lundi 7 octobre 2019


L’ART HEUREUX DE LA DÉFAITE OU LEUR ARIZONA


− Tu te souviens ? Ici, je t’ai enseigné l’art de la défaite.
− Tu as plutôt réussi dans le domaine, pas vrai ?

− Quand nous serons sous notre toit de chaume, nous pourrons faire l’amour dans un silence absolu.
− Tu me raconteras ?
− Te raconter quoi ?
 L’Arizona.





Sélection Prix Vendredi 2019
Sélection du Prix des ados des Alpes de Haute-Provence
Sélection Prix des collégiens de Gironde


Pour les vacances, Adam rentre à Brest, dans cette ville si particulière qui ne lui a jamais offert qu’un horizon obstrué par l’immensité des grues et de lourdes absences. Adam a grandi avec sa mère. Son père les a quittés une nuit, et n’a jamais donné signe de vie. Adam a vécu avec ce morceau de vie inachevé, inexpliqué. Mais il a aujourd'hui en mains une lettre de la femme de son père, envoyée d’Arizona, qui lui annonce sa mort quelques mois plus tôt. Le pli contient des lettres que son père lui avait écrites, les seules qu’il n’a jamais eu le cœur de détruire. Autour d’Adam gravitent des personnages indispensables à sa quête de réponse: son ami Nathan (caché derrière le prénom de Jack), incandescent, insaisissable, désespérément juste, sorte de miroir des bouleversements de l’adolescent; Aeka, passionnée autant qu'allumée; et Katel, qui est pour Adam à la fois le mystère, la découverte, la rencontre dévorante. Ce récit puissant dresse un rapport au temps magistral, construit comme un roulis fait de multiples moments passés qui renvoient au présent dans lequel Adam prend en main ce que la vie lui donne. Une histoire en mouvements qui emprunte au surf cette danse des vagues et une attirance mystérieuse pour l’immensité, l’inconnu, la déferlante qui emporte tout et sur laquelle la vie nous apprend à glisser.
Sorcières du jour Cinq étoiles, Aurélie Lucchi Librairie La Carline


Grande Polynie, collection tant mise en lumière par leur premier roman: coup de poing, chroniqué, plébiscité à multiples reprises; Milly Vodovic texte in-croy-able (c’est grâce à de tels livres que j’aime tant mon métier de libraire jeunesse !) avec la sublime couverture illustrée par Jeanne Macaigne (bisous copine ^^). Ils ont mis le paquet ! pour leur premier, comme on dit.
Surf, c’est le premier roman (aussi, mais) jeunesse de Frédéric Boudet. Encore un texte fort, poignant, qui nous embarque aux côtés d’Adam, jeune homme de 19 ans.
Adam vit avec sa mère-fantôme, âme errante depuis le départ de son mari. Quand il est parti Adam avait 11 ans, depuis plus aucune nouvelle. Ils vivent à Brest, dont le seul mouvement est celui des vagues. C’est peut-être afin de créer quelques vagues qu’Adam sèche ses études de graphisme et traine avec son meilleur pote Jack (enfin… c’est Nathan pour de vrai mais…) qui vient de rencontrer une meuf tout aussi chelou que lui, tout aussi attachante : Aeka (ils enregistrent le silence – j’vous jure ^^). Il y a aussi cette rencontre avec cette nana : Katel, restée elle aussi dans le coin et qu’il n’avait pourtant jamais remarqué.
Pour en revenir à l’histoire : une lettre est arrivée. Elle est signée d’Helen; elle lui apprend la mort de son père il y a 2 semaines : cancer du poumon. A ce courrier sont jointes des lettres, qui lui a écrites toutes ces années sans lui avoir fait parvenir. Père volatilisé, mots encrés. Partir alors sur les traces parcemées de cet homme-fantôme, Adam flirt avec les non-dits, les révélations tel un surfeur acrobate-amateur.
Au rythme du vent, la lecture de ce roman vous enveloppera, vous retournera telle une vague de l’océan atlantique. Vous deviendrez alors ce surfeur qui essayera de dompter les vagues, le vague à l’âme, avec ce zeste de folie, d’inconscience et ce soupçon de lâcher prise …
J’sais pas pourquoi mais ce livre m’a donné cette envie folle de revoir l’un des films de Rémi Besançon : « Le premier jour du reste de sa vie » !?
La soupe de l’espace, Mélanie Pichinoty



(Chronique ~ Coup de cœur)
Aujourd'hui je vous parle d'un roman particulier. Pourquoi particulier ? Parce que c'est le second roman publié dans la collection Grande Polynie aux éditions MéMo et que c'est aussi mon second coup de coeur dans cette collection avec Milly Vodovic de Nastasia Rugani. Un sans faute. Et j'ai comme le pressentiment que tous les romans choisis par Chloé Mary seront des découvertes bouleversantes 
Un grand merci pour l'envoi de ce roman génialissime signé Frédéric Boudet.

Mon résumé : Brest. Adam. Jack-Nathan. Aeka. Katel. Chacun des personnages de cette histoire, des morceaux de la grande, des empreintes de la petite. Brest se fait décor, amie et ennemie, tantôt réconfortante, tantôt déprimante. Il y a en elle cette fougue des villes bruyantes et cette tranquillité ennuyeuse ou amère. Adam se fait narrateur, porteur d’un deuil depuis l’enfance, empli d’un tas de m(aux)ots qui se font aujourd’hui souvenirs et qui le ramènent, pas après pas, vers son passé. Un passé partagé avec un père croyant aux rêves des indiens et une mère-licorne peu à peu fânée. Jack-Nathan, lui, est un géant. Un géant dont les phrases sans queue ni tête, l’envie permanente de vacarme, de se plonger dans tout ce qui touche, tout ce qui explose, de déglinguer des surfeurs le rend d’une sensibilité désarmante, presque hallucinée. Aeka, elle, enregistre tout. Elle enregistre les bruits du monde, rire, ronflements, sanglots, et puis le vide aussi, le vide de la nuit, des silences, des pensées. Elle en fait des morceaux percutants et percutés qui tantôt défonce les oreilles, tantôt défonce le cœur. Katel est presque la plus douce, la moins allumée. Elle a ses mots à elle, parfois brûlants, parfois tendres, toujours justes, plongée dans cette sorte de transe psychanalyse qui la fait comprendre ces grands fous-malades. Et dans le fond, cette partition douce-amère du passé et de l’avenir, de lettres écrites mais jamais envoyées, d’un père absent, de parents étouffants, de Japon lointain et de souvenirs.
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"Surf est un roman difficilement identifiable, difficilement chroniqué. Il ne peut que vous parler. Il a cette sensibilité des artistes incendiés, la chaleur des lumières vives, et parfois cette folie douce-amère que l’on noie dans les vagues. Il a cette écriture magnifique, ces personnages touchants et bouleversants, et cette façon d’osciller entre passé et présent, avec les bruits du monde, la rage au ventre. Un coup de cœur 
"

Surf n’est pas à proprement parler une histoire de surf. Ce serait plutôt une façon de surfer sur un passé, une douleur, de surfer vers, de surfer pour, de se prendre des vagues en pleine tronche et de les chevaucher avec toute la fougue, la rage et l’enchantement d’un géant, d’un poète qui se doit de devenir équilibriste pour ne pas sombrer, d’un adolescent qui croit qu’il peut posséder le monde mais qui ne peut que tenir debout, encore et toujours. Peut-être que c’est ça Surf ou bien pas du tout. Qu’importe.
« Tu disais que tous ces enfants allaient vieillir un jour, que leur sourire, leur visage, les mots qu’ils auraient prononcés un matin en se levant avant d’aller à l’école, les rêves qu’ils auraient faits cette nuit-là, tout allait cesser d’exister. Tu n’acceptais pas que même les instants les plus insignifiants puissent disparaître, être oubliés, que la vie ne soit finalement qu’une accumulation de choses disparues. Tu me faisais frémir, parfois, avec tes théories étranges sur le temps qui passe ».
Il y a dans ce roman-ci comme une énorme métaphore de l’existence. La façon dont on fui et dont on revient, inlassablement, d’un point A à un point B, non pas de manière fixes d’ailleurs mais de façon tout à fait aléatoire. Il y a cette partie de l’enfance à l’adolescence où inlassablement on ressasse, on aimerait rester cet enfant à qui l’on va montrer le chemin du doigt, et en même temps la façon dont on va fuir ces embrassades qui nous ramènent sans cesse en arrière sans trop comprendre pourquoi. Et puis il y a l’adolescence à l’âge adulte, toujours cet entre-deux qui recommence, où l’on ne sait plus très bien si l’on se construit toujours sur le passé ou si on a enfin commencer à construire un futur. Cet entre-deux continue éternellement et c’est peut être pour cela que le père d’Adam s’échappe. Il s’échappe à travers les pensées et les préceptes des shamans navajos, s’échappe à travers les histoires d’odyssée et de rêves qu’il conte à son fils, puis s’échappe tout à fait en traversant l’Atlantique direction les états unis. Et pourtant lui aussi écrit sans cesse à son fils qu’il a laissé. Peut-être que l’on est condamné, à être tiré puis ramené par les courants de l’existence, ou bien peut-être que l’on peut tenter de surfer sur la vague. Je crois que c’est un peu ça que Jack et Adam doivent apprendre. Leur quête. Surf, au delà de ses mots extraordinaires, de sa prose entre poésie et violence, à l’image des stickers et des phrases que pouvait placarder Adam sur les murs de Brest et Paris, veut nous conter quelque chose.
« Adam murmure, il murmure et le vent, l’air sont une compresse douce contre ses lèvres, un pansement de silence. Il ouvre la bouche, ses yeux, sa poitrine, et il est presque aussi grand que le terrain dénudé autour de lui, presque aussi grand que le quartier, la ville, la rade, il devient la rade, l’océan et la houle – il y a quelque chose qui se tient là, quelque chose ou quelqu’un. »
Parce que bien évidemment, bien avant l’histoire je me suis attachée aux mots. A cette façon d’écrire, de penser, de dire des choses, d’en laisser parler d’autres. Cette façon de se faire se succéder et le point de vue des souvenirs, et le point de vue des lettres, et le point de vue d’Adam. Et parfois même d’autres. Cette façon de parler à mi chemin entre les poèmes et le rap, sous des airs de slam déguisé mais qui de manière tout à fait extraordinaire m’a fait me sentir immensément proche d’une douleur inconnue, de sensations nouvelles, de musiques jamais écoutées. Les mots, c’est quelque chose d’important. C’est ce qui va conférer à un ouvrage toute sa sensibilité. Je sais lesquels me parlent. Je sais aussi que parfois je lis des romans dont l’écriture n’a rien d’exceptionnel, où l’histoire a davantage sa place. Mais quand les deux sont mélangés à la perfection, comme dans Surf, comme dans Milly, comment ne pas tomber sous le charme ?
« Jack était juste un génie précoce. Un géant abandonné sur les rives d’une civilisation où il valait mieux devenir comptable, ou employé au CHU, que prophète ou artiste incendié de l’intérieur. Tant pis pour vous si votre ADN flirtant avec celui des shamans. En Mongolie ou en Sibérie, à une autre époque, il aurait commandé au tonnerre et à la foudre et serait devenu le guide spirituel d’une coalition de tribus. »
Alors oui, je ne vous dis pas grand chose de l’histoire et je vous laisse avec mes impressions toutes personnelles, je vous livre des petits bouts de rien, je vous donne les citations qui m’ont percutée de plein fouet, (et pourtant il y en a eu tellement que le choix fut rude), mais vous en dire trop serait aussi sans doute détruire la magie de cet ouvrage. Alors je vais parler des choses autour. De ces petites choses qui font de ce roman un grand roman. A commencer par sa critique, vive et amère, de notre société moderne. J’y ai reconnu un peu du Fraternidad de Thibault Vermot, une lecture récente, piquante, qui comme Surf vient nous parler des aventures du dedans et du dehors. A travers le récit d’Adam, les mots parfois instinctifs, brutes de Nathan-Jack, à travers la folie musicale d’Aeka, on reçoit ces personnages-ovnis comme autant d’espoir et d’émerveillement.
Peut-être que notre société nous annihile, et nous pousse à vivre des rêves de pacotille enrubannés dans un carcan sociétal dont on ne sort plus tout à fait, poussés à la quête du bonheur absolu, oubliant les creux, les oublis, la tristesse, les larmes qui te font sentir mille fois plus vivant ensuite. Un carcan qui te pousse à juger les cœurs malades de fous, les « incendiés » de l’intérieur de mentalement déficients. Alors je ne sais pas si c’est l’objectif de ce genre de roman, de nous pousser à voir le monde autrement, nos vies autrement, nos silences autrement. Mais c’est ainsi que cela fonctionne sur moi et je suis heureuse de faire ce genre de rencontres littéraires bouleversantes.
« Arrête de te faire croire que tu ne sais pas où tu en es. Tu es paumé parce que tu as laissé ta mère te fabriquer un petit enfer de grâce et d’oubli. Brûle tes foutues boîtes. Moi je vais attendre ici que l’on vienne me chercher, « C’est l’heure de la cantine, monsieur Jack », et je mettrai mon doigt dans le cul de ces infirmiers qui ont tant de poils sur les bras que ça me donne envie de les mordre jusqu’au sang, de leur arracher leur peau de lapin pour dégager l’homme qui est là-dessous – c’est un enfant qui pleure, oui, je sais Adam. Alors prends ton enfant qui pleure sous le bras et tire-toi d’ici tant qu’il est encore temps. Va embrasser ton père sur le front une dernière fois, si ça doit t’aider à trouver l’illumination. Tu sais quoi, Adam, tu fais chier à copier la geste de ma déroute, elle m’appartient, je t’aime, alors tu fais chier. »
C’est aussi une histoire d’amitié touchante, de personnages. C’est d’abord l’histoire d’Adam bien sûr, c’est sa quête, son chemin, son père, ses lettres, ses souvenirs. Mais c’est aussi les autres qui gravitent autour de lui. Et j’ai aimé que l’on ait cet aperçu des autres, de sa mère, ressemblant à une licorne voilée à qui l’on aurait pris toute sa lumière, qui aurait trop donné de soi sans se garder un peu, de son père aussi, à travers ses lettres, mais surtout de ses trois amis. Jack d’abord, le géant-balancier, Aeka ensuite, mais aussi Katel. Avec sa joie, sa lumière, son indépendance. Katel c’est celle qui vient après, qui a déjà fait le pas de relâcher ses épaules, accepter son passé comme ce qu’il est : le passé. Elle est la lumière et Adam le papillon qui vient s’y lover. Pourtant à aucun moment elle ne brûle. Et j’ai trouvé ça beau, avec tout ce que leur relation implique : l’amour, le sexe, le partage. Mais au delà de tout cela c’est se fondre l’un dans l’autre, et se redécouvrir une lumière intérieure, une magie secrète au fond de soi.
Les dream-dream d’une bouquineuse

