LA MARCHE DU BAOYÉ
Sigrid Baffert
Illustrations d'Adrienne et Léonore Sabrier
Aucun de nous ne
s’est retourné.
Voir notre ferme
avalée, ça nous aurait écorché les entrailles. Aucun de nous ne s’est retourné,
mais on a entendu le choc des mandibules, l’atroce craquement du toit rond de chaume,
les lamentations des murs en terre cuite façonnés par la main de P’pa au fil
des années. Et puis le bruit des moteurs des Déracineurs, comme un rot de
géant. On a marché longtemps sur la piste écarlate. On a raclé la poussière, on
a suivi notre instinct, c’est tout ce qu’on pouvait faire.
Notre dernier
acte de résistance a été contre la chaleur qui menaçait de nous torréfier le
crâne. M’ma a sorti des tissus de bazin qu’elle destinait à ses robes, et on a
enrubanné nos cuirs chevelus de chèches colorés.
— L’errance
n’empêche pas l’élégance, a décrété M’ma d’un air pincé.
À la nuit
tombée, on s’est endormis en pelote autour de Monsieur B.
J’ai été le
premier à ouvrir un oeil.
Le sable rouge
s’était glissé dans le lin de nos vêtements et sous nos sandales, notre langue
était devenue écorce, nos gorges brûlaient, mais on était ensemble. Vivants.
J’ai salué
Monsieur B, et j’ai sursauté.
J’ai compté.
Recompté.
J’ai secoué les
autres.
— Quoi, Tiago ?
a grommelé P’pa.
— Il manque une kouré,
j’ai dit. Y en a plus que dix.
En librairie le 15 mars. Collection Polynie