L’ART
HEUREUX DE LA DÉFAITE OU LEUR ARIZONA
−
Tu te souviens ? Ici, je t’ai enseigné l’art de la défaite.
−
Tu as plutôt réussi dans le domaine, pas vrai ?
− Quand
nous serons sous notre toit de chaume, nous pourrons faire l’amour dans un
silence absolu.
− Tu
me raconteras ?
− Te
raconter quoi ?
− L’Arizona.
Sélection
Prix Vendredi 2019
Sélection du Prix des ados des Alpes de Haute-Provence
Sélection du Prix des ados des Alpes de Haute-Provence
Sélection
Prix des collégiens de Gironde
Pour les vacances, Adam rentre à Brest, dans cette ville si particulière qui ne lui a jamais offert qu’un horizon obstrué par l’immensité des grues et de lourdes absences. Adam a grandi avec sa mère. Son père les a quittés une nuit, et n’a jamais donné signe de vie. Adam a vécu avec ce morceau de vie inachevé, inexpliqué. Mais il a aujourd'hui en mains une lettre de la femme de son père, envoyée d’Arizona, qui lui annonce sa mort quelques mois plus tôt. Le pli contient des lettres que son père lui avait écrites, les seules qu’il n’a jamais eu le cœur de détruire. Autour d’Adam gravitent des personnages indispensables à sa quête de réponse: son ami Nathan (caché derrière le prénom de Jack), incandescent, insaisissable, désespérément juste, sorte de miroir des bouleversements de l’adolescent; Aeka, passionnée autant qu'allumée; et Katel, qui est pour Adam à la fois le mystère, la découverte, la rencontre dévorante. Ce récit puissant dresse un rapport au temps magistral, construit comme un roulis fait de multiples moments passés qui renvoient au présent dans lequel Adam prend en main ce que la vie lui donne. Une histoire en mouvements qui emprunte au surf cette danse des vagues et une attirance mystérieuse pour l’immensité, l’inconnu, la déferlante qui emporte tout et sur laquelle la vie nous apprend à glisser.
Sorcières
du jour Cinq étoiles, Aurélie Lucchi Librairie La Carline
Grande
Polynie, collection tant mise en lumière par leur premier roman: coup de poing,
chroniqué, plébiscité à multiples reprises; Milly Vodovic texte in-croy-able (c’est grâce à de
tels livres que j’aime tant mon métier de libraire jeunesse !) avec la sublime
couverture illustrée par Jeanne Macaigne (bisous copine ^^). Ils
ont mis le paquet ! pour leur premier, comme on dit.
Surf,
c’est le premier roman (aussi, mais) jeunesse de Frédéric Boudet. Encore
un texte fort, poignant, qui nous embarque aux côtés d’Adam, jeune homme de 19
ans.
Adam
vit avec sa mère-fantôme, âme errante depuis le départ de son mari.
Quand il est parti Adam avait 11 ans, depuis plus aucune nouvelle. Ils vivent à
Brest, dont le seul mouvement est celui des vagues. C’est peut-être afin de
créer quelques vagues qu’Adam sèche ses études de graphisme et traine avec son
meilleur pote Jack (enfin… c’est Nathan pour de vrai mais…) qui vient
de rencontrer une meuf tout aussi chelou que lui, tout aussi attachante : Aeka
(ils enregistrent le silence – j’vous jure ^^). Il y a aussi cette rencontre
avec cette nana : Katel, restée elle aussi dans le coin et qu’il n’avait
pourtant jamais remarqué.
Pour
en revenir à l’histoire : une lettre est arrivée. Elle est signée d’Helen; elle
lui apprend la mort de son père il y a 2 semaines : cancer du poumon. A ce
courrier sont jointes des lettres, qui lui a écrites toutes ces années sans lui
avoir fait parvenir. Père volatilisé, mots encrés. Partir alors sur les traces
parcemées de cet homme-fantôme, Adam flirt avec les non-dits, les révélations
tel un surfeur acrobate-amateur.
Au
rythme du vent, la lecture de ce roman vous enveloppera, vous retournera telle
une vague de l’océan atlantique. Vous deviendrez alors ce surfeur qui essayera
de dompter les vagues, le vague à l’âme, avec ce zeste de folie, d’inconscience
et ce soupçon de lâcher prise …
J’sais
pas pourquoi mais ce livre m’a donné cette envie folle de revoir l’un des films
de Rémi Besançon : « Le premier jour du reste de sa vie » !?
La
soupe de l’espace, Mélanie Pichinoty
(Chronique
~ Coup de cœur)
Aujourd'hui je vous parle d'un roman particulier. Pourquoi particulier ? Parce que c'est le second roman publié dans la collection Grande Polynie aux éditions MéMo et que c'est aussi mon second coup de coeur dans cette collection avec Milly Vodovic de Nastasia Rugani. Un sans faute. Et j'ai comme le pressentiment que tous les romans choisis par Chloé Mary seront des découvertes bouleversantes Un grand merci pour l'envoi de ce roman génialissime signé Frédéric Boudet.
Mon résumé : Brest. Adam. Jack-Nathan. Aeka. Katel. Chacun des personnages de cette histoire, des morceaux de la grande, des empreintes de la petite. Brest se fait décor, amie et ennemie, tantôt réconfortante, tantôt déprimante. Il y a en elle cette fougue des villes bruyantes et cette tranquillité ennuyeuse ou amère. Adam se fait narrateur, porteur d’un deuil depuis l’enfance, empli d’un tas de m(aux)ots qui se font aujourd’hui souvenirs et qui le ramènent, pas après pas, vers son passé. Un passé partagé avec un père croyant aux rêves des indiens et une mère-licorne peu à peu fânée. Jack-Nathan, lui, est un géant. Un géant dont les phrases sans queue ni tête, l’envie permanente de vacarme, de se plonger dans tout ce qui touche, tout ce qui explose, de déglinguer des surfeurs le rend d’une sensibilité désarmante, presque hallucinée. Aeka, elle, enregistre tout. Elle enregistre les bruits du monde, rire, ronflements, sanglots, et puis le vide aussi, le vide de la nuit, des silences, des pensées. Elle en fait des morceaux percutants et percutés qui tantôt défonce les oreilles, tantôt défonce le cœur. Katel est presque la plus douce, la moins allumée. Elle a ses mots à elle, parfois brûlants, parfois tendres, toujours justes, plongée dans cette sorte de transe psychanalyse qui la fait comprendre ces grands fous-malades. Et dans le fond, cette partition douce-amère du passé et de l’avenir, de lettres écrites mais jamais envoyées, d’un père absent, de parents étouffants, de Japon lointain et de souvenirs.