La vie, c’est parfois comme une vague, une déferlante qui peut prendre de court, désarçonner, emmener loin celui qui se risque à se laisser glisser, bousculer ou encore malmener qui ne parvient pas à l’apprivoiser… Mais surfer sur la vague requiert un équilibre savant. L’âge charnière qu’est l’adolescence est peut-être celui où l’exercice est le plus périlleux : l’envie de s’élancer, de créer et d’explorer les océans du monde cohabite alors souvent avec des questionnements existentiels, l’aspiration à faire table-rase et la peur d’échouer…
Voilà ce dont nous parle ce roman inclassable qui paraît aujourd’hui. L’histoire est celle d’Adam qui espère, depuis des années, des nouvelles de son anthropologue de père, évaporé quand il n’avait que 8 ans. Cet abandon incompréhensible les a laissés, lui et sa mère, complètement désemparés, silencieux, figés, encore des années plus tard, dans un passé à la fois idéalisé et dont l’évocation reste terriblement douloureuse.
« Depuis sa disparition, onze ans auparavant, il ne m’avait jamais donné aucune nouvelle. Je n’avais rien oublié. Je me souvenais de lui comme s’il était parti hier. »
Le récit s’amorce alors qu’Adam vient, enfin, de recevoir une lettre lui annonçant la mort de son père, assortie des courriers que ce dernier ne lui avait jamais envoyés. Moins qu’une élucidation des circonstances de l’abandon brutal, qu’on souhaiterait pourtant avec autant de force qu’Adam, le roman montre comment il parvient à puiser dans ces courriers et dans son entourage la force d’admettre sa situation, d’aller de l’avant avant que sa propre vague ne se fracasse sur le rivage brestois. Jack, son ami d’enfance tourmenté par ses propres questionnements métaphysiques, l’incandescente Aeka et la tendre Katel lui font progressivement comprendre, chacun à sa manière, qu’il est temps de rompre les amarres avec un passé obsédant, de cesser de dériver au gré des courants, et de commencer à embrasser une vie dont il pressent déjà toutes les potentialités.
Le roman n’hésite pas à aborder de front les tourments métaphysiques de ceux qui se risquent sur la crête vertigineuse de la vague et a donc un côté très sombre… mais le message est résolument optimiste et émancipateur.
« Jack était juste un génie précoce. Un géant abandonné sur les rives d’une civilisation où il valait mieux devenir comptable, ou employé au CHU, que prophète ou artiste incendié de l’intérieur. Tant pis pour vous si votre ADN flirtait avec celui des shamans. En Mongolie ou en Sibérie, à une autre époque, il aurait commandé au tonnerre et à la foudre et serait devenu le guide spirituel d’une coalition de tribus. »
Ce texte très littéraire, fourmillant de références, prend les adolescents au sérieux. Les métaphores sont puissantes – qu’il s’agisse de la ville de Brest, de l’océan ou du thème récurrent de l’Odyssée – et les dialogues vertigineux. Le rythme est lent, non-linéaire, sinuant au gré de l’incursion des souvenirs et des spirales de pensées inspirées par la déambulation d’Adam à travers Brest. J’ai à plusieurs reprises été un peu déroutée par cette forme un peu échevelée du récit et par l’ambiguïté de certaines scènes dont je n’ai pas su dire si elles relevaient du récit, de l’imagination du protagoniste ou d’une métaphore filée. Je n’en ai pas moins pris beaucoup de plaisir à découvrir la belle plume de Frédéric Boudet et à voir sous mes yeux Adam se lancer à la conquête des vagues de sa vie. On sort de cette lecture avec l’envie de croquer la vie à pleines dents, et de créer…
« Me perdre en Patagonie. Des glaciers accrochés aux sommets des montagnes, des kilomètres de désert de broussailles des fleuves aux eaux vertes, des villages désolés, des hors-la-loi à la nationalité douteuse, la main sur le couteau, deux océans qui se jettent violemment l’un contre l’autre, ça fait envie, non ? »
L’île aux trésors


Surf est un roman initiatique sur fond d’Océan Atlantique qui sans nul doute vivifiera votre rentrée.
Un roman qui attaque à l’air iodé et dont l’ambiance saline creuse les blessures…
4 adolescents en quête de sens et de liberté se retrouvent à Brest ville de leur enfance ou d’adoption.
Face à la mer, ils essaient de trouver la vague, de se dresser sur les surfs de leurs vies, et de tenir debout pour rejoindre leur destin.
Mais que de plongées ont-ils à affronter !
Adam, le narrateur, vit en apnée depuis la disparition de son père. Un père qui réapparaît dans des courriers et qui lègue à son fils une vie fantasmée par l'absence. Adam est obsédé par les raisons qui ont poussées son père à les quitter, lui et sa mère. Aura t-il la force de marcher dans les pas de son père en s'envolant vers l'Amérique? La mère d’Adam, femme-fantôme tellement touchante tant elle est démunie face à toutes les bourrasques qui la font vaciller.
Le frère-ami d’Adam, Jack-Nathan, enfermé dans sa folie, encombré par un corps informe, détruit petit à petit par le flux et le reflux des marées qu’il se prend comme autant de coups dans la gueule se bat pour tenter de dompter la vague qui le noie peu à peu. Jack, clochard céleste à la Kérouac, étouffe dans le carcan du monde.
Et puis il y a ces deux filles qui font un bout de chemin avec Adam et Jack, Aeka qui enregistre la vie et Katel qui n’aspire qu’à vivre.
Le premier roman pour la jeunesse de Frédèric Boudet traverse les affres adolescentes comme une lame de fond. On en ressort rincé mais prêt pour un nouveau départ.
Bon vent….
Libellule&Coccinelle

Surf, c’est l’histoire d’Adam, 18 ans, qui ne sait pas par quel chemin commencer sa vie.
C’est également l’histoire d’un père disparu bien trop tôt dans la vie de son fils (Adam) et qui revient auprès de lui, après sa mort, sous forme de lettres. Des lettres qu’Adam va lire à son rythme, partagé entre impatience et colère, curiosité et anxiété.
C’est encore l’histoire d’une amitié hors normes (entre Adam et Jack, un sacré personnage complètement barré) et essentielle.
C’est enfin l’histoire d’une rencontre improbable avec Katel sur une aire d’autoroute, ce genre de rencontres qui tombe juste bien pour peu que l’on lève les yeux et que l’on se fasse un peu violence pour qu’elle « donne quelque chose ».
Pour moi, il ne s’agissait en rien de continuer, mais de commencer, de commencer enfin.
Dans Surf, il y a l’apprivoisement nécessaire d’un père inconnu par son fils pour se sentir droit dans ses baskets et dans sa vie.
Surf, c’est une quête de soi qui est superbement menée par son auteur qui ne nous livre pas tout, ne nous mâche pas tout : on doit s’impliquer en tant que lecteur pour relier les choses. On est tour à tour bien ancrés dans la réalité, on fait des incursions contées, on imagine la Californie (où le père d’Adam a fini sa vie). Les points de vue et les tons sont variés et c’est assez génial ! Durant ma lecture, je me suis retrouvée plusieurs fois à lire et relire des passages que j’ai trouvés d’une force et d’une intelligence folles :
− Quand un type psalmodie durant des heures des trucs bizarres dans la cafétéria d’une aire d’autoroute, ou bien il est fou, ou bien on risque de beaucoup apprendre à son contact, pas vrai ? Les gens ne réfléchissent jamais à leur vie comme à une succession d’occasions à saisir, ils sont obnubilés par la peur. Elle leur fait croire que leur vie a un sens parce qu’ils savent prétendument de quel côté il faut se tenir.
(…) l’équilibre du monde réside dans sa beauté, ce qui pour nos cerveaux d’Occidentaux est à proprement parler insupportable.
-
− Tu ne cherches pas au bon endroit, Adam. Ton histoire de pigeon, ça craint, oublie ça. Ce qu’il faut c’est comprendre pourquoi ces mecs restent des heures perchés sur leur planche sans jamais redescendre.
− Je ne cherche rien, Jack, rien du tout.
− Si, je crois bien que si, tu cherches mais tu n’es pas sûr d’être à la hauteur de ce que tu vas trouver. J’ai grossi, non ?

