« Je tapais lentement. Fort. Arrachant des
plaintes grinçantes à la vieille machine. Je couvrais de haïkus absurdes des
feuilles et des feuilles d’étiquettes autocollantes. »
« J’ai garé la voiture sur le quai du port
de Roscanvel. La cale descendant vers la mer était découverte, l’eau commençait
à monter, la lumière du soir donnait aux remous qui léchaient la pierre une
couleur dorée. »
Route Ciel – Territoire navajo
« Il passait des heures à enregistrer des
compositions bruitistes sur un vieux magnétophone à quatre pistes qu’il tenait
d’un oncle. »
Lieux et thÈmes :
Petit prÉcis de l’infini
Brest
C’est
le bout du monde, l’ouest, juste avant le « gouffre » de l’Atlantique,
mais aussi et surtout l’appel de l’Atlantique, c’est le voyage vers l’ailleurs,
l’Amérique.
Mais
c’est aussi la Bretagne, plus ou moins ma terre natale, celle de ma mère,
terres et souvenirs de vacances, enfant, dans de petites bicoques bretonnes,
près des plages, et adolescent, où j’y ai vécu des expériences marquantes,
fondatrices, et où j’ai passé quelques semaines lorsque, devenu père, mes
enfants sont nés (c’est là-bas, dans la presqu’île de Crozon, en 2006, lors de
vacances à Roscanvel que l’idée de Brest et de Petit garçon ont cristallisé – à
partir de la nouvelle No fear d’Invisibles).
C’est
une ville qui fut un peu perdue sur la carte, un peu loin de tout, ravagée par
les avions, les bombes, mais qui émerge toujours de la brume, échappe aux
nuées, à la pauvreté, au climat, à la pluie, exhibant, modeste toujours, ses
grues, ses bateaux militaires, sa lande râpée, mais fière de ses tempêtes, de
ses vagues, de ses sous-marins qui croisent dans tous les océans du monde, de
ses marins enfin qui hantent et font la ville depuis toujours. Marins hier,
surfers aujourd’hui.
Mais
ça n’est pas une ville « réelle », dans le livre, elle l’est sans
l’être, je ne la connais et ne l’ai arpentée, plusieurs fois, encore cet hiver,
que pour capter quelque chose, pour nourrir Petit Garçon/Surf, je ne voulais
pas la connaître trop, elle devait rester insaisissable, un rêve, pour ne pas
se faire avaler par le réalisme (qui n’est pas un ennemi esthétique personnel,
mais dont je me méfie un peu, ne sachant pas toujours bien quoi en faire). Ce
qui fait son intérêt immense bien sûr, c’est tout cet océan, et toute cette
rade. C’est bleu, c’est sombre, c’est couvert, et puis soudain il y a le
soleil. Mais c’est le ciel qui décide, lumière ou plafond gris, immense,
écrasant.
Et
c’est un miroir de Big Sur, océan, falaises, bout du monde.
Big Sur
C’est
un voyage personnel, il y a si longtemps, les séquoias immenses, les plages
désertes, le Pacifique, l’autre côté de la terre, les rivières sous le couvert
des arbres à l’écorce filandreuse rouge, les maisons des ex-hippies devenus
riches et invisibles, et celle d’Henry Miller, devenu petit musée, le
« Colosse de Big Sur » réfugié là, loin du cauchemar climatisé. Il
est l’une de mes déflagrations littéraires majeures au lycée. Il y a de ce
géant lyrique qu’est Miller en Jack. Adam est plus un Steinbeck, un Faulkner
peut-être (quand Jack est un Hemingway).
Territoire navajo
et Flagstaff
Encore
un voyage, le même, renouvelé : Kayenta, Canyon de Chelly, Flagstaff. Mais
avant le réel des paysages et des routes, des montagnes sacrées navajos et des
mesas hopis, des Indiens navajos au volant de leur pick-up, des motels
poussiéreux et des longs trains de marchandises qui geignent la nuit dans
Flagstaff, il y avait les westerns, les livres de Tony Hillerman, les albums de
Blueberry. Et une passion pour les nations indiennes, l’ethnologie, le
shamanisme, la spiritualité, la quête de l’invisible.
Le surf
C’est
cette danse sacrée qui est tout sauf triviale, qui fascine, au-delà (mais aussi
grâce) de la mythologie Pacifique/Californie/années 60.
C’est
la quête d’équilibre parfait, entre mer, ciel et terre, tout ça sur un bout de
bois improbable – et pourtant ça glisse, jusqu’à l’infini. C’est la métaphore
parfaite de la quête, et d’une pratique, de la révélation possible (quête de
l’illumination disent les bouddhistes), de la poursuite de l’être (s’il veut
bien exister) dans l’agir, l’incarnation (Jack dirait sans doute, à raison, que
c’est aussi une pratique sacrée de désincarnation, une acceptation totale de
l’impermanence de ce qui est manifesté).
La musique
concrète
C’est
une découverte, adolescent, et une pratique, quelque temps, de captation, de
distorsion, de collage des sons, des bruits, des expériences, magnétophone à la
main, et de destruction des conventions et des vieilles règles. C’est la quête
d’un idéal de création délivré de l’ancien et du sacré, quoi de plus sacré que
la musique ?, mais pour voir s’il n’y aurait pas une esthétique par là
aussi, une beauté, un sacré donc. Le « bruitisme », une certaine
noise music, issue également de racines punks, était la voie suivie, plus que
les expérimentations plus savantes de Pierre Henry.
Pour
Jack, et Aeka, ce sont des expériences poétiques brutes, des créations vitales,
moins qu’une rage, c’est la quête de l’envers des choses qui les guident.
« Il faut détruire la musique. Elle ne
correspond à rien pour nous dans la mesure où elle doit être HARMONIE DES
SPHERES. Dans la mesure où le sacré s’est transporté de l’Absolu jusque dans la
vie elle-même, la musique doit se transporter de la sphère de l’art
(musicalement parlant) dans le domaine de l’angoisse sacrée. Si les conventions
musicales, l’harmonie, la composition, les règles, les nombres le côté
mathématique et les formes avaient un sens par rapport à un Absolu, aujourd’hui
la musique ne peut en avoir que par rapport aux cris, au rire, au sexe et à la
mort. Tout ce qui nous met en communication avec le cosmique, c’est-à-dire avec
la matière vivante des mondes en feu. Il faut prendre immédiatement une
direction qui mène à l’organique pur. À ce point de vue, la musique a été
beaucoup moins loin que la poésie ou la peinture. Elle n’a pas osé encore se
détruire elle-même pour vivre. Pour vivre plus fort comme le fait tout
phénomène vraiment vivant. » (Pierre Henry)
Le street art
Là,
c’est plus personnel encore, puisque l’idée m’est venue en voyant mon fils de douze
ans s’adonner à cette pratique, utilisant la vieille machine à écrire que je
lui avais offerte (à sa demande), pour imaginer des textes et les taper sur des
étiquettes adhésives collées ensuite dans les rues.
L’Odyssée
C’est
l’inspiration première, un peu consciente, très inconsciente, car elle me
« modèle, m’irrigue de l’intérieur », plus que je ne souhaite en
faire un savoir conscient, savant. C’est un mythe, un chant, ça œuvre en nous,
en moi.
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