.
"Surf est un roman difficilement identifiable, difficilement chroniqué. Il ne peut que vous parler. Il a cette sensibilité des artistes incendiés, la chaleur des lumières vives, et parfois cette folie douce-amère que l’on noie dans les vagues. Il a cette écriture magnifique, ces personnages touchants et bouleversants, et cette façon d’osciller entre passé et présent, avec les bruits du monde, la rage au ventre. Un coup de cœur ❤"
Aujourd'hui je vous parle d'un roman particulier. Pourquoi particulier ? Parce que c'est le second roman publié dans la collection Grande Polynie aux éditions MéMo et que c'est aussi mon second coup de coeur dans cette collection avec Milly Vodovic de Nastasia Rugani. Un sans faute. Et j'ai comme le pressentiment que tous les romans choisis par Chloé Mary seront des découvertes bouleversantes Un grand merci pour l'envoi de ce roman génialissime signé Frédéric Boudet.
Mon résumé : Brest. Adam. Jack-Nathan. Aeka. Katel. Chacun des personnages de cette histoire, des morceaux de la grande, des empreintes de la petite. Brest se fait décor, amie et ennemie, tantôt réconfortante, tantôt déprimante. Il y a en elle cette fougue des villes bruyantes et cette tranquillité ennuyeuse ou amère. Adam se fait narrateur, porteur d’un deuil depuis l’enfance, empli d’un tas de m(aux)ots qui se font aujourd’hui souvenirs et qui le ramènent, pas après pas, vers son passé. Un passé partagé avec un père croyant aux rêves des indiens et une mère-licorne peu à peu fânée. Jack-Nathan, lui, est un géant. Un géant dont les phrases sans queue ni tête, l’envie permanente de vacarme, de se plonger dans tout ce qui touche, tout ce qui explose, de déglinguer des surfeurs le rend d’une sensibilité désarmante, presque hallucinée. Aeka, elle, enregistre tout. Elle enregistre les bruits du monde, rire, ronflements, sanglots, et puis le vide aussi, le vide de la nuit, des silences, des pensées. Elle en fait des morceaux percutants et percutés qui tantôt défonce les oreilles, tantôt défonce le cœur. Katel est presque la plus douce, la moins allumée. Elle a ses mots à elle, parfois brûlants, parfois tendres, toujours justes, plongée dans cette sorte de transe psychanalyse qui la fait comprendre ces grands fous-malades. Et dans le fond, cette partition douce-amère du passé et de l’avenir, de lettres écrites mais jamais envoyées, d’un père absent, de parents étouffants, de Japon lointain et de souvenirs.
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"Surf est un roman difficilement identifiable, difficilement chroniqué. Il ne peut que vous parler. Il a cette sensibilité des artistes incendiés, la chaleur des lumières vives, et parfois cette folie douce-amère que l’on noie dans les vagues. Il a cette écriture magnifique, ces personnages touchants et bouleversants, et cette façon d’osciller entre passé et présent, avec les bruits du monde, la rage au ventre. Un coup de cœur ❤"
Surf n’est
pas à proprement parler une histoire de surf. Ce serait plutôt une façon
de surfer sur un passé, une douleur, de surfer vers, de surfer pour,
de se prendre des vagues en pleine tronche et de les chevaucher avec toute la
fougue, la rage et l’enchantement d’un géant, d’un poète qui se doit de devenir
équilibriste pour ne pas sombrer, d’un adolescent qui croit qu’il peut posséder
le monde mais qui ne peut que tenir debout, encore et toujours. Peut-être que
c’est ça Surf ou bien pas du tout. Qu’importe.
« Tu
disais que tous ces enfants allaient vieillir un jour, que leur sourire, leur visage,
les mots qu’ils auraient prononcés un matin en se levant avant d’aller à
l’école, les rêves qu’ils auraient faits cette nuit-là, tout allait cesser
d’exister. Tu n’acceptais pas que même les instants les plus insignifiants
puissent disparaître, être oubliés, que la vie ne soit finalement qu’une
accumulation de choses disparues. Tu me faisais frémir, parfois, avec tes
théories étranges sur le temps qui passe ».
Il
y a dans ce roman-ci comme une énorme métaphore de l’existence. La façon dont
on fui et dont on revient, inlassablement, d’un point A à un point B, non pas
de manière fixes d’ailleurs mais de façon tout à fait aléatoire. Il y a cette
partie de l’enfance à l’adolescence où inlassablement on ressasse, on aimerait
rester cet enfant à qui l’on va montrer le chemin du doigt, et en même temps la
façon dont on va fuir ces embrassades qui nous ramènent sans cesse en arrière
sans trop comprendre pourquoi. Et puis il y a l’adolescence à l’âge adulte,
toujours cet entre-deux qui recommence, où l’on ne sait plus très bien si l’on
se construit toujours sur le passé ou si on a enfin commencer à construire un
futur. Cet entre-deux continue éternellement et c’est peut être pour cela que
le père d’Adam s’échappe. Il s’échappe à travers les pensées et les préceptes
des shamans navajos, s’échappe à travers les histoires d’odyssée et de rêves
qu’il conte à son fils, puis s’échappe tout à fait en traversant l’Atlantique
direction les états unis. Et pourtant lui aussi écrit sans cesse à son fils
qu’il a laissé. Peut-être que l’on est condamné, à être tiré puis ramené par
les courants de l’existence, ou bien peut-être que l’on peut tenter de surfer
sur la vague. Je crois que c’est un peu ça que Jack et Adam doivent apprendre.
Leur quête. Surf, au delà de ses mots extraordinaires, de sa prose entre
poésie et violence, à l’image des stickers et des phrases que pouvait placarder
Adam sur les murs de Brest et Paris, veut nous conter quelque chose.
« Adam
murmure, il murmure et le vent, l’air sont une compresse douce contre ses
lèvres, un pansement de silence. Il ouvre la bouche, ses yeux, sa poitrine, et
il est presque aussi grand que le terrain dénudé autour de lui, presque aussi
grand que le quartier, la ville, la rade, il devient la rade, l’océan et la
houle – il y a quelque chose qui se tient là, quelque chose ou
quelqu’un. »
Parce
que bien évidemment, bien avant l’histoire je me suis attachée aux mots. A
cette façon d’écrire, de penser, de dire des choses, d’en laisser parler
d’autres. Cette façon de se faire se succéder et le point de vue des souvenirs,
et le point de vue des lettres, et le point de vue d’Adam. Et parfois même
d’autres. Cette façon de parler à mi chemin entre les poèmes et le rap, sous
des airs de slam déguisé mais qui de manière tout à fait extraordinaire m’a
fait me sentir immensément proche d’une douleur inconnue, de sensations
nouvelles, de musiques jamais écoutées. Les mots, c’est quelque chose
d’important. C’est ce qui va conférer à un ouvrage toute sa sensibilité. Je
sais lesquels me parlent. Je sais aussi que parfois je lis des romans dont
l’écriture n’a rien d’exceptionnel, où l’histoire a davantage sa place. Mais
quand les deux sont mélangés à la perfection, comme dans Surf, comme
dans Milly, comment ne pas tomber sous le charme ?
