Petite java littéraire autour d’une gueule grande ouverte sur la nourriture du récit, de danses avec la vie, de fesses déclouées par un vaste appel du courage, de pantoufles et d'un tomahawk, en marchant en écrivant de mots rythmés, de formes et de barèmes littéraires ou de l’art du conte bien compté. Rencontre(s) et bavardages avec un écrivain qui « passe beaucoup de temps assis sur son fauteuil à bascule » à inventer un monde à brandir collectivement
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©Clémence Paldacci |
Pombo était d’un naturel paresseux. Il passait son temps à rêvasser, les pieds bien au chaud dans ses pantoufles. Il s’installait sur son fauteuil à bascule devant sa maison et laissait son imagination faire le reste.
SURGI DE NULLE PART
En l'occurrence, ce texte est né avec le
surgissement d'une phrase, qui d'ailleurs ouvre le récit : « Pombo
était d'un naturel paresseux ». L'origine du texte du texte dépend donc de
l'origine de cette phrase et, dans la mesure où elle m'est apparue subitement,
sans crier gare, je serais tenté de dire que ce texte trouve son origine dans
ce drôle de lieu qu'est nulle part...
La question de la nourriture jetée dans la fosse à
histoire est compliquée à aborder, aussi, pour ma part. Dans la mesure où je ne
mène pas de Grande réflexion sur un thème en particulier à traiter, que je
n'écris pas de Grandes lignes au préalable, que finalement je me laisse
embarquer au fil de l'histoire avec mes personnages, la façon dont je la
nourris est très peu tangible. Il y a beaucoup de paramètres, à mon sens, qui
rentrent en jeu en écrivant et tous doivent combiner pour faire s'élever la
voix propre de l'histoire. Il y a les obligations du récit à respecter pour
qu'il soit cohérent, le temps à maîtriser,
la place de la langue, des dialogues, du silence, de la sonorité des
mots, de la musicalité globale du texte, de la musicalité propre à chacun des
personnages. Je nourris le texte en orchestrant tout cela mais je n'ai pas de
méthode particulière pour y arriver. Je ne cherche pas à y réfléchir, à
proprement dit. Cela m'arrive à devoir le faire, pour X raisons, mais la
majeure partie de la place prise dans mon travail d'écriture, l'est par
l'improvisation. Alors dans ce cas-là, la nourriture apportée au récit reste
bien mystérieuse.
Bien
sûr, il ne prenait guère de risque à rester les fesses clouées à son fauteuil.
D’aucuns diront qu’il ne se frottait pas à la vraie vie. Qu’il n’était qu’un
fainéant et un peureux. Mais Pombo préférait faire l’économie des égratignures.
Au moins, sur son rocking-chair, il était en sécurité.
Java
voyait tout ça d’un drôle d’oeil. Contrairement à son ami, lui ne pouvait
rester en place plus de deux minutes. Il lui fallait sans cesse caracoler à
droite ou à gauche, revenir sur ses pas, et partir à la découverte du monde.![]() |
©Clémence Paldacci
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le bruit de la terre qui tremble, LE
BRUIT DE LA FÊTE ENDIABLÉE
Le récit s'ouvre donc ainsi : « Pombo
était d'un naturel paresseux ». Pour moi il était évident qu'en nommant
ainsi cet ours (car en le nommant il devint ours aussitôt), je ne l'affublais
pas d'autres caractéristiques que celle de la paresse ou de l'oisiveté. Il y a
dans la sonorité de son nom quelque chose d'inévitablement pataud, comme le
bruit de la terre qui tremble sous les pas lourds d'une immense bestiole...
Je pense que Java est très vite arrivé sur le
papier en guise d'antithèse à Pombo pour faire l'équilibre avec son
tempérament. Le nom de Java a une sonorité plus électrique et plus festive que
son compère, il entre dans la vie d'une manière beaucoup plus endiablée.
En tout cas, je trouve que ces deux personnages,
(et leurs noms), parlent beaucoup de la façon dont on peut avoir tendance à
danser avec la vie. Conduire ou se laisser conduire. Il y est beaucoup question
des rythmes qui traversent chacun de nous et des possibilités de les faire
s'accorder, malgré leurs différences. Les faire ralentir ou s'accélérer selon
les aspirations de l'Autre. Sortir des postures habituelles.
