MISE EN SCÈNE DE LA PAGE BLANCHE
RENCONTRE AVEC JULIA WOIGNIER
Parce que parfois le temps se retient d'avancer, il permet à une
illustratrice d'approcher ses débuts, ses rites et manies de création, les
non-dits et les secrets de ses œuvres, les embûches à Sumatra et ailleurs, les
périphéries et les chorégraphies, et le pull jaune qui relance la machine
créatrice
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©Julia Woignier,
La forêt invisible
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MODES DE VIES
Avant d'entrer
aux Arts Déco de Strasbourg, j'ai travaillé dans un petit atelier
d'illustrateurs en région parisienne. J'y animais surtout des cours d'arts
plastiques pour enfants et je commençais à faire des illustrations, encouragée
par ce nouvel entourage professionnel. Ce milieu m'a plu, le mode de vie me
correspondait assez bien. La suite a donc eu lieu à Strasbourg. Lorsque j'ai
été diplômée, je n'imaginais pas trouver si rapidement un éditeur, mais grâce
au Concours international d'illustration de Montreuil j'ai pu rencontrer MeMo
et nous avons commencé à travailler ensemble quelques mois plus tard. Cette
première rencontre a permis à La forêt invisible de voir le jour, puis à
La clé...
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©Julia Woignier, La forêt invisible |
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©Julia Woignier, La forêt invisible |
LE TEMPS RETENU
J'ai mes petits
rituels de travail. J'aime le matin. On dirait que le temps se retient
d'avancer, c'est une illusion bien sûr, mais il se fait discret et c'est ce
dont j'ai besoin pour travailler. Paradoxalement, c'est souvent dans les
moments de flottement, dans une rame de métro par exemple, que les meilleures
idées surgissent... alors que le temps est compté ! J'ai des petits
carnets que j'emmène partout et dans lesquels je compile des idées. D'abord, il
s'agit d'un dessin machinal, qui fait naître des pistes d'histoires. Il peut y
avoir à l'origine une impression visuelle forte, une idée de composition, une
combinaison de couleurs. Je m’imprègne mentalement d'une ambiance, c'est de
l'ordre de la sensation. J'écris d'abord par l'image. Je fais beaucoup de
recherches graphiques dans mes carnets, c'est un chemin nécessaire pour
inventer l'histoire. Je la mets à l'épreuve du dessin.
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©Julia
Woignier, La clé
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©Julia
Woignier, La clé
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©Julia
Woignier, La clé
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©Julia
Woignier, La clé
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©Julia
Woignier, La clé
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DANS LA FORÊT
INVISIBLE
Ce que vous
dites de la forêt invisible de la création est une très belle interprétation.
Je n'y avais pas pensé en ces termes. La forêt invisible raconte
beaucoup de choses, j'aime que chacun y invente sa propre histoire, qu'il y
cache un secret ou y révèle un trésor. Il est vrai que tout comme les
explorateurs devant la forêt invisible, l'auteur (ou l'artiste) est
confronté à une réalisation imaginaire, invisible, une page blanche.
Sans être jamais sûr de ce qui va surgir sur le papier, il doit plus ou moins
batailler et communier avec ce qu'il produit pour faire aboutir son
travail.
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©Julia Woignier, La forêt invisible |
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Laurent le Flamboyant ©Julia Woignier |
LES NOMS DES
CHOSES OU L’ART DU SAUTE-MOTS
À la lecture de Laurent
le Flamboyant, j'ai eu l'impression d'un récit luxuriant, fantaisiste et
survolté. Les toutes premières images que je voyais étaient des images de mets
exotiques. Je lisais des noms de fruits et de fleurs que je ne connaissais pas
et mon imaginaire s'emballait. Je devais tout vérifier, entre les jeux de mots,
les mots inventés, et le lexique propre à Sumatra, j'étais dans un voyage
truffé d'embûches.
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Laurent le Flamboyant ©Julia Woignier |
L’ŒIL SENSIBLE
AU TROU DE LA SERRURE
L'illustration
en petites vignettes est une réponse technique au fait de ne pas pouvoir tout
raconter je crois. Le texte fourmille de situations, les personnages sont très
expressifs, on a envie de les saisir dans un moment de complicité, de
surprendre un regard coupable… Sur un plan purement pragmatique, la différence
d'échelle entre les personnages très grands (comme Laurent, ou l'éléphant
Yongki) et ceux très petits comme la fourmi ou Monsieur Bouhabibi, oblige à
cadrer, à se focaliser sur le minuscule qui bien que minuscule n'est pas un
détail !
Enfin, je reconnais
mon goût pour les micro-scènes périphériques. C'est quelque chose qu'on
retrouve dans l'imagerie populaire, des petits personnages secondaires qui
traduisent un sentiment. C'est ce qui se passe lors de la scène du
départ : un couple de souris essuie une larme dans un coin.
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Laurent le Flamboyant ©Julia Woignier |
CORPS EN SCÈNE
Le corps dans
l'espace et le mouvement (ou le geste), en effet, sont essentiels pour moi. Les
gestes racontent beaucoup. Ils disent une ambiance, une humeur, ils trahissent
un caractère. J'essaye d'être précise dans leur représentation. Je suis
également très attentive à l'organisation des blancs ou des espaces dans la
page. Par ailleurs, je trouve que les corps sont très présents dans le roman de
Karen Hottois, leur taille les confronte sans arrêt à leur environnement, du
gigantesque au minuscule. Les personnages sont pétris d'exagération, certaines
scènes sont très théâtrales, notamment les scènes de cuisine. C'est cette
ambiance fébrile, bouillonnante qui m'intéressait. L'illustration est comme une
sorte de mise en scène pour moi. Karen fait une appétissante description du
menu, les gestes rajoutent à son abondance.
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Laurent le Flamboyant ©Julia Woignier |
UNE SECONDE
AVANT : DEUX ILLUSTRATIONS POUR UN DÉPART
La répétition et
la variation font partie de mon processus de travail.
À propos de
cette image, j'ai d'abord réalisé celle où Laurent fait face à ses amis. C'est l'instant
où il leur annonce son départ. Je ne sais plus ce qui m'a fait douter (ça peut
être un détail aussi bête que le pull jaune sur le dessus de l'armoire), mais
je l'ai recommencée aussitôt. Au lieu de refaire la même exactement, j'ai
imaginé que les personnages surprenaient Laurent une seconde avant.
PROJETS DE COUVERTURE