« Jack
était juste un génie précoce. Un géant abandonné sur les rives d’une
civilisation où il valait mieux devenir comptable, ou employé au CHU, que
prophète ou artiste incendié de l’intérieur. Tant pis pour vous si votre ADN
flirtant avec celui des shamans. En Mongolie ou en Sibérie, à une autre époque,
il aurait commandé au tonnerre et à la foudre et serait devenu le guide
spirituel d’une coalition de tribus. »
Alors
oui, je ne vous dis pas grand chose de l’histoire et je vous laisse avec mes
impressions toutes personnelles, je vous livre des petits bouts de rien, je
vous donne les citations qui m’ont percutée de plein fouet, (et pourtant il y
en a eu tellement que le choix fut rude), mais vous en dire trop serait aussi
sans doute détruire la magie de cet ouvrage. Alors je vais parler des choses
autour. De ces petites choses qui font de ce roman un grand roman. A commencer
par sa critique, vive et amère, de notre société moderne. J’y ai reconnu un peu
du Fraternidad de Thibault Vermot, une lecture récente, piquante, qui
comme Surf vient nous parler des aventures du dedans et du dehors. A
travers le récit d’Adam, les mots parfois instinctifs, brutes de Nathan-Jack, à
travers la folie musicale d’Aeka, on reçoit ces personnages-ovnis comme autant
d’espoir et d’émerveillement.
Peut-être
que notre société nous annihile, et nous pousse à vivre des rêves de pacotille
enrubannés dans un carcan sociétal dont on ne sort plus tout à fait, poussés à
la quête du bonheur absolu, oubliant les creux, les oublis, la tristesse, les
larmes qui te font sentir mille fois plus vivant ensuite. Un carcan qui te
pousse à juger les cœurs malades de fous, les « incendiés » de
l’intérieur de mentalement déficients. Alors je ne sais pas si c’est l’objectif
de ce genre de roman, de nous pousser à voir le monde autrement, nos vies
autrement, nos silences autrement. Mais c’est ainsi que cela fonctionne sur moi
et je suis heureuse de faire ce genre de rencontres littéraires bouleversantes.
« Arrête
de te faire croire que tu ne sais pas où tu en es. Tu es paumé parce que tu as
laissé ta mère te fabriquer un petit enfer de grâce et d’oubli. Brûle tes
foutues boîtes. Moi je vais attendre ici que l’on vienne me chercher, « C’est
l’heure de la cantine, monsieur Jack », et je mettrai mon doigt dans le cul de
ces infirmiers qui ont tant de poils sur les bras que ça me donne envie de les
mordre jusqu’au sang, de leur arracher leur peau de lapin pour dégager l’homme
qui est là-dessous – c’est un enfant qui pleure, oui, je sais Adam. Alors
prends ton enfant qui pleure sous le bras et tire-toi d’ici tant qu’il est
encore temps. Va embrasser ton père sur le front une dernière fois, si ça doit
t’aider à trouver l’illumination. Tu sais quoi, Adam, tu fais chier à copier la
geste de ma déroute, elle m’appartient, je t’aime, alors tu fais chier. »
C’est
aussi une histoire d’amitié touchante, de personnages. C’est d’abord l’histoire
d’Adam bien sûr, c’est sa quête, son chemin, son père, ses lettres, ses
souvenirs. Mais c’est aussi les autres qui gravitent autour de lui. Et j’ai
aimé que l’on ait cet aperçu des autres, de sa mère, ressemblant à une licorne
voilée à qui l’on aurait pris toute sa lumière, qui aurait trop donné de soi
sans se garder un peu, de son père aussi, à travers ses lettres, mais surtout
de ses trois amis. Jack d’abord, le géant-balancier, Aeka ensuite, mais aussi
Katel. Avec sa joie, sa lumière, son indépendance. Katel c’est celle qui vient
après, qui a déjà fait le pas de relâcher ses épaules, accepter son passé comme
ce qu’il est : le passé. Elle est la lumière et Adam le papillon qui vient s’y
lover. Pourtant à aucun moment elle ne brûle. Et j’ai trouvé ça beau, avec tout
ce que leur relation implique : l’amour, le sexe, le partage. Mais au delà de
tout cela c’est se fondre l’un dans l’autre, et se redécouvrir une lumière
intérieure, une magie secrète au fond de soi.
Les
dream-dream d’une bouquineuse
La
vie, c’est parfois comme une vague, une déferlante qui peut prendre de court,
désarçonner, emmener loin celui qui se risque à se laisser glisser, bousculer
ou encore malmener qui ne parvient pas à l’apprivoiser… Mais surfer sur la
vague requiert un équilibre savant. L’âge charnière qu’est l’adolescence est
peut-être celui où l’exercice est le plus périlleux : l’envie de
s’élancer, de créer et d’explorer les océans du monde cohabite alors souvent
avec des questionnements existentiels, l’aspiration à faire table-rase et la
peur d’échouer…
Voilà
ce dont nous parle ce roman inclassable qui paraît aujourd’hui. L’histoire est
celle d’Adam qui espère, depuis des années, des nouvelles de son anthropologue
de père, évaporé quand il n’avait que 8 ans. Cet abandon incompréhensible les a
laissés, lui et sa mère, complètement désemparés, silencieux, figés, encore des
années plus tard, dans un passé à la fois idéalisé et dont l’évocation reste
terriblement douloureuse.
« Depuis
sa disparition, onze ans auparavant, il ne m’avait jamais donné aucune
nouvelle. Je n’avais rien oublié. Je me souvenais de lui comme s’il était parti
hier. »
Le
récit s’amorce alors qu’Adam vient, enfin, de recevoir une lettre lui annonçant
la mort de son père, assortie des courriers que ce dernier ne lui avait jamais
envoyés. Moins qu’une élucidation des circonstances de l’abandon brutal, qu’on
souhaiterait pourtant avec autant de force qu’Adam, le roman montre comment il
parvient à puiser dans ces courriers et dans son entourage la force d’admettre
sa situation, d’aller de l’avant avant que sa propre vague ne se fracasse sur
le rivage brestois. Jack, son ami d’enfance tourmenté par ses propres
questionnements métaphysiques, l’incandescente Aeka et la tendre Katel lui font
progressivement comprendre, chacun à sa manière, qu’il est temps de rompre les
amarres avec un passé obsédant, de cesser de dériver au gré des courants, et de
commencer à embrasser une vie dont il pressent déjà toutes les potentialités.