Avec Surf, il faut oser prendre sa planche et trouver la vague…
Pour finir, je ne saurais trop vous recommander d’aller sur le blog Nouvelles de Polynies et de lire les propos de Frédéric Boudet recueillis par Chloé Mary –aka l’éditrice de cet excellent roman et de tous les autres textes de la collection Polynie !, c’est en 4 parties et c’est absolument passionnant.
Et je vous invite aussi à consulter LES NOUVELLES DE POLYNIES ÉDITION N°4 !
Chez Gaëlle la libraire, Gaëlle Farre

Back to Breizh
C’est la rentrée, l’occasion de reprendre de bonnes habitudes…
A mon retour de vacances en Bretagne, j’ai eu le plaisir de découvrir dans ma boîte aux lettres, le nouveau roman de la collection Polynies des éditions Mémo. Vous le savez sans doute, j’apprécie beaucoup cette collection. Le roman « Surf » de Frédéric Boudet s’adresse aux adolescents.
Le récit se déroule à Brest. Adam, un étudiant de 19 ans, quitte précipitamment Paris et les cours de graphisme avant la fin de l’année scolaire. Une des raisons : une lettre de la femme de son père lui annonçant qu’il vient de mourir d’un cancer et plusieurs lettres que son père lui avaient adressées mais jamais envoyées. Ce dernier, les avait quittés lui et sa mère, quand il était tout petit pour aller  vivre aux Etats-Unis. Depuis, aucun contact sauf une fois sur son répondeur lors d’une fugue quand il était plus jeune.
A Brest, il retrouve son ami de toujours, Nathan (qu’il faut appeler Jack), qu’il considère comme son frère et qui souffre de problèmes psychiatriques, et sa mère fantomatique.
Durant cet été, nous suivons Jack et Adam dans leurs pensées déroutantes : des pensées sioux en lien avec le père d’Adam, le surf et la musique  avec Jack et son amie Aeka aux réflexions d’Adam sur son envie d’avancer ou  d’aller sur les traces de son père et sa passion pour le street art . Sans oublier sa rencontre avec Katel, rencontrée sur une aire d’autoroute.
Un moment fort et émouvant accentuée par la syntaxe du roman où  dans quelques chapitres, le texte se laisse emporter, ne prenant plus la peine de respecter une ponctuation imposée, donnant du flou sur ce qui se trouve sous nos yeux : imaginaires, souvenirs ou continuité du récit. J’ai ressenti le même sentiment ambivalent lors de la lecture du roman Anima Motrix d’Arno Bertina l’an dernier. Perturbée par la syntaxe mais charmée par le texte qui nous fait lâcher prise et nous donne simplement envie d’entendre le son de ces mots comme de la poésie sonore. (Petite pensée pour l’une de mes collègues qui en ait passionnée).
Le moment qui m’a le plus ému est sans doute lorsqu’il raconte le départ de son père pour toujours.
Le parcours du personnage m’a aussi bluffé, on passe d’une adolescence où il collait des messages pessimistes  » Chaque jour le présent dévaste ce qui fut », qui gardait tout à un jeune homme qui souhaite trouvé des réponses pour aller de l’avant et qui fait le tri de toutes ses boîtes.
Après ma lecture, j’ai été lire l’interview de l’auteur sur le blog de la collection et j’ai beaucoup aimé la comparaison à l’Odyssée.
Je m’arrêterai là pour ne pas trop vous en dévoiler mais j’espère vous avoir donner envie de le découvrir. L’amour, l’amitié, l’abandon, la famille, les racines, la peur, vous serez certainement touché par ce roman et l’un de ses personnages.
Encore merci à Chloé Mary pour sa collection et bravo à Frédéric Boudet pour ce roman transportant.
L’atelier de cœurs


« Nous avons du mal à accepter que l’idée de beauté régisse l’univers. »
Après un mois d’août loin des sirènes de la rentrée littéraire, je reprends mon rôle de libraire et lis deux fois à la suite le même roman, ce qui m’arrive assez rarement. L’année dernière « Milly Vodovic», cette année « Surf ». Grande Polynie à nouveau. Le hasard n’existe pas. Le principe de beauté oui.
Gwendal Oules, Librairie Récréalivres



Sélection Rentrez 2019 de Guénaël Boutouillet

"Le présent pouvait faire cette petite place au passé, ils n'avaient rien à craindre l'un de l'autre." (p. 213)
Cette phrase, presque à la fin, je l'ai choisie (parmi tant d'autres que j'ai relevé) car elle me semble être le cœur de ce roman à la fois envoûtant et désarçonnant. 
C'est la recherche d'Adam. Celle de toute sa vie. Depuis ses 8 ans quand son père est parti et n'est jamais revenu. Lui Adam revient à Brest, délaissant son école de graphisme parisienne. Il ne sait pas encore que son passé va se réveiller, lui qui a tant cherché à rester sur le fil de sa vie, comme le surfeur sur sa vague, et ne pas se laisser engloutir par cet abandon paternel. Lui et sa mère ne le vivent pas de la même façon : lui bouillonne intérieurement alors qu'elle semble avoir capitulé. 
 Il reçoit une lettre de la femme américaine de son père, avec laquelle il a refait sa vie, lui annonçant sa mort. Sont jointes des lettres qu'il n'a jamais envoyé à son fils. Ce procédé permet de découvrir un homme entier, aimant, assumant ce choix mais douloureusement. Un homme passionné par les Navajos au point d'en faire sa recherche professionnelle.
 En revenant, il retrouve aussi Nathan-Jack, son ami de toujours, son frère. Complètement déjanté mais à la fois si lucide.  Il y a aussi Aeka, que lui présente Jack, une fille tout aussi barrée, passionnée jusqu'à l'obsession par ses enregistrements et mixages des bruits du quotidien. Il y a aussi Katel, jeune femme serveuse rencontrée sur une aire d'autoroute à l'entrée de Brest. Chacun de ces trois-là vont aider Adam dans sa quête si douloureuse que résume si bien la citation en début de cette chronique.
 Ce roman, c'est aussi une atmosphère : celle de la ville de Brest, de son port, de la mer, des corniches, de la nuit aussi. Mais sans la rendre trop réelle. Des souvenirs d’enfance qui jaillissent, des questions laissées sans réponse. Du street-art aussi sous forme de stickers collés dans la ville la nuit par Adam et Jack lycéens, comme des bouteilles à la mer bravant l'interdit et se sentir un peu vivants.
Ce sont aussi des voyages lointains qui vous bercent de leurs sensations. Comme si vous flottiez en apesanteur. Je crois que c'est ce mot qui définit le plus ce roman.
Je me suis laissée emporter par cette vague moi aussi, dans un lâcher-prise qui m'a à la fois remplie et vidée. C'est un roman entre rêve et réalité, avec une syntaxe et une construction qui s'affranchissent de bien des codes mais tout se tient, c'est là l'extraordinaire. Le lecteur se désarme de toute subjectivité dans ce roulis de sentiments et d'émotions. Jamais je n'ai eu peur pour ces personnages si vivants et latents à la fois. J'ai eu confiance en eux. Beaucoup de passages sont sublimes car ils invitent à une ouverture d'esprit grande comme la mer. En filigrane la métaphore du surf est comme un fil bleu à suivre du regard, le perdre, le retrouver, tout comme les personnages. Et plonger pour mieux renaître.
Une plongée intense dans l'adolescence, à la dimension mythique, comme je n'en ai jamais lu.
Je le relirais, c'est certain.
Et je vais aller lire ce qu'en dit l'auteur Frédéric Boudet sur le site des éditions MeMo. Mais pas tout de suite. Je n'ai pas envie d'explications. Pas encore...
Méli-Mélo de livres


Les premiers mots
– Un café et un muffin, s’il vous plait.

La fille m’a tendu mon plateau. Je suis allé m’asseoir à une dehors. Des enfants jouaient sur les tobogans et les balançoires multicolores.

Les personnages de ce roman ont ce quelque chose en plus qui fait qu’on a du mal à les quitter. On a du mal à se dire qu’une fois la dernière page tournée, ils ne seront plus là, à nous raconter leurs folles virées nocturnes, leurs enregistrements sonores, leurs découvertes de la vie, leurs peines, leur manque de l’autre.
Adam et ses comparses sont des adolescents pour qui la vie n’a pas été des plus tendres.

Le premier a été abandonné par son père durant l’enfance et il vient d’apprendre le décès de celui-ci à des milliers de kilomètres. Comment faire son deuil quand ce père n’a plus donné signe de vie? Comment réaliser que le temps ne se rattrape jamais.

Et puis il y a Jack, Aeka et Katel. Trois amis fragiles, tout aussi perdus dans leur quotidien.

Ensemble, malgré leur peine et leur difficultés parfois à s’ancrer dans le monde réel et non celui des souvenirs, ils partageront l’amitié et l’amour.

Il ouvre la bouche, ses yeux, sa poitrine, et il est presque aussi grand que le terrain dénudé autour de lui, presque aussi grand que le quartier, la ville, la rade, il devient la rade, l’océan et la houle – il y a quelque chose qui se tient là, quelque chose ou quelqu’un.
Ouvrir un roman de la collection La Grande Polynie c’est sans conteste rencontrer des personnages inoubliables. Tout comme Milly, Adam a ce quelque chose en plus, cette fragilité et cette sincérité qui laissent une empreinte indélébile.

L’auteur a réussi à rendre un Brest froid et terne en une ville des possibles. Où le fait d’être ensemble rend la vie un peu meilleure.

Si j’ai adoré le personnage principal, mon coup de cœur revient à Jack. L’ami fidèle et entier. Celui qui évalue la faisabilité d’une possible amitié en posant des questions existentielles. Celui qui souffre, parfois en silence, ou qui explose quand cela est trop difficile.

