Extrait de Soifs, pièce de théâtre écrite par Émile Cucherousset, destinée à un public adulte.
Acte I
Scène I
Deux types sont attablés à une
terrasse de café. L'un, que l'on nommera Régis, porte un costume zébré, du
genre passage piétons. Quelque chose dans son attitude laisse à penser qu'il
est assoiffé : sa langue pendouille légèrement, comme celle d'un chien
récupérant d'une course folle.
Puisque c'eut été déraisonnable
de donner à l'autre le même prénom qu'à l'un, il a été décidé − dans l'urgence −- que
l'autre s’appellerait Brigitte. Notons que cet autre zig n'est pas plus dénudé
que son partenaire. Il porte un smoking banal, qui ne mérite, lui, aucune sorte
d'attention descriptive, à part peut-être le fait qu'il soit de couleur
grisâtre. Et encore, il n'a pas été convenu, à cette heure tout du moins, qu'une
telle information puisse avoir un intérêt quelconque pour la bonne tenue − ou non − des événements à suivre.
Bref, Régis et Brigitte sont
habillés et seuls à la terrasse. Mis à part le serveur qui les approche pour
passer commande.
LE SERVEUR, las. Qu'est-ce qui vont
consommer ?
RÉgis, se
lamentant. Ah, mon pauvre
bonhomme, nous sommes pour ainsi dire sans le sou, fauchés comme les blés...
Brigitte. De véritables culs-terreux que la soif tiraille.
RÉGIS. Voilà deux jours que nous battons le pavé de cette
ville maudite à la recherche de nos femmes...
Brigitte. ... Sans en trouver la moindre trace.
RÉGIS. Et voyez-vous, alors même que nous passions devant
votre établissement, le souvenir de nos gourdes taries refaisait surface, sans
aucune sommation...
LE SERVEUR. Vous cherchez à m'émouvoir ? Pour picoler gratis ?
RÉGIS, hésitant.
Dans la mesure du possible.
LE SERVEUR. Et qu'est-ce qui leur ferait plaisir ? Un
petit Château-la-pompe avec une paire de glaçons ?
Brigitte. Si c'est tout ce que vous avez...
LE SERVEUR. Vous avez vu l'écriteau là-bas ? (il ne montre rien) La maison fait pas crédit.
RÉGIS. Ah, mais rassurez-vous et comprenons-nous bien, il
n'est nullement question que nous empruntions quoi que ce soit...
Brigitte. ... Nous
ne sommes pas solvables ! Et sans nos femmes à la maison, nos poches ne
risquent pas de se recoudre toutes seules et d'ici tôt. (rires exagérés de Régis et
Brigitte)
LE SERVEUR. J'ai l'air d'avoir une tête de robinet de
fontaine ?
RÉGIS, BRIGITTE, se
regardant – rires étouffés. Bof.
LE SERVEUR. Alors vous pouvez dégager.
Le serveur se tire et rejoint
ses pénates, le torchon sur l'épaule, son carnet de commandes, vierge, à la
main. Régis et Brigitte, eux, restent assis comme des cons.
RÉGIS. Il va revenir, non ?
BRIGITTE. Je suis pas certain que ce soit dans ses projets.
RÉGIS. Alors quoi ? Sommes-nous tombés si bas qu'il ne
nous reste que l'option d'une flaque à laper ? Comme des chiens ? Que
faudrait-il envisager, Brigitte, pour que nous inspirions davantage la
pitié ? La seule raison que nos femmes ont foutu le camp n'est-elle pas
suffisante ?
BRIGITTE. Vous savez bien que nous n'avons pas de femmes, Régis.