Le
roman n’hésite pas à aborder de front les tourments métaphysiques de ceux qui
se risquent sur la crête vertigineuse de la vague et a donc un côté très
sombre… mais le message est résolument optimiste et émancipateur.
« Jack
était juste un génie précoce. Un géant abandonné sur les rives d’une
civilisation où il valait mieux devenir comptable, ou employé au CHU, que
prophète ou artiste incendié de l’intérieur. Tant pis pour vous si votre ADN
flirtait avec celui des shamans. En Mongolie ou en Sibérie, à une autre époque,
il aurait commandé au tonnerre et à la foudre et serait devenu le guide
spirituel d’une coalition de tribus. »
Ce
texte très littéraire, fourmillant de références, prend les adolescents au
sérieux. Les métaphores sont puissantes – qu’il s’agisse de la ville de Brest,
de l’océan ou du thème récurrent de l’Odyssée – et les dialogues vertigineux.
Le rythme est lent, non-linéaire, sinuant au gré de l’incursion des souvenirs
et des spirales de pensées inspirées par la déambulation d’Adam à travers
Brest. J’ai à plusieurs reprises été un peu déroutée par cette forme un peu
échevelée du récit et par l’ambiguïté de certaines scènes dont je n’ai pas su
dire si elles relevaient du récit, de l’imagination du protagoniste ou d’une
métaphore filée. Je n’en ai pas moins pris beaucoup de plaisir à découvrir la
belle plume de Frédéric Boudet et à voir sous mes yeux Adam se lancer à la
conquête des vagues de sa vie. On sort de cette lecture avec l’envie de croquer
la vie à pleines dents, et de créer…
« Me
perdre en Patagonie. Des glaciers accrochés aux sommets des montagnes, des
kilomètres de désert de broussailles des fleuves aux eaux vertes, des villages
désolés, des hors-la-loi à la nationalité douteuse, la main sur le couteau,
deux océans qui se jettent violemment l’un contre l’autre, ça fait envie,
non ? »
L’île
aux trésors
Surf
est un roman initiatique sur fond d’Océan Atlantique qui sans nul doute
vivifiera votre rentrée.
Un
roman qui attaque à l’air iodé et dont l’ambiance saline creuse les blessures…
4 adolescents en quête de sens et de liberté se retrouvent à Brest ville de leur enfance ou d’adoption.
Face à la mer, ils essaient de trouver la vague, de se dresser sur les surfs de leurs vies, et de tenir debout pour rejoindre leur destin.
Mais que de plongées ont-ils à affronter !
4 adolescents en quête de sens et de liberté se retrouvent à Brest ville de leur enfance ou d’adoption.
Face à la mer, ils essaient de trouver la vague, de se dresser sur les surfs de leurs vies, et de tenir debout pour rejoindre leur destin.
Mais que de plongées ont-ils à affronter !
Adam,
le narrateur, vit en apnée depuis la disparition de son père. Un père qui
réapparaît dans des courriers et qui lègue à son fils une vie fantasmée par
l'absence. Adam est obsédé par les raisons qui ont poussées son père à les quitter,
lui et sa mère. Aura t-il la force de marcher dans les pas de son père en
s'envolant vers l'Amérique? La mère d’Adam, femme-fantôme tellement touchante
tant elle est démunie face à toutes les bourrasques qui la font vaciller.
Le
frère-ami d’Adam, Jack-Nathan, enfermé dans sa folie, encombré par un corps
informe, détruit petit à petit par le flux et le reflux des marées qu’il se
prend comme autant de coups dans la gueule se bat pour tenter de dompter la
vague qui le noie peu à peu. Jack, clochard céleste à la Kérouac, étouffe dans
le carcan du monde.
Et
puis il y a ces deux filles qui font un bout de chemin avec Adam et Jack, Aeka
qui enregistre la vie et Katel qui n’aspire qu’à vivre.
Le
premier roman pour la jeunesse de Frédèric Boudet traverse les affres
adolescentes comme une lame de fond. On en ressort rincé mais prêt pour un
nouveau départ.
Bon
vent….
Libellule&Coccinelle
Surf,
c’est l’histoire d’Adam, 18 ans, qui ne sait pas par quel chemin commencer
sa vie.
C’est
également l’histoire d’un père disparu bien trop tôt dans la vie de son
fils (Adam) et qui revient auprès de lui, après sa mort, sous forme de lettres.
Des lettres qu’Adam va lire à son rythme, partagé entre impatience et colère,
curiosité et anxiété.
C’est
encore l’histoire d’une amitié hors normes (entre Adam et Jack,
un sacré personnage complètement barré) et essentielle.
C’est
enfin l’histoire d’une rencontre improbable avec Katel sur une aire
d’autoroute, ce genre de rencontres qui tombe juste bien pour peu que l’on lève
les yeux et que l’on se fasse un peu violence pour qu’elle « donne quelque
chose ».
Pour
moi, il ne s’agissait en rien de continuer, mais de commencer, de commencer
enfin.
Dans Surf,
il y a l’apprivoisement nécessaire d’un père inconnu par son fils pour se
sentir droit dans ses baskets et dans sa vie.
Surf,
c’est une quête de soi qui est superbement menée par son auteur qui ne nous
livre pas tout, ne nous mâche pas tout : on doit s’impliquer en tant que
lecteur pour relier les choses. On est tour à tour bien ancrés dans la réalité,
on fait des incursions contées, on imagine la Californie (où le père d’Adam a
fini sa vie). Les points de vue et les tons sont variés et c’est assez
génial ! Durant ma lecture, je me suis retrouvée plusieurs fois à lire et
relire des passages que j’ai trouvés d’une force et d’une intelligence folles :
−
Quand un type psalmodie durant des heures des trucs bizarres dans la cafétéria
d’une aire d’autoroute, ou bien il est fou, ou bien on risque de beaucoup
apprendre à son contact, pas vrai ? Les gens ne réfléchissent jamais à leur vie
comme à une succession d’occasions à saisir, ils sont obnubilés par la peur.
Elle leur fait croire que leur vie a un sens parce qu’ils savent prétendument
de quel côté il faut se tenir.