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©Clémence Paldacci |
L’ÉVEIL DU
COURAGE ET SES REDOUBLEMENTS
Ici l'éveil du courage intervient grâce à l'Autre.
On fait rarement preuve d'un grand courage en restant les fesses clouées à son
fauteuil à bascule, comme Pombo. Du moins, Pombo ne s'y frotte guère, en
réalité. Il est courageux dans ses pensées,
dans la représentation de lui-même, dans ses rêveries.
Le fait que son ami Java lui demande de l'aide, le
pousse dans ses retranchements. Il est amené à combattre sa peur excessive du
danger, sa peur du vide, sa peur d'entreprendre en somme.
Il fait preuve de courage à deux reprises : la
première pour monter en haut de l'arbre, qui est une entreprise réfléchie, qui
le fait naviguer sans cesse entre élan et recul. Il y a je pense dans cette
version du courage la recherche du dépassement de soi, une manière de façonner
une confiance qui lui fait défaut (il a très envie de monter à cet arbre), de
se hisser également à la hauteur des attentes de Java. Cette version du courage
est davantage liée à la peur que le courage dont fait preuve Pombo par la
suite. Lorsqu'il sort de chez lui en défiant l'orage pour sauver son compagnon,
il n'y a aucune préméditation à le faire de sa part. Il le fait parce que la
seule chose qui l'anime à ce moment-là est de sauver la vie de Java. La peur se
transforme en une grande vitalité, une énergie folle qui ne l'empêche plus. C'est
une forme de courage plus primaire, instinctive, qui lui permet a posteriori de
se sentir vivant.
−
Tu vas finir par te blesser avec ton tomahawk, Java.
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©Clémence Paldacci
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−
Et comment crois-tu que je vais tailler ça comme il faut, Pombo ? On ne
fait pas une cabane en regardant passer les hirondelles à ce que je sache.
−
Les outils comme ça, c’est pour faire la guerre. Pas pour fabriquer une cabane.
Là, c’est un peu comme si tu mangeais ton pot de miel avec une pelle à neige.
tomahawk et pantoufles, guerre et paix
Guerre et paix, si l'on exagère. L’histoire de ces
deux ours permet davantage de mettre en opposition deux tempéraments
antinomiques (action versus inaction, peur versus inconscience...) et de parler
de leur terrain d'entente. Ils ne peuvent se trouver qu'à force de concessions
et d'efforts mêlés. C'est une histoire d'adaptation à l'autre. Il leur faut trouver
le consensus entre le tranchant du tomahawk et le molletonné d'une charentaise,
effectivement.
Il se réveilla dans la soirée, alors qu’un déluge s’abattait sur la forêt. Des éclairs jaillissaient du ciel et venaient lécher la cime des arbres. Le tonnerre, en roulement de tambour, battait le rythme de la tempête.
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©Clémence Paldacci
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Il se réveilla dans la soirée, alors qu’un déluge s’abattait sur la forêt. Des éclairs jaillissaient du ciel et venaient lécher la cime des arbres. Le tonnerre, en roulement de tambour, battait le rythme de la tempête.
le courant de la musique des mots
Plus que de recherche, il s'agit de préoccupations
autour de la sonorité et de la musique d'un texte. C'est pour moi très
important, à tel point que l'intrigue est une chose qui passe complètement au
second plan pendant les premières pages d'un texte. Je suis obligé d'y revenir
pour ne pas raconter n'importe quoi mais, j'aime bien suivre pendant un temps
et sans trop me poser de questions, le courant de la musique des mots. Je suis
quelqu'un qui bat sans cesse le rythme. En marchant pour combler le silence
entre le bruit de mes pas. Je compte aussi. Les syllabes de certaines phrases.
Et lorsque j'écris, il m'arrive de sentir que je dois rajouter un mot ou en
enlever un dans la phrase, pour qu'un certain tempo, une certaine mélodie, soit
respectés.
Et puis, il y a tellement de mots à écrire. Des
mots immensément beaux qui, mariés à certains autres, font chanter
merveilleusement les personnages et le reste... En tout cas, je ne cherche
jamais à me brider quant au vocabulaire (au risque de produire des textes qui a
priori excluraient certains lecteurs). Mais ceci est une autre affaire et c'est
bientôt l'heure du repas...