Bref, Surf m’a conquise. Merci!
Mes pages versicolores

Adam, étudiant parisien, revient plus tôt que prévu à Brest, chez sa mère, ce petit bout du monde qu’il atteint après un long voyage en stop. Quelques jours auparavant, il a reçu une lettre d’une femme lui apprenant la mort de son père d’un cancer, il y a deux mois. La lettre provenait de Flagstaff en Arizona. Ce père qui est parti étudier les Navajos et qu’il n’a pas revu depuis ses huit ans. La lettre n’est pas arrivée seule : avec elle, un petit paquet de lettres enveloppées dans un plastique épais et poussiéreux… des lettres que son père lui écrivait sans jamais les envoyer.
À Brest, Adam retrouve son ami d’enfance Jack, ce géant de deux mètres avec ses éternelles Ray-Ban, ce fou émotif fan de surf et de bruits avec qui, adolescent, il communiquait par télépathie et qui l’accompagnait dans ses flâneries dans les rues en disséminant des autocollants aux slogans philosophiques et nébuleux, propageant ses petits manifestes littéraires hallucinés. Aux cotés de Jack, il y a désormais l’étrange Aeka, une jeune japonaise qui enregistre le moindre son, le moindre bruit pour nourrir ses compositions acoustiques spéciales, à la recherche du son de l’angoisse sacrée.
Depuis qu’Adam a reçu la lettre, les souvenirs de son père affluent ; leurs baignades, leurs balades dans les champs et les forêts de la lande bretonne, les histoires à dormir debout qu’il inventait… De chacune des lettres, la voix du père résonne. Adam se questionne : pourquoi l’a-t-il abandonné ? Pourquoi n’a-t-il jamais donné de signe de vie ?
Quand il n’est pas occupé à questionner le souvenir de son père, Adam se retrouve avec Katel, qu’il a rencontré sur la route. Katel et son grain de beauté sur la lèvre. Katel et ses mots comme des pansements.
« Chaque jour le présent dévaste ce qui fut. » Cette phrase, Adam l’a collée dans toute la ville. Il est hanté par le temps qui file sans prévenir ; le temps qui nous dévore peu à peu. Il conserve la moindre chose,
vivant dans la peur que tout disparaisse un jour, parce qu’il sait que la mémoire n’enregistre pas tout – « ça ne t’a jamais paru insensé que la plupart des gens soient incapables de se débarrasser des objets qui composent leur passé ? »
Surf est un portrait de jeune homme saisissant et émouvant, à la recherche de ce père qu’il n’a jamais revu. Hanté par ses souvenirs d’enfant et les images qu’il conserve de lui dans sa mémoire. Un roman poignant et juste, parsemé de poésie – « écouter le sang de l’être rouler dans les veines de la voie lactée » -, qui nous fait réfléchir sur la mémoire, la perte, le temps, la folie des uns et des autres… A lire et relire. 
Livres de Folavril

Fabuleux roman, un roman d’adolescence, de sortie d’adolescence. (…) C’est plein de poésie extrêmement touchant, merveilleusement écrit. C’est vraiment un roman qui m’a énormément touché et c’est très rare, je le précise, je l’ai lu deux fois à la suite. Cela m’arrive très rarement de le faire, c’est un livre qui m’a vraiment ému. J’avais la peur d’avoir manqué quelque chose. Je voulais être un bon lecteur, un honnête lecteur vis-à-vis de ce roman qui mérite toute l’attention de ses futurs lecteurs. J’insiste vraiment, je le fais rarement pour les romans en général, celui-ci je voudrais qu’il rencontre le plus grand public possible. C’est un roman grands adolescents, je le conseille aussi aux adultes. C’est un roman sur l’amitié et sur le rapport de filiation, comment on s’empare de ses origines et comment on apprend à redécouvrir ses parents.
France Bleu, Emission Ça vaut le détour, Gwendal Oules

J'ai une confiance absolue dans le regard de Gwendal Oules, libraire au Mans, et ce sont ses mots qui m'ont convaincue, parmi les piles de livres dans le salon, de lire Surf, de Frédéric Boudet, qui vient de paraître aux éditions MeMo.
Je n'ai rien corné, parce que tout est beau, chaque image, chaque impression. On voit le film se dérouler sous nos yeux. Adam cherche les traces d'un père qui l'a abandonné il y a longtemps. Dans sa quête, il y a Jack, Aeka et Katel. Il y a surtout quelques lettres laissées par son père, bouleversantes. Je suis reconnaissante envers la littérature jeunesse quand elle nous offre des livres comme celui-ci, admirablement écrits.
Madeline Roth


Deuxième roman de la collection Grande Polynie que je lis, et encore une fois, je suis tombée sous le charme de la narration. Un roman plein d’émotions à un âge charnière, abordant différents thèmes de façon naturelle et touchante. C’est aussi un roman déroutant, un peu collant, inquiétant par moment. Mais par-dessus tout, j’ai ressenti à chaque page la solitude d’Adam. Bien qu’entouré de Jack-Nathan ou de Katel, il reste seul à traverser cette épreuve, si distant de sa mère qu’il en vient à redouter de lui parler. Seul aussi face à son ami, qui glisse dans la folie et qu’il est le seul à comprendre. Seul face à la vie, perdu à Paris, sans réussir à communiquer avec sa mère, un gouffre se creuse jour après jour.
Dans ce roman, tout commence par le retour d’Adam à Brest, la ville où il a grandi, pendant les vacances scolaires. Étudiant à Paris, il a fini par abandonner son cursus, sans raison particulière, mais ne trouvant pas le courage de l’annoncer à sa mère. À son arrivée, sa belle-mère lui apprend une mauvaise nouvelle: son père, avec lequel il n’a pas eu de contact depuis longtemps, est décédé. Elle lui fait parvenir quelques lettres et l’invite à venir passer quelques jours aux USA, là où il habitait. Le traitement des émotions d’Adam m’a soufflée, tellement il sonnait juste. D’abord perplexe, peu touché car les souvenirs sont lointains et la relation entre eux inexistante, le jeune homme se met ensuite en colère contre ce père, qui l’a abandonné pour poursuivre sa carrière sur un continent différent, auprès d’une autre femme que sa mère. Il ouvre la première lettre par curiosité, avant de se rendre compte qu’entre les souvenirs qu’il a et ceux que son père a ressassé pendant des années, il y a un monde. Pendant une bonne partie de l’histoire, Adam va tout simplement refuser d’ouvrir les lettres restantes. Pour repousser le moment où il devra accepter qu’il ne reverra jamais ce père ? Pour ne garder que des bons souvenirs ? Pour gagner du temps avant de prévenir sa mère, que son ex-mari est mort ? Les possiblités sont nombreuses, toutes plus émouvante les unes que les autres, face à ce jeune homme à peine sorti de l’adolescence.
Un grand pan de l’histoire est tourné vers l’amitié, vers la relation un peu étrange qui unit Nathan-Jack et Adam. Ce dernier est une des rares personnes capable de calmer Jack lors de crises, mais surtout, c’est une des rares personnes à le comprendre. Des dialogues sans queue ni tête, donnant un côté loufoque et tendre au roman, qui traduisent parfaitement le malaise que les deux garçons ressentent face aux attentes de la société. Sa transposition sur les bruits est plutôt ingénieuse, et je n’ai eu aucun mal à m’imaginer ces bandes-sons, enregistrées par Nathan-Jack et Aeka. La ville et la nuit jouent un rôle important dans le développement de l’histoire, presque comme si elles étaient des personnages à elles seules, physiquement présentes dans le roman, enracinées dans les souvenirs des deux garçons. Malgré leur longue amitié, Jack et Adam ont parfois un petit peu de mal à trouver du réconfort l’un dans l’autre, car leur monde sont diamétralement opposé, et même s’ils essaient de se soutenir du mieux qu’ils le peuvent, ils doivent souvent se débrouiller seuls.
J’ai profondément aimé l’écriture, qui s’est transformée tout au long du roman, à la fois tendre, poétique ou énigmatique. Le personnage de Jack m’a fascinée, car même s’il est décrit comme quelqu’un de psychologiquement malade, il reste un roc pour Adam et il est un des personnages les plus libres qu’il m’ait été donné de voir, s’étant affranchi du regard de l’autre jusqu’au bout. De questionnements en coups de colère, de tragédies en grande complicité, c’est un roman fort, qui m’a beaucoup émue.
L’étagère à livres


Je n'avais pas encore pris le temps de vous parler de Surf de Frédéric Boudet, le dernier roman Grande Polynie, une collection de romans dirigée par Chloé Mary pour les éditions MeMo . Comme Adam, héros de cette histoire, mon père est parti sans se retourner alors que je n’étais encore qu’un enfant. J'ai moi aussi vécu la douleur de l'abandon, l'incompréhension, le manque et l'attente interminable de son retour. Comme Adam, arrivera le jour où j'ouvrirais la lettre m'annonçant la mort de ce père lointain... Quand à 20 ans, j'ai fait le deuil de celui qui n'existait pas pour moi, j'ai surfé sur une vague d'émotions diverses et contradictoires (le choc de la réalisation, la colère, les larmes et finalement l'acceptation et la délivrance) et je peux vous dire que Frédéric Boudet a su trouver les mots justes pour nous raconter cette traversée émotionnelle. Adam est un écorché, hanté par le souvenir de ce père qu'il a peur de voir disparaître à jamais et pour cela il lui est difficile d'aimer le monde et de s'y projeter. Mais il est possible de se relever après avoir été renversé par la souffrance, il est possible de regarder à nouveau la vie en souriant, de trouver enfin le chemin de sa délivrance et de surfer sur les plus hautes vagues en avançant vers le grand large, pour laisser derrière cette plage déserte que l'on a enfin réussi à quitter. Un beau roman, poignant, déstabilisant, à la fois poétique et furieux, avec un texte riche, littéraire et complexe qui emmène le lecteur au coeur du tourment humain, des âmes en peines et de ce moment charnière entre la perte de l'adolescence et le passage à l'âge adulte. Je salue l'exigence du texte et la qualité de cette collection. Déjà en librairie et dès 15 ans.
Petite Fleur Loves Books


La nuit est d’encre, l’ombre des grues dans la rade de Brest se découpent sur un ciel d’étoiles. Adam, dix-neuf ans revient sur les lieux de son enfance. Là-même où son père l’a laissé, sa mère et lui. Sans un bruit, sans une querelle, sans un mot, il est parti. Envolé, mais vivant. Ailleurs. Adam a grandi toutes ces années sans lui, et voilà que des mots, glissés dans des enveloppes, lui sont envoyés par-delà l’océan. Son père est mort. De vieilles lettres écrites de sa main sont désormais entre les siennes. Vont-elles éclairer sa nuit? Pas si simple de combler le manque, de tenir debout en plein jour, de ne pas s’abandonner dans les eaux sombres, de regarder droit devant. Se dire que la vie vaut la peine, que la présence bienveillante de l’ami Jack le doux dingue est inestimable, que l’apparition merveilleuse de la belle Katel est inouïe, que le bruit du silence existe vraiment, que le bleu de l’océan reflète la lumière comme jamais, que les souvenirs eux ne s’effacent pas. Partir en quête de ce père, quitte à se perdre. Lever l’ancre, ne plus lutter, lâcher prise. Avancer, respirer, caresser. La vague est imprévisible. La vie est une odyssée.
 Un roman mouvant, émouvant, à l’image de l’adolescence et de ses béances. Une histoire sur le temps, d’avant d’aujourd’hui et d’hier. Les remous du passé, l’insaisissable présent, le futur flottant.
« il le prend dans ses bras et le porte jusqu’à sa chambre à l’étage il embrasse ses joues à chaque marche le tient tout près de lui il se pelotonne il se faufile sous les couvertures c’est le moment où il va s’étendre à ses côtés il va s’allonger déplier ses jambes jusqu’à l’ombre au bout du lit sa voix va s’éteindre et brusquement celle d’un ours ou d’un dieu lointain va s’élever lui raconter une histoire une histoire pendant cinq minutes pas plus mais elle n’aura pas de fin elle n’aura jamais de fin »
« – Tu disais que tous ces enfants allaient vieillir un jour, que leur sourire, leur visage, les mots qu’ils auraient prononcés un matin en se levant avant d’aller à l’école, les rêves qu’ils auraient faits cette nuit-là, tout allait cesser d’exister. Tu n’acceptais pas que même les instants les plus insignifiants puissent disparaître, être oubliés, que la vie soit finalement qu’une accumulation de choses disparues. Tu me faisais frémir, parfois, avec tes théories étranges sur le temps qui passe.
– Je ne supportais pas que tous ces moments que notre mémoire n’enregistre pas ne laissent aucune trace, ne servent à rien. Et que nos vies ne se résument qu’à quelques lignes lues à la va-vite le jour de notre mort, face à la gueule béante de la fosse creusée dans la terre. La solution était d’archiver tout ce qui constitue notre existence.
– Chaque jour le présent dévaste ce qui fut, a-t-elle murmuré. »
« J’aimais la rade. L’océan. Les rochers noirs. Les mouettes saoules. Le gris de la peinture des navires de guerre. Les souvenirs incrustés dans la pierre du port. Les plages désertes, froides, l’eau verte, les rouleaux indifférents. J’aimais ces rues sans âme, jeu de construction inachevé, où des architectes avaient jeté à la hâte leurs idées les moins inspirées. Ville de béton, de plâtre et de tapisseries délavées collées à la va-vite sur les ruines d’un champ de bombes. »
« Ce moment n’a jamais existé. Notre cerveau invente des phénomènes que nous prenons pour le soi-disant réel. Montre-moi ce putain de réel conservé dans le formol et je te jure que j’arrête instantanément de dire des conneries. Le temps n’existe pas, la réalité non plus, tout n’est qu’un écoulement fantomatique. Refuser de le voir n’est que le moyen masochiste que l’on a trouvé pour éprouver la douleur d’être en vie, ad nauseam. »
Les mots de la fin