- (…)
l’équilibre du monde réside dans sa beauté, ce qui pour nos cerveaux
d’Occidentaux est à proprement parler insupportable.
-
−
Tu ne cherches pas au bon endroit, Adam. Ton histoire de pigeon, ça craint,
oublie ça. Ce qu’il faut c’est comprendre pourquoi ces mecs restent des heures
perchés sur leur planche sans jamais redescendre.
−
Je ne cherche rien, Jack, rien du tout.
−
Si, je crois bien que si, tu cherches mais tu n’es pas sûr d’être à la hauteur
de ce que tu vas trouver. J’ai grossi, non ?
Avec Surf,
il faut oser prendre sa planche et trouver la vague…
Pour
finir, je ne saurais trop vous recommander d’aller sur le blog Nouvelles
de Polynies et
de lire les propos de Frédéric Boudet recueillis par Chloé Mary
–aka l’éditrice de cet excellent roman et de tous les autres textes de la
collection Polynie !, c’est en 4 parties et c’est absolument
passionnant.
Et
je vous invite aussi à consulter LES NOUVELLES
DE POLYNIES ÉDITION N°4 !
Chez Gaëlle la libraire, Gaëlle Farre
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to Breizh
C’est
la rentrée, l’occasion de reprendre de bonnes habitudes…
A
mon retour de vacances en Bretagne, j’ai eu le plaisir de découvrir dans ma
boîte aux lettres, le nouveau roman de la collection Polynies des éditions
Mémo. Vous le savez sans doute, j’apprécie beaucoup cette collection. Le
roman « Surf »
de Frédéric Boudet s’adresse aux adolescents.
Le
récit se déroule à Brest. Adam, un étudiant de 19 ans, quitte précipitamment
Paris et les cours de graphisme avant la fin de l’année scolaire. Une des
raisons : une lettre de la femme de son père lui annonçant qu’il vient de
mourir d’un cancer et plusieurs lettres que son père lui avaient adressées mais
jamais envoyées. Ce dernier, les avait quittés lui et sa mère, quand il était
tout petit pour aller vivre aux Etats-Unis. Depuis, aucun contact sauf
une fois sur son répondeur lors d’une fugue quand il était plus jeune.
A
Brest, il retrouve son ami de toujours, Nathan (qu’il faut appeler Jack), qu’il
considère comme son frère et qui souffre de problèmes psychiatriques, et sa
mère fantomatique.
Durant
cet été, nous suivons Jack et Adam dans leurs pensées déroutantes : des pensées
sioux en lien avec le père d’Adam, le surf et la musique avec Jack et son
amie Aeka aux réflexions d’Adam sur son envie d’avancer ou d’aller sur
les traces de son père et sa passion pour le street art . Sans oublier sa
rencontre avec Katel, rencontrée sur une aire d’autoroute.
Un
moment fort et émouvant accentuée par la syntaxe du roman où dans quelques
chapitres, le texte se laisse emporter, ne prenant plus la peine de respecter
une ponctuation imposée, donnant du flou sur ce qui se trouve sous nos yeux :
imaginaires, souvenirs ou continuité du récit. J’ai ressenti le même sentiment
ambivalent lors de la lecture du roman Anima Motrix d’Arno Bertina
l’an dernier. Perturbée par la syntaxe mais charmée par le texte qui nous fait
lâcher prise et nous donne simplement envie d’entendre le son de ces mots comme
de la poésie sonore. (Petite pensée pour l’une de mes collègues qui en ait
passionnée).
Le
moment qui m’a le plus ému est sans doute lorsqu’il raconte le départ de son
père pour toujours.
Le
parcours du personnage m’a aussi bluffé, on passe d’une adolescence où il
collait des messages pessimistes » Chaque jour le présent dévaste ce qui
fut », qui gardait tout à un jeune homme qui souhaite trouvé des réponses
pour aller de l’avant et qui fait le tri de toutes ses boîtes.
Après
ma lecture, j’ai été lire l’interview de l’auteur sur le blog de la collection
et j’ai beaucoup aimé la comparaison à l’Odyssée.
Je
m’arrêterai là pour ne pas trop vous en dévoiler mais j’espère vous avoir
donner envie de le découvrir. L’amour, l’amitié, l’abandon, la famille, les
racines, la peur, vous serez certainement touché par ce roman et l’un de ses
personnages.
Encore
merci à Chloé Mary pour sa collection et bravo à Frédéric Boudet pour ce roman
transportant.
L’atelier
de cœurs
«
Nous avons du mal à accepter que l’idée de beauté régisse l’univers. »
Après
un mois d’août loin des sirènes de la rentrée littéraire, je reprends mon rôle
de libraire et lis deux fois à la suite le même roman, ce qui m’arrive assez
rarement. L’année dernière « Milly Vodovic», cette année « Surf ». Grande
Polynie à nouveau. Le hasard n’existe pas. Le principe de beauté oui.
Gwendal
Oules, Librairie Récréalivres
"Le
présent pouvait faire cette petite place au passé, ils n'avaient rien à
craindre l'un de l'autre." (p. 213)
Cette
phrase, presque à la fin, je l'ai choisie (parmi tant d'autres que j'ai relevé)
car elle me semble être le cœur de ce roman à la fois envoûtant et
désarçonnant.
C'est
la recherche d'Adam. Celle de toute sa vie. Depuis ses 8 ans quand son père est
parti et n'est jamais revenu. Lui Adam revient à Brest, délaissant son école de
graphisme parisienne. Il ne sait pas encore que son passé va se réveiller, lui
qui a tant cherché à rester sur le fil de sa vie, comme le surfeur sur sa
vague, et ne pas se laisser engloutir par cet abandon paternel. Lui et sa mère
ne le vivent pas de la même façon : lui bouillonne intérieurement alors qu'elle
semble avoir capitulé.
Il
reçoit une lettre de la femme américaine de son père, avec laquelle il a refait
sa vie, lui annonçant sa mort. Sont jointes des lettres qu'il n'a jamais envoyé
à son fils. Ce procédé permet de découvrir un homme entier, aimant, assumant ce
choix mais douloureusement. Un homme passionné par les Navajos au point d'en
faire sa recherche professionnelle.
En
revenant, il retrouve aussi Nathan-Jack, son ami de toujours, son frère.
Complètement déjanté mais à la fois si lucide. Il y a aussi Aeka, que lui
présente Jack, une fille tout aussi barrée, passionnée jusqu'à l'obsession par
ses enregistrements et mixages des bruits du quotidien. Il y a aussi Katel,
jeune femme serveuse rencontrée sur une aire d'autoroute à l'entrée de Brest.
