très jeune, j’ai pu faire des études artistiques. Dès le
lycée, j’ai étudié les arts appliqués à l’école Estienne. J’y ai découvert les
métiers du livre : édition, impression, reliure, graphisme, typographie,
illustration et gravure. Je me suis spécialisée en gravure, technique qui m’a
fait découvrir les subtilités des nuances de noir et de blanc, les qualités d’un
trait, l’importance de la matière du papier et de l’encre. J’ai poursuivi mes
études en illustration aux Arts Déco de Paris avec l’idée que cette formation
me permettrait de faire du dessin, un métier. Une fois diplômée, j’ai commencé
à travailler comme illustratrice pour la presse et l’édition jeunesse. En
parallèle, a commencé une collaboration avec Damien Laverdunt. Ensemble nous
réalisons des livres documentaires, des cahiers d’activités et des albums
jeunesse. Ce travail d’auteur en duo qui évolue de livre en livre est riche et
permet de se lancer dans des projets difficiles à mener seul.
De retour, gouache sur papier, 12 X 16 cm, 2014 ©Hélène Rajcak |
CONVERSATIONS AVEC LES ANIMAUX INVISIBLES
C’est vrai que la plupart des livres réalisés avec Damien
traitent principalement des animaux, avec différents points de vue, du
documentaire à la fiction. Si les animaux sont bien le sujet, ce qui nous
intéresse, c’est d’apporter un regard différent, de tenter de changer le
rapport que nous avons aux animaux. Par le documentaire, nous avons abordé la
question de la responsabilité de l’homme dans la disparition des espèces, celle
de la frontière entre réel et imaginaire et celle de rendre visible des animaux
invisibles. A travers les albums, c’est toute une fantaisie et un humour que
nous donnons à des animaux très peu représentés dans
les livres pour enfants. Il s’agit là aussi de changer le regard sur ce qui
nous entoure.
J’ai bien sûr personnellement un intérêt et un attachement
pour les animaux que j’aime observer, dessiner, et avec lesquels j’aimerais
parfois pouvoir converser.
Chèvre blanche, croquis, 11 X 15 cm, 2015 ©Hélène Rajcak |
UNE PORTE VERS L’IMAGINAIRE
La lecture de Vendredi
ou les autres jours m’a beaucoup réjouie. J’étais très contente de
retrouver Robinson et Vendredi. Le texte m’a rappelé des souvenirs d’enfance
quand j’imaginais que, plus grande, je pourrais vivre dans la nature, fabriquer
une cabane, me procurer ma nourriture et être très bien organisée hors du monde
des humains. Le Robinson de Michel Tournier est seul, et, malgré
la rencontre avec Vendredi, il vit une expérience philosophique qui lui fait
renoncer à sa vie d’homme « civilisé » pour atteindre la vie au
présent. Dans le texte de Gilles Barraqué, Robinson et Vendredi ont déjà passé
ce cap et vivent en parfaite harmonie sur leur île « pas si déserte »
puisqu’ils ont fréquemment de la visite. Il n’y a donc pas de peur de la
solitude, juste une joyeuse vie d’inventions, de jeux, de ruses, de
dégustation. Mes illustrations ouvrent les chapitres.
Elles doivent interroger et susciter la curiosité du lecteur, se révéler une
fois le texte lu et si possible, le faire sourire.
Dans mon travail d’illustration, il me semble important que l’image
soit une porte vers l’imaginaire. Cet accès peut prendre des formes très
différentes. Des peintures jouant sur d’étonnants jeux de couleur, des images
oniriques, des dessins fourmillant de détails et parfois même, des
illustrations scientifiques peuvent nous entraîner vers des rêveries, des
élucubrations, des mondes inconnus.
La liseuse, gouache sur papier, 12 X 16 cm, 2014 ©Hélène Rajcak |