Adam revient en vacances à Brest, après une année d’études artistiques en demi-teinte à Paris. Il vient d’apprendre par courrier que son père s’est éteint, emporté par le cancer. Une lettre d’Helen, la femme de son père, celle pour qui il a tout quitté, sa famille et la France. Adam avait huit ans. Il y pense chaque jour, cet abandon n’a jamais cessé de le questionner, et davantage aujourd’hui, à dix-neuf ans, quand il sait qu’il ne pourra pas en apprendre plus de la part de ce père disparu.
On suit donc Adam dans son cheminement, dans ce deuil à faire, si difficile lorsqu’on s’interroge autant. Il craint de l’annoncer à sa mère, de lui faire du mal, elle qui a déjà tant souffert après le départ de l’être aimé, après sa trahison. Pour l’accompagner, les dernières lettres écrites par la main de son père, jamais envoyées. Peut-être des réponses aux questions qu’il se pose depuis onze ans, qu’il ouvre petit à petit, avec l’impression que ce sera « fini » une fois qu’elles seront toutes lues.
Autour d’Adam, il y a Jack, son meilleur ami retrouvé, un colosse de deux mètres, à moitié fou, probablement un génie, un incompris. Il sait l’écouter et à sa manière si peu délicate, le conseiller. Part, fout le camp d’ici, va chercher ce qu’il te faut là-bas, dans le désert californien, lui dit-il. Jack lui présente Aeka, une japonaise passionnée de sons et de bruitages qu’elle enregistre partout, tout le temps, sans jamais se lasser, à la recherche du son sacré. Un passe temps qu’elle partage avec Jack, rencontré à l’hôpital psychiatrique. Ils se sont trouvés, comme une évidence.
Et depuis peu il y a Katel, serveuse dans une aire d’autoroute, qui tente de financer un voyage pour l’Argentine, avant les études. Une relation qui allège le quotidien d’Adam, qui découvre des sentiments nouveaux, jamais jusqu’alors partagés. Katel qui l’écoute aussi avec douceur, qui lui conseille tout comme Jack de partir sur le continent américain chercher des réponses à ses questions.
On suit cette bande d’adolescents dans leurs tourments et leurs rêves, leurs souvenirs et leurs aspirations. Il y a certains passages dans ma lecture qui m’ont totalement transportée. Les souvenirs qu’Adam a de son père, comme des rêves éveillés, racontés comme si on était justement dans la tête d’un petit garçon de huit ans (c’est comme ça que je l’ai ressenti). Les descriptions magnifiques de la côte bretonne, et de Brest qui, d’après ce que je sais, ne fait pas rêver. Beaucoup de poésie, de jolis mots, une langue riche et étonnante à lire, qui s’adresse avec ambition aux adolescents d’aujourd’hui. J’ai beaucoup aimé aussi tous les passages qui nous parlent de street art, Adam étant passionné par cet art éphémère. Beaucoup d’émotions pour moi à deux reprises aussi, ces souvenirs d’enfance avec ces mots d’enfant, et son dénouement…
Un roman fort, à découvrir, qui intrigue, qui questionne, qui philosophe, qui surfe entre l’adolescence et ce moment où l’on bascule dans le monde des adultes. Un immense merci à Chloé Mary qui nous permet de lire et découvrir des textes aussi riches et aussi fort en émotions. Un roman inclassable, insaisissable, qui ne ressemble à aucun autre. Et ça fait du bien.
NB : Et la magnifique couverture de Brecht Evens…
Val et ses livres


À dix-neuf ans, Adam est de retour à Brest pour les vacances, des vacances qu’il a anticipées, séchant pratiquement tous les cours de l’école de graphisme où il est inscrit.
Brest où tout semble à la fois immuable et fragile face à l’océan, depuis les grues du port jusqu’à la maison familiale où le décor n’a pas changé
depuis que son père les a quittés, sa mère et lui, onze ans plus tôt…
Il sait qu’il y retrouvera cette mère dont les rêves sont vides et avec qui il peine à communiquer.
Il retrouvera aussi Nathan ou plutôt Jack, comme il se fait appeler, son ami télépathe, son presque frère, le compagnon de toutes ses frasques d’adolescent.
Celui avec qui il arpentait les rues de la ville, « maculant les poteaux, les vitres des bus, les bancs publics » de messages obscurs ou de sa phrase fétiche « Chaque jour le présent dévaste ce qui fut »…
Jack, « un fou émotif, fan de surf et compositeur dément de musique inaudible » qui fait désormais des
allers-retours en hôpital psychiatrique…
Mais ce jour-là, il y a dans la poche d’Adam, cette lettre venue d’Arizona, écrite par cette femme pour laquelle son père les a quittés…
Dans cette lettre, elle lui annonce sa mort et a joint un paquet de lettres qu’il lui a écrites mais n’a jamais envoyées…
Ce père, passionné de culture indienne, avec qui il avait imaginé mille aventures et qui savait si bien raconter des histoires.
Ce père qu’il avait toujours espéré revoir, n’a jamais revu et qui reste si présent dans sa mémoire …

Pourquoi les avait-il abandonnés ?
Pourquoi n’avait jamais donné signe de vie ?
Pourquoi n’avoir jamais envoyé ces lettres ?

A cet instant de sa vie, où il n’est plus un garçon et devient un homme, confronté à son passé, que sera son avenir ?
Continuera-t-il à fuir ? « Fuir l’école. Fuir Brest. Fuir le présent. » ?
Ou recollera-t-il les morceaux pour « en finir avec ça et revenir vers le monde » et la lumière comme l’incite Katel qui le bouscule doucement pour entreprendre un nouveau départ…

Un superbe roman et une écriture toute en finesse pour traduire le ressenti de ce jeune homme malmené par le destin et en quête d’avenir.
Comment se libérer de tous les fantômes, de toutes les reliques du passé, pour aller de l’avant ?
C’est en alternant divers narrateurs, le héros lui-même, le père par ses lettres, ou un narrateur omniscient qui apporte au lecteur par flashs, des précisions sur le passé d’Adam, ses relations avec son père, avec son ami, que l’auteur nous rend son héros si proche avec sa fragilité, sa sensibilité et la difficulté à tenir debout sur la vague de la vie.
C'est très fort !

A recommander pour adultes et adolescents à partir de 15 ans.
Opalivres, Coup de cœur 


Coup de cœur Biblioteca Jeunesse

Coup de cœur, Librairie Les Passantes




Adam revient à Brest après avoir appris le décès de son père qu’il a peu connu. Roman de la réappropriation de l’histoire familiale et de la puissance des amitiés adolescentes, Surf pousse son lecteur au bord des falaises finistériennes dans le vent d’émotions contradictoires. Une grande expérience de lecture.
Wishlist de Noël, Librairie Récréalivres, Gwendal Oules

Sélection Bonnes lectures fiction ados du SLPJ


Surf est une histoire d’amour et d’amitié mais aussi et surtout un retour sur l’enfance et les souvenirs que le narrateur conserve de son père parti aux États-Unis quand il avait huit ans. L’année universitaire n’est pas encore terminée mais Adam quitte Paris et rentre à Brest avec en poche une lettre reçue la veille.
« Cher Adam,
Je suis désolée de devoir t'apprendre cette triste nouvelle. Ton père est mort il y a huit semaines maintenant des suites d'un cancer des poumons contre lequel il se battait depuis plus d'un an. […] Je te joins des lettres qu'il t'a écrites récemment ainsi qu'une autre datée de plus de dix ans, rédigée lors de l'une de ses nombreuses conférences qu'il donnait un peu partout dans le pays. […] Tu trouveras peut-être que mon courrier arrive bien tard mais il m'a fallu quelque temps pour trouver ton adresse. Je n'ai pu me décider à te téléphoner mais je te joins, à toutes fins utiles, mon numéro. »
Au moment où s’ouvre le roman, Adam n’a pas encore ouvert les courriers du père toujours emballés dans un sachet en plastique. Il les lira plus tard…
Pour l’instant, il s’est fait déposer par le chauffeur du covoiturage dans une station-service à quelques kilomètres de Brest. Il reste là plusieurs heures, cogite, boit du café, regarde travailler la serveuse, finit par lui demander son prénom : Katel…
Puis il rejoint Brest en stop et débarque chez sa mère qui ne s’est jamais remise du départ de son mari. Il lui a fallu deux ans pour pouvoir reprendre son métier de professeur d’anglais.
Adam retrouve aussi un ami d’enfance, Nathan qui se fait appeler Jack, un garçon au comportement complexe qui multiplie les allers-retours entre l’hôpital psychiatrique et la maison de ses parents, voisine de celle d’Adam. Lorsqu’ils étaient au collège, ils faisaient les quatre cents coups ensemble. Adam avait découvert le street-art et collait partout dans la ville des étiquettes où il écrivait des phrases énigmatiques : « Peu te cerne, découvre-le », « Grand-père apache est malade, rappelle à toi la démesure », « Ton vécu est leur salle à manger, repeins-le ! »… Jack collait aussi mais sans enthousiasme, parce que sa colère à lui concerne les surfeurs, qu’il ne comprend pas et ne supporte pas, au point de les insulter et de les agresser…
Jack présente à Adam une jeune Japonaise, Aeko, rencontrée à l’hôpital psychiatrique.
En chapitres alternés, nous suivons les conversations d’Adam avec sa mère, les errances (souvent alcoolisées) avec Jack et Aeko, les rencontres avec Katel (la serveuse qu’il va revoir), la lecture des lettres du père et les souvenirs qu’Adam conserve de son enfance.
Son père était passionné par les Indiens, surtout les Navajos, étudiait leurs traditions et multipliait des conférences. C’est cette passion qui l’a mené aux États-Unis où il a fini par s’installer il y a onze ans.
La question qui se pose au fil du roman est de savoir si Adam appellera ou non Helen et s’il décidera de partir en Amérique sur les traces d’un père qui, d’après ses lettres, pensait à lui tout le temps…
L’amour, l’amitié, la passion, la vie aux marges de la folie, le rapport au réel, au temps qui passe, autant de thèmes qui se mêlent et se croisent pour construire un ouvrage émouvant dont la relation père-fils constitue le noyau dur et en fait un véritable roman initiatique susceptible de nourrir la réflexion de beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes, de les aider à comprendre et grandir…
Encres vagabondes, Serge Cabrol