Chacun de ces trois-là vont aider Adam dans sa quête si douloureuse que résume
si bien la citation en début de cette chronique.
Ce
roman, c'est aussi une atmosphère : celle de la ville de Brest, de son port, de
la mer, des corniches, de la nuit aussi. Mais sans la rendre trop réelle. Des
souvenirs d’enfance qui jaillissent, des questions laissées sans réponse. Du
street-art aussi sous forme de stickers collés dans la ville la nuit par Adam
et Jack lycéens, comme des bouteilles à la mer bravant l'interdit et se sentir
un peu vivants.
Ce
sont aussi des voyages lointains qui vous bercent de leurs sensations. Comme si
vous flottiez en apesanteur. Je crois que c'est ce mot qui définit le plus ce
roman.
Je
me suis laissée emporter par cette vague moi aussi, dans un lâcher-prise qui
m'a à la fois remplie et vidée. C'est un roman entre rêve et réalité, avec une
syntaxe et une construction qui s'affranchissent de bien des codes mais tout se
tient, c'est là l'extraordinaire. Le lecteur se désarme de toute subjectivité
dans ce roulis de sentiments et d'émotions. Jamais je n'ai eu peur pour ces
personnages si vivants et latents à la fois. J'ai eu confiance en eux. Beaucoup
de passages sont sublimes car ils invitent à une ouverture d'esprit grande
comme la mer. En filigrane la métaphore du surf est comme un fil bleu à suivre
du regard, le perdre, le retrouver, tout comme les personnages. Et plonger pour
mieux renaître.
Une
plongée intense dans l'adolescence, à la dimension mythique, comme je n'en ai
jamais lu.
Je
le relirais, c'est certain.
Et
je vais aller lire ce qu'en dit l'auteur Frédéric Boudet sur le site des
éditions MeMo. Mais pas tout de suite. Je n'ai pas envie d'explications.
Pas encore...
Méli-Mélo
de livres
Les
premiers mots
–
Un café et un muffin, s’il vous plait.
La fille m’a tendu mon plateau. Je suis allé m’asseoir à une dehors. Des
enfants jouaient sur les tobogans et les balançoires multicolores.
Les
personnages de ce roman ont ce quelque chose en plus qui fait qu’on a du mal à
les quitter. On a du mal à se dire qu’une fois la dernière page tournée, ils ne
seront plus là, à nous raconter leurs folles virées nocturnes, leurs enregistrements sonores,
leurs découvertes de la vie, leurs peines, leur manque de l’autre.
Adam
et ses comparses sont des adolescents pour qui la vie n’a pas été des plus
tendres.
Le premier a été abandonné par son père durant l’enfance et il vient
d’apprendre le décès de celui-ci à des milliers de kilomètres. Comment faire
son deuil quand ce père n’a plus donné signe de vie? Comment réaliser que le
temps ne se rattrape jamais.
Et puis il y a Jack, Aeka et Katel. Trois amis fragiles, tout aussi
perdus dans leur quotidien.
Ensemble, malgré leur peine et leur difficultés parfois à s’ancrer dans le
monde réel et non celui des souvenirs, ils partageront l’amitié et l’amour.
Il
ouvre la bouche, ses yeux, sa poitrine, et il est presque aussi grand que le
terrain dénudé autour de lui, presque aussi grand que le quartier, la ville, la
rade, il devient la rade, l’océan et la houle – il y a quelque chose qui se
tient là, quelque chose ou quelqu’un.
Ouvrir
un roman de la collection La Grande Polynie c’est sans conteste rencontrer
des personnages inoubliables. Tout comme Milly, Adam
a ce quelque chose en plus, cette fragilité et cette sincérité qui
laissent une empreinte indélébile.
L’auteur a réussi à rendre un Brest froid et terne en une ville des
possibles. Où le fait d’être ensemble rend la vie un peu meilleure.
Si j’ai adoré le personnage principal, mon coup de cœur revient à Jack.
L’ami fidèle et entier. Celui qui évalue la faisabilité d’une possible amitié
en posant des questions existentielles. Celui qui souffre, parfois en silence,
ou qui explose quand cela est trop difficile.
Bref,
Surf m’a conquise. Merci!
Mes
pages versicolores
Adam,
étudiant parisien, revient plus tôt que prévu à Brest, chez sa mère, ce
petit bout du monde qu’il atteint après un long voyage en stop. Quelques jours
auparavant, il a reçu une lettre d’une femme lui apprenant la mort de son
père d’un cancer, il y a deux mois. La lettre provenait de Flagstaff
en Arizona. Ce père qui est parti étudier les Navajos et qu’il n’a
pas revu depuis ses huit ans. La lettre n’est pas arrivée seule : avec elle, un
petit paquet de lettres enveloppées dans un plastique épais et poussiéreux… des
lettres que son père lui écrivait sans jamais les envoyer.
À
Brest, Adam retrouve son ami d’enfance Jack, ce géant de deux mètres avec
ses éternelles Ray-Ban, ce fou émotif fan de surf et de bruits avec qui,
adolescent, il communiquait par télépathie et qui l’accompagnait dans
ses flâneries dans les rues en disséminant des autocollants aux slogans
philosophiques et nébuleux, propageant ses petits manifestes littéraires
hallucinés. Aux cotés de Jack, il y a désormais l’étrange Aeka, une jeune
japonaise qui enregistre le moindre son, le moindre bruit pour nourrir ses
compositions acoustiques spéciales, à la recherche du son de l’angoisse sacrée.
Depuis
qu’Adam a reçu la lettre, les souvenirs de son père affluent ; leurs
baignades, leurs balades dans les champs et les forêts de la lande bretonne,
les histoires à dormir debout qu’il inventait… De chacune des lettres, la
voix du père résonne. Adam se questionne : pourquoi l’a-t-il abandonné
? Pourquoi n’a-t-il jamais donné de signe de vie ?
Quand
il n’est pas occupé à questionner le souvenir de son père, Adam se
retrouve avec Katel, qu’il a rencontré sur la route. Katel et son grain de
beauté sur la lèvre. Katel et ses mots comme des pansements.
« Chaque
jour le présent dévaste ce qui fut. » Cette phrase, Adam l’a collée
dans toute la ville. Il est hanté par le temps qui file sans
prévenir ; le temps qui nous dévore peu à peu. Il conserve la moindre
chose,
vivant
dans la peur que tout disparaisse un jour, parce qu’il sait que la mémoire
n’enregistre pas tout – « ça ne t’a jamais paru insensé que la
plupart des gens soient incapables de se débarrasser des objets qui composent
leur passé ? »
Surf est un
portrait de jeune homme saisissant et émouvant, à la recherche de ce père qu’il
n’a jamais revu. Hanté par ses souvenirs d’enfant et les images qu’il conserve
de lui dans sa mémoire. Un roman poignant et juste, parsemé de
poésie – « écouter le sang de l’être rouler dans les veines de
la voie lactée » -, qui nous fait réfléchir sur la mémoire, la
perte, le temps, la folie des uns et des autres… A lire et
relire.