La question des dialogues tient, elle, davantage du
jeu. Je soigne beaucoup cela pour que l'on ait au maximum une impression de
justesse dans leur façon d'exister, leur psychologie. Ils doivent avoir une
certaine consistance, les personnages. Il ne s'agit pas simplement de les
résumer...
− Java, pourquoi faudrait-il que ta cabane se trouve perchée tout là-haut ? Elle est très bien au sol.
− Java, pourquoi faudrait-il que ta cabane se trouve perchée tout là-haut ? Elle est très bien au sol.
−
C’est pour voir le lointain, Pombo.
− Le
lointain, je n’ai qu’à fermer les yeux pour le voir, Java.
Je n'avais aucun souhait en particulier mais
effectivement, ce texte se rapproche très certainement plus de la forme du
conte. L'utilisation du passé et notamment de l'imparfait n'y sont pas
étrangers, je pense. Le fait que le texte soit plus condensé, aussi. Après je
ne sais pas tellement à quoi cela tient en fait. Je ne suis pas un grand
spécialiste des genres. J'espère juste être payé de la même manière si j'écris
un conte plutôt qu'un roman... D'ailleurs, est-ce que des barèmes existent à ce
sujet ? Parce que si le conte est genre un sous-genre, moins rentable et
donc moins rétribué qu'autre chose, je pense que Pombo Courage serait plus proche du roman finalement...
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©Clémence Paldacci |
ÉCRIRE EN
PRENANT DE LA HAUTEUR DANS UNE CABANE PERCHÉE
Il est sûrement plus facile de restituer le monde
en l'ayant au préalable observé. D'ailleurs même quand j'écris, je vois les
choses de haut. Pas que je dédaigne l'histoire mais, c'est plus simple ainsi de
tirer les ficelles, de mettre en scène tout ce petit monde.
Un
jour, il lui prit l’idée de construire une cabane. Une cabane haut perchée d’où
il pourrait observer le lointain. Il choisit un chêne robuste et assez vieux
pour supporter qu’on s’y installe et commença les travaux.
UN MONDE EN
COMMUN OU LES NOUVELLES BRÈVES LONGUES
L'idée de développer une série à partir des
personnages de Pombo et Java ne m'a jamais effleuré l'esprit. J'ai toujours vu
cette histoire comme se suffisant à elle-même. Alors quand il m'a été suggéré
de réfléchir (tout de même) à cette possibilité de suite, il m'a fallu trouver
quelle forme tout cela pourrait prendre. D'où le projet de série autour d'un
lieu, non consacré à des personnages
récurrents, et la forêt m'a paru le lieu idéal pour poser les bases de ce
« nouveau monde ». C'est un endroit parfait je trouve, pour
l'implantation de l'imaginaire.
L'idée est d'écrire des histoires à propos des
habitants de cette forêt. Des histoires courtes, qui n'ont pas forcément de
lien entre elles et qui serviraient à dépeindre le monde, dans toute sa
diversité. Le territoire est un prétexte pour pouvoir intervenir différemment à
chaque récit : en termes de langage, de registres, d'émotions, de
couleurs, de musique. Comme se décline notre propre monde en fait. Les Brèves
de la forêt seraient au service d'un grand reportage sans vraiment de limite,
puisque le territoire est évoqué mais pas défini. J'aimerais qu'au fil des
histoires, petit à petit, une carte se dessine avec les repères topographiques,
des indications du lieu où les histoires se passent. Ce serait une carte en
mouvement perpétuel, aux frontières poreuses. Tout cela pourrait s'étendre très
loin.
D'un point de vue « général », l'idée
serait qu'il y ait un illustrateur différent pour chaque histoire, qu'il y ait
autant de collaborations qu'il y a de récits, que ce monde soit riche de la
pluralité. Le projet, en somme, est d'esquisser un monde fait d'aspirations
artistiques différentes. Un monde à brandir en commun.
Pombo
Courage
Émile
Cucherousset
Illustrations
de Clémence Paldacci
Petite
Polynie
En
librairie le 21 mars