vendredi 23 mars 2018

ENFANCES ET ARTS
Rencontre avec LÉonore Sabrier (Première partie)
Illustratrice avec Adrienne Sabrier de La marche du baoyé de Sigrid Baffert 

© Léonore Sabrier

Découvertes
Léonore Sabrier : Je me souviens des découvertes de la matière, de la couleur, du toucher, des gestes, enfant, adolescente, adulte, ces expériences sont toutes uniques, particulières. Ces expériences ont aussi été facilitées, par le contexte familial avec un père artiste, qui nous a, dès le plus jeune âge, sensibilisées : la petite souris emmenait avec grand soin des livres d'art qu'elle glissait sous notre oreiller et nous racontait ses péripéties avec le chat dans une carte postale glissée dans chaque livre. Très tôt nous avons pu expérimenter la couleur, la matière avec du matériel professionnel (peinture à l'huile, aquarelle, crayons pastels etc…).
© Léonore Sabrier

DEUX SŒURS, TROIS SOUVENIRS D’ART EN ENFANCE
L.S. : J'ai toujours une appréhension à me séparer d'un travail que je venais de réaliser. Je me souviens de la toute première fois que j'ai pu ressentir ce petit manque. A l'âge de 5 ou 6 ans nous étions au Larzac où mon père exposait à la Mostra. En parallèle de l'exposition, nous avions organisé ma sœur, une amie que nous avions rencontrée sur place et moi-même, un atelier de peinture sur cailloux et nous avions décidé de vendre nos œuvres en catimini. Une femme très enthousiaste d'un beau poisson que j'avais réalisé a voulu l'acheter ! Sur le moment, j'étais très flattée mais j'ai eu ensuite presque aussitôt quelques regrets de lui avoir cédé.
En colonie de vacances à l'âge de 8 ou 9 ans, nos monitrices étaient parties sans permission faire une course et nous étions restées 40 minutes livrées à nous-mêmes : avec nos camarades, nous nous sommes mis tout nus et nous avons joué aux indiens. On dansait en rond en s'aspergeant de peinture. Une explosion de joie, de geste et de couleur. Peu importe la punition, la performance en valait tellement la peine !
Petite, j'aimais beaucoup écouter les histoires du soir de mes amies ou de ma sœur et lorsque venait mon tour d'inventer une histoire, j'avais toujours peur de ne pas savoir bien raconter et je me souviens même d'avoir émis le souhait de pouvoir bien raconter les histoires. A l'âge adulte, j'ai retrouvé un dessin de mon enfance, c'était un immense chat noir qui accompagnait une famille en roulotte sur le chemin de l'école. Il n'y avait pas mots mais l'histoire était bien là…
© Léonore Sabrier

des influences ou le fantôme inconscient du monde
L. S. : En m'appelant Léonore, mes parents faisaient un clin d'œil à Leonora Carrington. Un certain nombre de coïncidences et de hasards m'ont amenée au Mexique. Il est certain que la lecture des textes et la découverte de l'œuvre peint de Leonora Carrington ont eu une influence majeure dans tout mon travail et peut-être ma vie même. Un prénom finalement, c'est toujours une intention que l'on habite et qui nous rattrape c'est pourquoi chez certains peuples, c'est toute la communauté qui participe au choix du prénom, tant cela a d'importance. Mais ce n'est qu'à l'âge adulte et assez tard finalement que j'en ai pris conscience. Je comprends mieux pourquoi adolescente je m'intéressais à la peinture et aux frottages de Max Ernst, c'était mon premier pas vers Leonora Carrington finalement… Leonora Carrington, qui s'est, entre autres, rendue au Chiapas afin de collecter des informations ethnographiques. Ses croquis et impressions, ses notes graphiques se répercutent dans ses toiles où les monstres issus de sa mythologie personnelle croisent parfois les divinités mexicaines.
J'ai vécu quatre années au Mexique et il se trouve que j'ai eu plusieurs fois l'opportunité de travailler en collaboration avec des anthropologues ou des chercheurs. Je suis souvent très enthousiaste quand on me propose un projet. D'autant plus que chaque fois que cela s'est présenté, on m'a fait confiance et on m'a laissé cette liberté de mener à bien le projet. Cela permet aussi d'être moins seul dans une pratique artistique et c'est toujours très enrichissant de faire des liens et des ponts entre les disciplines.
Giotto, Simone Martini, l'émoi de la couleur, comme un souvenir profond d'enfance et d'adolescence dans toute sa sensorialité: A l'âge de quinze ans, lors d'un voyage scolaire en Italie, j'ai été complètement subjuguée par les fresques de Giotto dans la chapelle des Scrovegni de Padoue. Une émotion toute particulière avec le bleu lapis-lazuli et les tons or. La découverte aussi dans l'une de ces fresques, du visage réuni de Joseph et de Marie s'embrassant m'a évoqué La jeune femme devant un miroir de Picasso. Comme si Giotto avait saisi cet instant magique où deux visages n'en font plus qu'un. Une sorte de transgression de la peinture. Je crois qu'à ce moment-là, j'ai perçu qu'une peinture est vivante au travers du temps mais s'actualise aussi toujours au regard d'une époque.
Tout au long de mon apprentissage et les découvertes plastiques qui ont suivi, j'ai parfois exploré les thématiques du double, les métamorphoses mais aussi une place toute particulière à la couleur. Petite, lors d'un voyage en Italie avec mes parents, j'ai certainement dû voir en vrai Le retable du bienheureux Agostino Novello de Simone Martini, car j'en garde une impression forte comme si la peinture elle-même avait accompagné mon enfance et je pense que j'en garde peut-être une trace aussi dans mon travail de quelque chose à la fois de fascinant, merveilleux et effrayant.

© Léonore Sabrier

Seconde partie, Sortir de chez soi, à suivre.


© Léonore Sabrier