Livres
de Folavril
Fabuleux roman, un roman d’adolescence, de sortie d’adolescence. (…) C’est
plein de poésie extrêmement touchant, merveilleusement écrit. C’est vraiment un
roman qui m’a énormément touché et c’est très rare, je le précise, je l’ai lu
deux fois à la suite. Cela m’arrive très rarement de le faire, c’est un livre
qui m’a vraiment ému. J’avais la peur d’avoir manqué quelque chose. Je voulais
être un bon lecteur, un honnête lecteur vis-à-vis de ce roman qui mérite toute
l’attention de ses futurs lecteurs. J’insiste vraiment, je le fais rarement
pour les romans en général, celui-ci je voudrais qu’il rencontre le plus grand
public possible. C’est un roman grands adolescents, je le conseille aussi aux
adultes. C’est un roman sur l’amitié et sur le rapport de filiation, comment on
s’empare de ses origines et comment on apprend à redécouvrir ses parents.
France Bleu, Emission Ça vaut le détour, Gwendal Oules
J'ai
une confiance absolue dans le regard de Gwendal Oules, libraire au Mans, et ce
sont ses mots qui m'ont convaincue, parmi les piles de livres dans le salon, de
lire Surf, de Frédéric Boudet, qui vient de paraître aux éditions MeMo.
Je
n'ai rien corné, parce que tout est beau, chaque image, chaque impression. On
voit le film se dérouler sous nos yeux. Adam cherche les traces d'un père qui
l'a abandonné il y a longtemps. Dans sa quête, il y a Jack, Aeka et Katel. Il y
a surtout quelques lettres laissées par son père, bouleversantes. Je suis
reconnaissante envers la littérature jeunesse quand elle nous offre des livres
comme celui-ci, admirablement écrits.
Madeline
Roth
Deuxième
roman de la collection Grande Polynie que je lis, et encore une fois,
je suis tombée sous le charme de la narration. Un roman plein d’émotions à un
âge charnière, abordant différents thèmes de façon naturelle et touchante. C’est
aussi un roman déroutant, un peu collant, inquiétant par moment. Mais
par-dessus tout, j’ai ressenti à chaque page la solitude d’Adam. Bien
qu’entouré de Jack-Nathan ou de Katel, il reste seul à traverser cette épreuve,
si distant de sa mère qu’il en vient à redouter de lui parler. Seul aussi face
à son ami, qui glisse dans la folie et qu’il est le seul à comprendre. Seul
face à la vie, perdu à Paris, sans réussir à communiquer avec sa mère, un
gouffre se creuse jour après jour.
Dans
ce roman, tout commence par le retour d’Adam à Brest, la ville où il a grandi,
pendant les vacances scolaires. Étudiant à Paris, il a fini par abandonner son
cursus, sans raison particulière, mais ne trouvant pas le courage de l’annoncer
à sa mère. À son arrivée, sa belle-mère lui apprend une mauvaise nouvelle: son
père, avec lequel il n’a pas eu de contact depuis longtemps, est décédé. Elle
lui fait parvenir quelques lettres et l’invite à venir passer quelques jours
aux USA, là où il habitait. Le traitement des émotions d’Adam m’a soufflée,
tellement il sonnait juste. D’abord perplexe, peu touché car les souvenirs sont
lointains et la relation entre eux inexistante, le jeune homme se met ensuite
en colère contre ce père, qui l’a abandonné pour poursuivre sa carrière sur un
continent différent, auprès d’une autre femme que sa mère. Il ouvre la première
lettre par curiosité, avant de se rendre compte qu’entre les souvenirs qu’il a
et ceux que son père a ressassé pendant des années, il y a un monde. Pendant
une bonne partie de l’histoire, Adam va tout simplement refuser d’ouvrir les
lettres restantes. Pour repousser le moment où il devra accepter qu’il ne
reverra jamais ce père ? Pour ne garder que des bons souvenirs ? Pour gagner du
temps avant de prévenir sa mère, que son ex-mari est mort ? Les possiblités
sont nombreuses, toutes plus émouvante les unes que les autres, face à ce jeune
homme à peine sorti de l’adolescence.
Un
grand pan de l’histoire est tourné vers l’amitié, vers la relation un peu
étrange qui unit Nathan-Jack et Adam. Ce dernier est une des rares personnes
capable de calmer Jack lors de crises, mais surtout, c’est une des rares
personnes à le comprendre. Des dialogues sans queue ni tête, donnant un côté
loufoque et tendre au roman, qui traduisent parfaitement le malaise que les
deux garçons ressentent face aux attentes de la société. Sa transposition sur
les bruits est plutôt ingénieuse, et je n’ai eu aucun mal à m’imaginer ces
bandes-sons, enregistrées par Nathan-Jack et Aeka. La ville et la nuit jouent
un rôle important dans le développement de l’histoire, presque comme si elles
étaient des personnages à elles seules, physiquement présentes dans le roman,
enracinées dans les souvenirs des deux garçons. Malgré leur longue amitié, Jack
et Adam ont parfois un petit peu de mal à trouver du réconfort l’un dans
l’autre, car leur monde sont diamétralement opposé, et même s’ils essaient de
se soutenir du mieux qu’ils le peuvent, ils doivent souvent se débrouiller
seuls.
J’ai
profondément aimé l’écriture, qui s’est transformée tout au long du roman, à la
fois tendre, poétique ou énigmatique. Le personnage de Jack m’a fascinée, car
même s’il est décrit comme quelqu’un de psychologiquement malade, il reste un
roc pour Adam et il est un des personnages les plus libres qu’il m’ait été
donné de voir, s’étant affranchi du regard de l’autre jusqu’au bout. De
questionnements en coups de colère, de tragédies en grande complicité, c’est un
roman fort, qui m’a beaucoup émue.
