Rencontre avec LÉonore Sabrier (Première partie)
Illustratrice avec Adrienne Sabrier de La marche du baoyé de Sigrid Baffert
Découvertes
Léonore Sabrier : Je me souviens
des découvertes de la matière, de la couleur, du toucher, des gestes, enfant,
adolescente, adulte, ces expériences sont toutes uniques, particulières. Ces
expériences ont aussi été facilitées, par le contexte familial avec un père
artiste, qui nous a, dès le plus jeune âge, sensibilisées : la petite
souris emmenait avec grand soin des livres d'art qu'elle glissait sous notre
oreiller et nous racontait ses péripéties avec le chat dans une carte postale
glissée dans chaque livre. Très tôt nous avons pu expérimenter la couleur, la
matière avec du matériel professionnel (peinture à l'huile, aquarelle, crayons
pastels etc…).
DEUX
SŒURS, TROIS SOUVENIRS D’ART EN ENFANCE
L.S. : J'ai toujours une
appréhension à me séparer d'un travail que je venais de réaliser. Je me
souviens de la toute première fois que j'ai pu ressentir ce petit manque. A
l'âge de 5 ou 6 ans nous étions au Larzac où mon père exposait à la Mostra. En
parallèle de l'exposition, nous avions organisé ma sœur, une amie que nous
avions rencontrée sur place et moi-même, un atelier de peinture sur cailloux et
nous avions décidé de vendre nos œuvres en catimini. Une femme très
enthousiaste d'un beau poisson que j'avais réalisé a voulu l'acheter ! Sur
le moment, j'étais très flattée mais j'ai eu ensuite presque aussitôt quelques
regrets de lui avoir cédé.
En colonie de vacances à l'âge de 8 ou 9
ans, nos monitrices étaient parties sans permission faire une course et nous
étions restées 40 minutes livrées à nous-mêmes : avec nos camarades, nous
nous sommes mis tout nus et nous avons joué aux indiens. On dansait en rond en
s'aspergeant de peinture. Une explosion de joie, de geste et de couleur. Peu importe
la punition, la performance en valait tellement la peine !
Petite, j'aimais beaucoup écouter les
histoires du soir de mes amies ou de ma sœur et lorsque venait mon tour
d'inventer une histoire, j'avais toujours peur de ne pas savoir bien raconter et
je me souviens même d'avoir émis le souhait de pouvoir bien raconter les
histoires. A l'âge adulte, j'ai retrouvé un dessin de mon enfance, c'était un
immense chat noir qui accompagnait une famille en roulotte sur le chemin de
l'école. Il n'y avait pas mots mais l'histoire était bien là…
des influences ou le fantôme inconscient du monde
L. S. : En m'appelant Léonore, mes
parents faisaient un clin d'œil à Leonora Carrington. Un certain nombre de
coïncidences et de hasards m'ont amenée au Mexique. Il est certain que la
lecture des textes et la découverte de l'œuvre peint de Leonora Carrington ont
eu une influence majeure dans tout mon travail et peut-être ma vie même. Un
prénom finalement, c'est toujours une intention que l'on habite et qui nous
rattrape c'est pourquoi chez certains peuples, c'est toute la communauté qui
participe au choix du prénom, tant cela a d'importance. Mais ce n'est qu'à
l'âge adulte et assez tard finalement que j'en ai pris conscience. Je comprends
mieux pourquoi adolescente je m'intéressais à la peinture et aux frottages de
Max Ernst, c'était mon premier pas vers Leonora Carrington finalement… Leonora
Carrington, qui s'est, entre autres, rendue au Chiapas afin de collecter des
informations ethnographiques. Ses croquis et impressions, ses notes graphiques
se répercutent dans ses toiles où les monstres issus de sa mythologie
personnelle croisent parfois les divinités mexicaines.
J'ai vécu quatre années au Mexique et il
se trouve que j'ai eu plusieurs fois l'opportunité de travailler en
collaboration avec des anthropologues ou des chercheurs. Je suis souvent très
enthousiaste quand on me propose un projet. D'autant plus que chaque fois que
cela s'est présenté, on m'a fait confiance et on m'a laissé cette liberté de
mener à bien le projet. Cela permet aussi d'être moins seul dans une pratique
artistique et c'est toujours très enrichissant de faire des liens et des ponts
entre les disciplines.
Giotto,
Simone Martini,
l'émoi de la couleur, comme un souvenir profond d'enfance et d'adolescence dans
toute sa sensorialité: A l'âge de quinze ans, lors d'un voyage scolaire en
Italie, j'ai été complètement subjuguée par les fresques de Giotto dans la
chapelle des Scrovegni de Padoue. Une émotion toute particulière avec le bleu
lapis-lazuli et les tons or. La découverte aussi dans l'une de ces fresques, du
visage réuni de Joseph et de Marie s'embrassant m'a évoqué La jeune femme devant un miroir de Picasso. Comme si Giotto avait
saisi cet instant magique où deux visages n'en font plus qu'un. Une sorte de
transgression de la peinture. Je crois qu'à ce moment-là, j'ai perçu qu'une
peinture est vivante au travers du temps mais s'actualise aussi toujours au
regard d'une époque.
Tout au long de mon apprentissage et les
découvertes plastiques qui ont suivi, j'ai parfois exploré les thématiques du
double, les métamorphoses mais aussi une place toute particulière à la couleur.
Petite, lors d'un voyage en Italie avec mes parents, j'ai certainement dû voir
en vrai Le retable du bienheureux
Agostino Novello de Simone Martini, car j'en garde une impression forte
comme si la peinture elle-même avait accompagné mon enfance et je pense que
j'en garde peut-être une trace aussi dans mon travail de quelque chose à la
fois de fascinant, merveilleux et effrayant.