Dans une rentrée littéraire dense, comme chaque année, et phagocytée par les habituels têtes de gondole (non, nous ne parlerons pas ici de « Soif » d’Amélie Nothomb. Tout le monde le fait avec plus ou moins de bonheur d’ailleurs, un petit livre de 220 pages, publié le 22 août dernier aux éditions MeMo, sort volontiers du lot. Ce qui, en soi, n’est pas une mince affaire. Il s’agit de « Surf » premier roman de l’écrivain Frédéric Boudet, à qui on devait déjà le méconnu recueil de nouvelles « Invisibles », passé un poil inaperçu dans ces forêts sauvages de livres qui poussent chaque automne
Dans cette bonne ville de Brest, on suit le fragment d’existence d’un jeune homme, Adam, qui revient au pays natal suite à l’annonce de la mort de son père. Père qui naguère l’avait abandonné pour partir en Arizona suivre la piste des Indiens Navajos et pénétrer leur mystique. L’abandon de foyer a eu des dommages salement collatéraux, une ex-épouse, pas vraiment dans un autre monde mais plus vraiment dans celui-ci, un fils inconsolable à qui il ne reste plus que quelques lettres paternelles qu’il dévore en secret pour déchiffrer le mystère de ses origines. Et puis il y a le copain de toujours, celui avec qui il allait taguer des éclats de sagesse dans cette morne ville de Brest, ami qui se fait appeler Jack parce qu’il déteste son vrai prénom, qui sort de l’asile, géant de deux mètres, le corps grossi et déformé par les médocs, la tête constellée par la voûte étoilée, les pieds ne touchant plus terre. Jack qui regarde les surfeurs débutants sur la plage, cherchant à glisser sur la vague sans chercher à danser avec la beauté du monde. Jack, jamais très éloigné de l’océan, souvent vautré sur la plage « pour écouter le sang de l’être rouler dans les veines de la voie lactée » (p 127). Jack, qui écluse les rades de la rue de Siam en quête d’une bonne bagarre et qui philosophe loin de tous les sentiers débattus, personnage tout droit sorti de La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole, ce chef-d’œuvre unique d’un auteur maudit qui mit fin à ses jours car il se croyait un écrivain raté. Pour Adam, le héros du livre, Jack c’est le seul ami, presque l’âme-frère et un ami c’est déjà le début d’une famille, ces deux-là s’aiment, se défient, se confrontent, cela pourrait mal finir comme dans Des souris et des hommes. A dire vrai, les passionnés de littérature américaine vont entrer en pèlerinage avec le roman de Frédéric Boudet : pulsations faulknériennes dans la succession, sans transition, ni fondu enchaîné, des dialogues, des lectures des lettres paternelles, des monologues cafardeux d’un jeune héros qui se décrit ainsi : « Je suis en train de devenir un homme, ou quelque chose dans le genre. » (p 190) Le début du livre, vision de solitude sur une aire d’autoroute, évoque L’Attrape-cœurs de Salinger ; les moments de sur-place narratif où rien ne semble se passer alors que tout se joue, en vérité, de ce passage douloureux à l’âge adulte, de ce deuil impossible d’une enfance heureuse qui ne reviendra plus, revendique différentes paternités entre Brautigan, Carver ou Richard Ford. Avec Frédéric Boudet on prend sa roulotte, on emmène ses potes et on visite un bout d’Amérique, en partant de Brest, dernier point de la France avant d’embarquer pour les Etats-Unis. On entrevoie la côte de Big Sur, ce mythique lieu californien où naguère Jack Kerouac se reposa pour écrire, on traverse Flagstaff, arrêt obligatoire sur la route 66, nouvelle capitale avec Sédona (également en Arizona) de tous les marginaux, artistesbohême qui viennent rêver et peindre les couleurs de la contre-culture américaine de demain. Surf de Frédéric Boudet est plein de choses à la fois, objet polymorphe comme l’est souvent un premier roman, c’est autant un roman initiatique (encore que l’on ne sache pas bien qui initie qui et à quoi, mais c’est bien là le parfum de notre époque), que l’histoire d’une fratrie recomposée où la mort emporte certains pour que les autres puissent mieux habiter leur propre vie et s’agrandir de l’intérieur, que la quête enfin d’un jeune homme en recherche d’une identité avec laquelle il serait enfin en paix. Et puis cet ouvrage parle aussi de mystique, de recherche spirituelle, dans un monde où les religions traditionnelles ne fournissent plus les réponses, et ne nourrissent plus cette intuition profonde que ce monde parle, et que pas grand monde ne cherche à écouter. Surf mériterait d’être offert aux évêques de France afin qu’ils comprennent mieux pourquoi leurs tirades moribondes ne rejoignent plus les gens dans ce qui constitue la chair, parfois meurtrie, de leurs propres vies. Surf est un livre qui signe, à sa manière l’acte de décès du barnum catholique et qui démontre, s’il fallait encore s’en convaincre, que nos contemporains n’ont pas, pour autant, enterré leur soif d’absolu, leur besoin de résoudre l’énigme de cette vie et dont le regard est toujours rempli de questions sur l’univers qui les entoure. Pour Frédéric Boudet, en bon dostoïevskien qui ne s’ignore pas, la vérité est toujours à rechercher du côté de la beauté et de l’étrangeté. C’est du côté des fous, des dérangés, des âmes perdues, des êtres dévorés par leur sentiment d’abandon que l’on finit probablement par la trouver. C’est du côté de Jack qu’Adam comprend progressivement ce qui se cache derrière « l’expression ironique et fugace de l’aversion de la vague pour le désir d’éternité de l’homme » (p 125). Mais parfois les questions gagnent à rester sans réponses, elles élargissent alors le poitrail où se niche l’aptitude que possède chaque être humain à se réinventer. Surf porte un regard de consolation et d’empathie profonde envers tous ses personnages, ce livre n’offre pourtant aucune clef finale, aucun kit de développement personnel ou de bien-être à vendre, chacun doit continuer à arpenter jusqu’à son terme le chemin qui lui est dévolu. Chacun doit suivre sa propre étoile pour devenir à la fois lui-même et quelque chose de plus grand encore que lui-même. Pas la moindre phrase tire-larme dans cette histoire qui s’y prêtait tant. Le style est précis, sans fioritures, aussi tranchant qu’une lame de rasoir qui viendrait ôter tout effet dilatoire. Et si c’était Surf finalement le vrai grand livre de cette rentrée ?
Rencontre avec un personnage en quête d'auteur Entretien avec Frédéric Boudet
Quinqua fringant, Frédéric Boudet est né au Mans le 22 mai 1968, date suffisamment importante pour qu’Hubert-Félix Thiéfaine en tire une chanson. Quelques semaines plus tôt, Martin Luther King était abattu au Loraine Motel ; quelle que soit l’époque, on tue toujours les prophètes. Elève du lycée Bellevue, Frédéric Boudet est un littéraire qui s’ennuie pendant les cours de français. Il se plonge pourtant sans vergogne dans la lecture, celle que l’on n’enseigne pas, les auteurs américains de préférence : Henry Miller, Raymond Carver, Hubert Selby Jr, Kerouac bien sûr, et tant d’autres. La soif de noircir des pages le taraude, il le fait déjà avec talent, mais sans parvenir à ressentir que tant de petits textes pourraient aboutir à l’élaboration d’un vrai roman qu’il ne sent pas encore émerger en lui. Bac en poche, il s’inscrit à l’université, constate que les études ce n’est pas son truc, décide de foncer sur Paris dont il ne bougera plus, et comme naguère Bukowski, enchaîne les jobs, de McDonald à Bouygues Télécom, jusqu’à finir par créer sa propre boîte spécialisée dans la création de réalité dans le cybermonde. La vie suit son cours, le submerge parfois, il continue à écrire, pond un premier manuscrit – Far West –, pas publié, pas encore au point, loin d’être parfait malgré des fulgurances et des phrases parfois taillées dans le diamant. Il n’oublie pas la recommandation de Faulkner : « kill your darlings » (« tuez vos petites chéries »), pour ceux qui dormaient pendant les cours d’anglais et qui est une invitation à ce que l’écrivain en herbe ne se grise pas de ses petites trouvailles, Frédéric Boudet épure son verbe, sans le rendre sec pour autant. Il parvient à intéresser les éditions de l’Olivier pour un genre qui ne se vend pas en France : le recueil de nouvelles. Ainsi paraît Invisibles qui reçoit de bonnes critiques malgré un succès d’estime comme on le dit pudiquement. Grand amateur d’ateliers d’écriture (il suivra notamment celui animé par Philippe Djian), Frédéric Boudet continue à travailler ; comme un ébéniste, il ponce, rabote, regarde, cogite, rabote encore. La littérature c’est de l’artisanat, rien ne doit être « en trop », le diable se nichant dans les détails, tout doit être raccord, en place, il faut traquer la moindre fausse note pour que la mélodie puisse enfin émerger. Les années passent, ses deux enfants grandissent, le moment tant attendu arrive. à 51 ans, Frédéric Boudet publie Surf et, parole de chroniqueur littéraire, cela valait le coup de patienter que le temps burine l’artiste et fasse son œuvre en lui. C’est de la belle ouvrage qui tient autant du désir que le chamanisme embellisse ce monde que de la conviction profonde qu’aucune quête existentielle n’est vaine. 
G. H. : Frédéric Boudet, « Surf » paraît aux éditions MeMo dans la catégorie « littérature de jeunesse ». Cela nous semble aussi étrange que de faire écouter Grateful Dead à des jeunes collégiens de quatorze ans. Pourquoi ce choix et cette catégorisation pour un livre que l’on trouve très adulte malgré la jeunesse de ses protagonistes ? 
Frédéric Boudet : Le temps n’existe pas, n’est-ce pas ? J’ai écouté les Grateful Dead à quatorze ans, pas plus d’un disque je crois. La béatitude hippie n’était déjà plus, nous avions déjà besoin de notre dose de plus sérieuses secousses, les nerfs plus à vifs, les décharges électrique punks et scies stridentes new wave faisaient des hymnes du Grateful Dead, des cantiques pour scouts ravis. Les Doors ok, le Velvet bien sûr, les Stooges évidemment, mais le sirop hippie, ennui. Ceci dit, écouter l’équivalent du Dead pour des gamins de 19 ans aujourd’hui, c’est écouter les Strokes, ça a vieilli ça aussi ? Oui, l’heure est au rap. Pour en venir à la littérature jeunesse, en deçà de 12 ou 13 ans, l’appellation veut dire quelque chose, oui. Mais après quinze ans, c’est autant un roman initiatique (encore que l’on ne sache pas bien qui initie qui et à quoi, mais c’est bien là le parfum de notre époque), que l’histoire d’une fratrie recomposée où la mort emporte certains pour que les autres puissent mieux habiter leur propre vie et s’agrandir de l’intérieur, que la quête enfin d’un jeune homme en recherche d’une identité avec laquelle il serait enfin en paix. Et puis cet ouvrage parle aussi de mystique, de recherche spirituelle, dans un monde où les religions traditionnelles ne fournissent plus les réponses, et ne nourrissent plus cette intuition profonde que ce monde parle, et que pas grand monde ne cherche à écouter. Surf mériterait d’être offert aux évêques de France afin qu’ils comprennent mieux pourquoi leurs tirades moribondes ne rejoignent plus les gens dans ce qui constitue la chair, parfois meurtrie, de leurs propres vies. Surf est un livre qui signe, à sa manière l’acte de décès du barnum catholique et qui démontre, s’il fallait encore s’en convaincre, que nos contemporains n’ont pas, pour autant, enterré leur soif d’absolu, leur besoin de résoudre l’énigme de cette vie et dont le regard est toujours rempli de questions sur l’univers qui les entoure. Pour Frédéric Boudet, en bon dostoïevskien qui ne s’ignore pas, la vérité est toujours à rechercher du côté de la beauté et de l’étrangeté. C’est du côté des fous, des dérangés, des âmes perdues, des êtres dévorés par leur sentiment d’abandon que l’on finit probablement par la trouver. C’est du côté de Jack qu’Adam comprend progressivement ce qui se cache derrière « l’expression ironique et fugace de l’aversion de la vague pour le désir d’éternité de l’homme » (p 125). Mais parfois les questions gagnent à rester sans réponses, elles élargissent alors le poitrail où se niche l’aptitude que possède chaque être humain à se réinventer. Surf porte un regard de consolation et d’empathie profonde envers tous ses personnages, ce livre n’offre pourtant aucune clef finale, aucun kit de développement personnel ou de bien-être à vendre, chacun doit continuer à arpenter jusqu’à son terme le chemin qui lui est dévolu. Chacun doit suivre sa propre étoile pour devenir à la fois lui-même et quelque chose de plus grand encore que lui-même. Pas la moindre phrase tire-larme dans cette histoire qui s’y prêtait tant. Le style est précis, sans fioritures, aussi tranchant qu’une lame de rasoir qui viendrait ôter tout effet dilatoire. Et si c’était Surf finalement le vrai grand livre de cette rentrée ? p suite page 12 Rencontre avec un personnage en quête d'auteur Entretien avec Frédéric Boudet Propos recueillis par Philippe Ardent 11 IEnternational n haut de l'affiche notre goncourt Golias Hebdo n° 601 semaine du 28 nov. au 4 décembre 2019 honnêtement, je n’en suis pas certain, c’est plutôt une sorte d’aberration, un concept marketing du moment peut-être, un truc « d’époque ». Les gros lecteurs au lycée lisent Brett Easton Ellis, John Fante, Balzac et Dostoïevski, comme de tous temps, et les autres regardent des séries super trash sur Netflix. D’ailleurs le prix Goncourt des lycéens se penche sur des bouquins de littérature générale, n’est-ce-pas ? Peut-être que L'Attrape-cœurs aujourd’hui serait bombardé sur Instagram « Le livremanifeste que les lycéens vont adorer » ! J’ai dû rester jeune sans m’en rendre compte, je l’ai encore relu cet hiver ! 
G. H. : Votre livre est centré autour du thème du deuil : un père est mort, un jeune homme essaie d’enterrer les conneries de son adolescence autant que la douleur éprouvée par le fait qu’il ne connaîtra plus jamais son géniteur, une femme essaye d’oublier cette vie qu’elle aurait voulu avoir et que son défunt mari a emporté avec lui, deuil aussi d’une petite ville de province que tout le monde voudrait quitter car forcément « la vérité est ailleurs ». Rien de larmoyant dans votre livre et pourtant le chagrin pleut sur la ville de Brest tout au long de « Surf ». Vous en aviez conscience en l’écrivant ? F. B. : « Conneries » ? Non, pas « conneries », il essaie d’enterrer les sources de la douleur. Ou plutôt, de les déterrer, ce qui demande un sacré courage, c’est la geste même du héros, pour en faire la matière à une catharsis psychologique, existentielle, sans doute même un peu chamanique, pour jouir enfin du monde plutôt que de son absence. Donc oui, deuil, pour aller plus loin, et faire quelque chose de cette foutue absence qui fait si froid aux entrailles, pétrir ce sentiment d’abandon - sentiment mortel - qui vous cloue au sol plus que tous les orages et tous les déluges, « Eli Eli lama sabachtani ? » implore soudain Jésus en croix celui qu’il appelle son Père, preuve que le christianisme a contribué fortement à l’invention de la littérature ! Il faut donc absolument se secouer, se relever, et rester debout, et bondir et sauter dans la lumière, et bien sûr cesser de geindre (Jack est une sorte de gourou - on dit coach aujourd’hui – dont le but est la « destruction de l’auto apitoiement délétère niché en chacun de nous »). La mère d’Adam, elle, est glacée par la souffrance, c’est un iceberg qu’Adam ose à peine approcher, et pourtant. Jack, c’est autre chose, c’est la colère et la puissance des astres et des océans, ça nous échappe, il se moque des atermoiements humains, il est sans doute fait de cette chair dont sont faits les mythes, les légendes, d’où un certain ésotérisme dans sa langue. Quant à Brest, c’est évidemment le lieu de la quête, un territoire comme il n’y en a plus dans le monde fini qui est le nôtre aujourd’hui, il y pleut des chagrins et des pluies titanesques qui ne sont pas terrestres, mais qui le sont en même temps tellement, humains trop humains aurait dit l’arrière-arrière-grand-père de Jack. 
G. H. : Votre livre est une magnifique odyssée à travers un rêve d’Amérique ! Souvenirs de western, danse du soleil, rites de guérison des premiers authentiques Américains et hommage omniprésent sans être non plus envahissant à maints auteurs américains qui vous ont façonnés. Il n’empêche, quand vous vous apprêtez à écrire une scène, vous ne vous demandez pas : « Il l’écrirait comment ce bon Raymond Carver ? » F. B. : Oh non, surtout pas, il faut laisser les maîtres dans les rayons de la bibliothèque, sinon vous ne parvenez pas à écrire ! Ecrire, c’est plus comme se jeter à l’eau à la piscine, si vous pensez au livre que vous avez lu sur « la meilleure façon de nager le crawl », vous nagez comme un fer à repasser, pire, vous coulez ! Il faut faire confiance à ce qui est bien plus grand et profond et confus et dense en nous, qui nous fait, nous commande un peu, beaucoup, nous adjure de dire ce qui murmure là, pas loin, il faut sortir de sa petite volonté étriquée de maitrise, laisser couler. Si la chance, et le travail sont avec vous, et que vous avez lu, et vécu, et été pénétré par suffisamment de choses dignes d’intérêts, peut-être que vous accoucherez de quelques lignes dignes d’être lues. Et alors vous pourrez rouvrir « Tais-toi je t’en prie » et relire quelques pages en buvant un bon whisky d’un auteur qui n’a rien à voir avec vous, le sentiment du devoir journalier accompli, jusqu’au lendemain où vous recommencerez, vierge, nerveux, mais prêt au combat. Je pense plutôt à Rafael Nadal quand je me mets à ma table d’écriture, « La littérature est un sport etc. », n’est-ce pas ? Donc l’hommage, si hommage il y a, seul le lecteur peutêtre peut le voir, ou croit le voir, moi j’y vois du travail, une visée, une musique que j’entends – et oui la « musique » de la littérature américaine est très ancrée en moi - et qu’il faut que je retranscrive, les hommages m’ennuient qui plus est, les auteurs ne sont pas très intéressants, leurs textes oui, ils sont la matière dont on peut tenter de s’approprier quelques maigres miettes pour les incorporer à la pâte littéraire qui est la nôtre, quel vertige.
G. H. : « Surf » semble être la prolongation d’« Invisibles » dont il reprend bien des thèmes. Treize ans séparent les deux livres. Que fait un écrivain quand il n’écrit pas ? Il attend le bon moment ? Avez-vous le sentiment d’avoir progressé dans votre écriture, de sentir enfin ce moment magique où vous couchez sur le papier exactement ce que vous avez en tête ?
F. B : En fait, il écrit. Mais parfois il faut du temps, beaucoup de temps, pour se remettre de certaines épreuves que la vie vous envoie, et puis il faut écrire quelque chose qui vaille le coup. Depuis dix ans, je répétais souvent que je n’écrivais plus, la vérité est un peu différente, j’ai pas mal de manuscrits dans mes tiroirs, la plupart inachevés, peut-être l’heure a-t-elle sonné de l’achèvement… Quant à écrire ce que l’on désire, impossible, rien n’est jamais aussi satisfaisant que ce qui est à venir, que ce que l’on entend là-bas au loin, il faut savoir tourner la page, aller au-delà de ce qui est « abouti », laisser ce qui paraît achevé nous échapper, pour continuer la quête, sans fin.
G. H. : Aujourd’hui beaucoup de gens veulent écrire, souvent trop vite, trop tôt, sans prendre le temps de savoir ce qui les nourrit en profondeur et de s’interroger en vérité sur ce qu’ils veulent transmettre à leurs lecteurs. Vous qui n’avez pas manqué de patience, que conseillez-vous aux personnes qui veulent voir leurs premiers romans sur les étagères des librairies ?
F. B. : Ecrire. Tous les jours. 2 à 6 heures par jour, suivant ses possibilités. Ecrire, encore et encore. Et lire bien sûr, beaucoup, de tout. Et vivre, aussi, ou avoir vécu. S’acharner. Ecrire demande la même discipline et le même acharnement que jouer au tennis à un niveau professionnel. Il faut juste taper dans la balle, encore et encore. Si c’est ce pour quoi vous êtes fait, la souffrance ou la difficulté ne sont rien, la joie de passer des heures le derrière sur une chaise en compagnie du monde tel qu’il vous saute à la figure et des mots qui dansent dans votre tête vaut tous les petits sacrifices.
G. H. : La figure royale dans votre livre c’est bien sûr celle de Jack, colosse aux pieds d’argile, écorché vif, fracassé en mille morceaux, à la limite de la sociopathie, mais dont le regard sur le monde témoigne d’un esprit singulier, maniaque, décalé. Un personnage qui danse entre la folie et le grâce à l’état brut. Curieusement, Jack c’est l’homme qui ne peut pas guérir, on ne sait pas pourquoi il est aussi « limite », ni qui l’a mis dans cet état-là. Mais dans une époque où le psycho-spirituel envahit tout, où l’on veut réparer tout le monde, Jack ressemble au patient ultime. Au patient dépourvu de la moindre patience et à qui « on ne la fera pas ». Comment vous est venu un tel personnage ? Qu’est ce qu’il incarne pour vous ?
F. B. : Il est venu tout seul, de loin, depuis longtemps, quand il l’a voulu, il me suit depuis longtemps. C’est l’un de ces personnages faits de chair, de fantasmes, de doubles et de fantômes, littéraires et réels, de rencontres improbables, c’est une sorte d’ogre fou, mais ô combien clairvoyant, qui s’invite dans le texte quand il le veut. C’est tout sauf un patient, tout sauf un malade, tout sauf une victime, c’est Brian Wilson qui serait devenu punk, l’enfant naturel de Rabelais et de Nietzsche, le frère d’Ignatius O’Reilly et du Lenny de Steinbeck. Jack est juste un poète, bien trop intelligent, et l’âme trop incendiée, pour pouvoir vivre dans les coutures étroites d’une enveloppe humaine. Alors il dévore les bords de plage, erre dans les chemins fantômes, se jette du haut des falaises, surfe des vagues éblouissantes comme des galaxies et, comme chamane (c’est-à-dire guérisseur), prend soin des autres et en particulier d’Adam (le premier homme, souvenons-nous en…, qui a besoin de coups de main pour s’habituer à sa nouvelle vie) en le guidant dans le dédale des chausse-trappes de l’existence. Je crois bien que je viens de donner la définition d’un ange, n’est-ce pas ? Jack, oui, c’est bien ça, c’est un ange (n’est-ce pas lui qui parle ainsi des surfeurs, « ce sont des canards qui ignorent qu’ils sont des anges », leur reprochant manifestement d’avoir oublié leur vraie nature, et celle de leur mission sur cette terre).
G. H. : Quand on lit votre livre, on a l’impression d’être au début de quelque chose, que l’on va entamer un itinéraire, qu’une œuvre littéraire est en gestation, résolument contemporaine. De quoi sont faits aujourd’hui les rêves de l’écrivain Boudet à propos de son prochain ouvrage ?
F. B : Le prochain texte est déjà en chantier, je ne peux pas vraiment en parler, mais votre idée d’itinéraire, à laquelle j’ajouterais celle de territoire, ne sont pas loin de ce qui me hante ces temps-ci. Donner à voir un mouvement, et les géographies, et la cascade agitée des événements, les soubresauts du grand monde, les secousses de l’âme qui scandent la vie des hommes jetés au milieu de ce foutoir confus et bringuebalant et joyeux et blessant qu’est la vie. Histoire d’exploration, d’identité secrète, et de chair, et de mystère qu’il faut bien chercher à résoudre, je suis conscient que je ne vous en dis pas beaucoup, mais c’est trop en jachère encore ! Ecriture contemporaine, sans doute. L’idée m’est importante qu’écrire est assez proche de la marche, de la respiration, du beuglement seul dans les bois, du sourire face à la falaise, du plongeon dans des torrents inconnus, toutes choses qu’on ne peut éprouver qu’au présent, n’est-ce pas ? Il faut donc travailler pour trouver les mots qui disent ces choses incroyables qui, chaque seconde, se jettent au monde, toutes neuves, sous notre nez, patient travail de tamis, chercheur de minerais rares, souvent invisibles, et un verre de whisky le soir pour s’en ndormir, jusqu’à la quête du lendemain.
Golias Hebdo, Philippe Ardent, Hit the Road Jack ! 1 ou « Surf » Le vrai grand livre de la rentrée

Quête océanique Ne nous y trompons pas, même si Surf est sélectionné pour plusieurs prix de collégiens et d’adolescents en région, il fait partie de ces livres qui questionnent tous les âges  et sont destinés à tous les publics. Surf, c’est l’histoire d’une amitié entre deux jeunes, celle de la désespérance face à un père que l’on n’a pas connu, à une mère qui ne s’est jamais remise de la séparation, et celle d’une quête qui se nourrit de tout pour tenter de construire un monde dans lequel la vie ne soit pas forcément un combat. Et c’est encore l’histoire des ressacs de la mémoire qui entraînent vers la folie, de la mise à sac du bonheur qui tétanise, mais aussi de ces points d’équilibre que les souvenirs, les relations humaines et la croyance en la vie nous permettent d’atteindre. Ces surfs invisibles qui nous font glisser sur les vagues et traverser les rouleaux. Qui nous ramènent aussi sur la jetée, plus ou moins violemment, pour qu’on continue à vivre en ayant tutoyé, dans l’infini de l’océan, les questions métaphysiques et spirituelles qui nous désaltèrent tout autant qu’elles nous noient. Les références de Frédéric Boudet sont dispersées dans les vies de ses personnages et dans l’écriture de ses pages. Du rap à la musique expérimentale, de la littérature américaine des espaces infinis à celle, russe, de la folie, elles s’accolent sans tentative de fil narratif. Des moments, des fragments, de la violence, de l’espoir… Surf, c’est la vie à l’état brut, même quand l’auteur puise au cœur des cultures les plus savantes comme des plus populaires, montrant l’étonnante complexité de nos constructions humaines. Ses personnages habitent un Brest figure de tombeau, léché par l’océan aux éclats d’éternité, d’espoir et de mort. Un océan sur lequel on ne sait jamais si on saura surfer.
Témoignage Chrétien, Boris Grebille


Surf : des anges dans la vague
C’est instructif parfois, les exergues. Elles ont beau être des pièces de jolie poétique, aphorismes courts ou phrases à clé, on ne comprend pas toujours ce qu’elles font là avant de commencer le livre. Y revenir après la dernière page éclaire parfois ce que l’auteur avait dans le ventre. A l’orée de Surf, il y en a deux. La seconde convient à merveille au héros du roman. «Incapable de voir que tous mes refuges sont mes tombeaux.» La citation sort d’un morceau du groupe de hip-hop français originaire de Caen, Casseurs Flowters, fondé par Orelsan et Gringe. Adam, 19 ans, passionné de street art au collège à en graffer de nuit sur la peau de la ville, suit mollement des études de graphisme à Paris et revient chez sa mère à Brest. Refuge ou/et tombeau ?
Son père a quitté la maison quand il avait 8 ans. Spécialiste des Navajos, il lui racontait des histoires d’Indiens et de guérisseurs tous les soirs et lui a appris à nager. Mais Adam vient d’apprendre que celui qu’il n’a pas revu depuis onze ans est mort à Big Sur, en Californie. Le courrier contient aussi des lettres paternelles destinées à son fils qu’il ne lui a jamais envoyées. Il n’arrive pas annoncer le décès à sa mère dont la vie semble arrêtée depuis qu’elle a chassé son mari. «Ce soir-là, allongé sur mon lit, j’avais compris que rien n’avait changé depuis le départ de mon père.» Cette nouvelle l’ébranle, lui qui pensait au fond de lui le revoir un jour. L’abandon ressenti depuis si longtemps a un goût de définitif. Cela fait comme une flaque de nostalgie et de douleur mêlées qui remontent à la surface. Ecume ou vague qui risque de l’emporter tout à fait. Refuge ou tombeau…

Métaphore de la vie et de la folie

Le premier exergue provient de Jours barbares, une vie de surf, du journaliste et écrivain américain William Finnegan. «[…] Je n’ai même pas envisagé, serait-ce fugacement, que je pouvais avoir le choix entre surfer et m’en abstenir. L’enchantement me porterait là où il voudrait.» Jack, l’ami d’enfance d’Adam, un immense gaillard, vient de passer deux ans à faire des allers et retours entre l’hôpital psychiatrique et la maison de ses parents. Le surf et la musique concrète sont les deux choses qui l’obsèdent le plus dans la vie. Le surf comme une métaphore de la vie et de la folie. Qui le pousse à pourchasser des surfeurs au milieu des vagues. Il dit à Adam : «Ce qui compte n’est pas de parvenir à surfer sur ces foutues planches, mais de déchiffrer ce qu’elles nous donnent à voir : des silhouettes dressées sur un morceau de carton, tentant de retenir l’eau qui fuit sous leurs pieds mais qui, découvrant soudain l’abîme, battent furieusement des bras et des oreilles pour se réveiller. Tu veux connaître la vérité ? Ces types n’oseront jamais aller jusqu’au bout du rêve – ce sont des canards qui ignorent qu’ils sont des anges
Il y a beaucoup de choses dans Surf. L’abandon et la perte irrémédiable, l’apprentissage de la cruauté de l’existence. Il y a aussi le décor prégnant de Brest, pas de sa beauté, mais de son âpreté et de ses excrétions, des rochers noirs du bord de mer, d’une maison du souvenir juchée sur la falaise à Roscanvel. Il y a aussi des personnages barrés et fascinants, Jack et son amie japonaise Aeka fan de Pierre Henry. Surf saisit ce point de bascule, la planche sur la crête de la vague. Jack joue à tenir debout avec son surf imaginaire sur le toit de sa maison et continue lucidement à jouer avec le destin ; Adam décide d’enlever la bonde pour évacuer la marée stagnante.
Libération, Frédérique Roussel

Orages sur Brest
Roman poétique, nostalgique, parfois furieux, plein des humeurs de la mer au loin, dans les décors ruinés de la ville portuaire ou ceux, mornes, de ses zones pavillonnaires, roman sombre, Surf est un livre sans surfeur hanté par cette image :
« Ce qui compte n’est pas de parvenir à surfer sur ces foutues planches, mais de déchiffrer ce qu’elles nous donnent à voir : des silhouettes dressées sur un morceau de carton, tentant de retenir l’eau qui fuit sous leurs pieds mais qui, découvrant soudain l’abîme, battent furieusement des bras et des oreilles pour se réveiller. Tu veux connaître la vérité ? Ces types n’oseront jamais aller jusqu’au bout du rêve — ce sont des canards qui ignorent qu’ils sont des anges. »
Adam, qui a abandonné pour un temps ses études et a quitté Paris pour rejoindre la maison de sa mère, son ami Nathan qui se fait appeler Jack et va de bagarres en abattement entre deux séjours à l’hôpital psychiatrique, Aeka la japonaise bruitiste, Katel, serveuse dans un bar de station-service, qui rêve de voyage, tous sont en équilibre instable, les uns en panne et tout proches de l’abîme, les autres sur une lancée encore incertaine.
L’amitié les réunit, ainsi que des passions communes autour du son. Cette amitié empêche Adam d’abandonner Nathan / Jack alors qu’il le devrait pour avancer enfin sur son propre chemin, comme elle pousse Jack à tenter de faire sortir Adam de son inertie, au prix de sa future solitude. La relation complexe qui unit Jack et Aeka, tous les deux murés dans leur singularité et tous les deux amateurs de musique concrète et bruitistes, l’amour qui nait entre Adam et Katel, le lien fragile qui unit douloureusement Adam à sa mère et celui qui le relie encore fortement à son père, tout cela tisse un réseau de douleurs intenses.
Quête du père (parti aux USA alors que le narrateur, Adam, était encore enfant), deuil (le livre s’ouvre avec l’annonce de la mort du père et la réception de trois lettres écrites par lui à différents moments de son éloignement), longue dépression de la mère, incapacité réciproque des adolescents et des adultes à se parler et à se comprendre, nostalgie de l’enfance, difficulté à rompre avec le passé…, le livre est riche de tous ces éléments et de bien d’autres (voir le bel entretien de Frédéric Boudet avec Chloé Mary). Il est surtout porté par une langue poétique, qui allie souplesse et densité, comme une vague : on est emporté.
Li&Je, Anne-Marie Mercier