L’étagère
à livres
Je
n'avais pas encore pris le temps de vous parler de Surf de Frédéric Boudet, le
dernier roman Grande Polynie, une collection de romans dirigée par Chloé Mary
pour les éditions MeMo . Comme Adam, héros de cette histoire, mon père est
parti sans se retourner alors que je n’étais encore qu’un enfant. J'ai moi
aussi vécu la douleur de l'abandon, l'incompréhension, le manque et l'attente
interminable de son retour. Comme Adam, arrivera le jour où j'ouvrirais la
lettre m'annonçant la mort de ce père lointain... Quand à 20 ans, j'ai fait le
deuil de celui qui n'existait pas pour moi, j'ai surfé sur une vague d'émotions
diverses et contradictoires (le choc de la réalisation, la colère, les larmes
et finalement l'acceptation et la délivrance) et je peux vous dire que Frédéric
Boudet a su trouver les mots justes pour nous raconter cette traversée
émotionnelle. Adam est un écorché, hanté par le souvenir de ce père qu'il a
peur de voir disparaître à jamais et pour cela il lui est difficile d'aimer le
monde et de s'y projeter. Mais il est possible de se relever après avoir été
renversé par la souffrance, il est possible de regarder à nouveau la vie en
souriant, de trouver enfin le chemin de sa délivrance et de surfer sur les plus
hautes vagues en avançant vers le grand large, pour laisser derrière cette
plage déserte que l'on a enfin réussi à quitter. Un beau roman, poignant,
déstabilisant, à la fois poétique et furieux, avec un texte riche, littéraire
et complexe qui emmène le lecteur au coeur du tourment humain, des âmes en
peines et de ce moment charnière entre la perte de l'adolescence et le passage
à l'âge adulte. Je salue l'exigence du texte et la qualité de cette collection.
Déjà en librairie et dès 15 ans.
Petite
Fleur Loves Books
La
nuit est d’encre, l’ombre des grues dans la rade de Brest se découpent sur un
ciel d’étoiles. Adam, dix-neuf ans revient sur les lieux de son enfance.
Là-même où son père l’a laissé, sa mère et lui. Sans un bruit, sans une
querelle, sans un mot, il est parti. Envolé, mais vivant. Ailleurs. Adam a
grandi toutes ces années sans lui, et voilà que des mots, glissés dans des
enveloppes, lui sont envoyés par-delà l’océan. Son père est mort. De vieilles
lettres écrites de sa main sont désormais entre les siennes. Vont-elles
éclairer sa nuit? Pas si simple de combler le manque, de tenir debout en plein
jour, de ne pas s’abandonner dans les eaux sombres, de regarder droit devant.
Se dire que la vie vaut la peine, que la présence bienveillante de l’ami Jack
le doux dingue est inestimable, que l’apparition merveilleuse de la belle Katel
est inouïe, que le bruit du silence existe vraiment, que le bleu de l’océan
reflète la lumière comme jamais, que les souvenirs eux ne s’effacent pas.
Partir en quête de ce père, quitte à se perdre. Lever l’ancre, ne plus lutter,
lâcher prise. Avancer, respirer, caresser. La vague est imprévisible. La vie
est une odyssée.
Un roman mouvant, émouvant, à l’image de l’adolescence
et de ses béances. Une histoire sur le temps, d’avant d’aujourd’hui et d’hier.
Les remous du passé, l’insaisissable présent, le futur flottant.
« il
le prend dans ses bras et le porte jusqu’à sa chambre à l’étage il embrasse ses
joues à chaque marche le tient tout près de lui il se pelotonne il se faufile
sous les couvertures c’est le moment où il va s’étendre à ses côtés il va
s’allonger déplier ses jambes jusqu’à l’ombre au bout du lit sa voix va
s’éteindre et brusquement celle d’un ours ou d’un dieu lointain va s’élever lui
raconter une histoire une histoire pendant cinq minutes pas plus mais elle
n’aura pas de fin elle n’aura jamais de fin »
« –
Tu disais que tous ces enfants allaient vieillir un jour, que leur sourire,
leur visage, les mots qu’ils auraient prononcés un matin en se levant avant
d’aller à l’école, les rêves qu’ils auraient faits cette nuit-là, tout allait
cesser d’exister. Tu n’acceptais pas que même les instants les plus
insignifiants puissent disparaître, être oubliés, que la vie soit finalement
qu’une accumulation de choses disparues. Tu me faisais frémir, parfois, avec
tes théories étranges sur le temps qui passe.
–
Je ne supportais pas que tous ces moments que notre mémoire n’enregistre pas ne
laissent aucune trace, ne servent à rien. Et que nos vies ne se résument qu’à
quelques lignes lues à la va-vite le jour de notre mort, face à la gueule
béante de la fosse creusée dans la terre. La solution était d’archiver tout ce
qui constitue notre existence.
–
Chaque jour le présent dévaste ce qui fut, a-t-elle murmuré. »
« J’aimais
la rade. L’océan. Les rochers noirs. Les mouettes saoules. Le gris de la
peinture des navires de guerre. Les souvenirs incrustés dans la pierre du port.
Les plages désertes, froides, l’eau verte, les rouleaux indifférents. J’aimais
ces rues sans âme, jeu de construction inachevé, où des architectes avaient
jeté à la hâte leurs idées les moins inspirées. Ville de béton, de plâtre et de
tapisseries délavées collées à la va-vite sur les ruines d’un champ de
bombes. »
« Ce
moment n’a jamais existé. Notre cerveau invente des phénomènes que nous prenons
pour le soi-disant réel. Montre-moi ce putain de réel conservé dans le formol
et je te jure que j’arrête instantanément de dire des conneries. Le temps
n’existe pas, la réalité non plus, tout n’est qu’un écoulement fantomatique.
Refuser de le voir n’est que le moyen masochiste que l’on a trouvé pour
éprouver la douleur d’être en vie, ad nauseam. »
Les
mots de la fin
Adam
revient en vacances à Brest, après une année d’études artistiques en
demi-teinte à Paris. Il vient d’apprendre par courrier que son père s’est
éteint, emporté par le cancer. Une lettre d’Helen, la femme de son père, celle
pour qui il a tout quitté, sa famille et la France. Adam avait huit ans. Il y
pense chaque jour, cet abandon n’a jamais cessé de le questionner, et davantage
aujourd’hui, à dix-neuf ans, quand il sait qu’il ne pourra pas en apprendre
plus de la part de ce père disparu.
On
suit donc Adam dans son cheminement, dans ce deuil à faire, si difficile
lorsqu’on s’interroge autant. Il craint de l’annoncer à sa mère, de lui faire
du mal, elle qui a déjà tant souffert après le départ de l’être aimé, après sa
trahison. Pour l’accompagner, les dernières lettres écrites par la main de son
père, jamais envoyées. Peut-être des réponses aux questions qu’il se pose
depuis onze ans, qu’il ouvre petit à petit, avec l’impression que ce sera
« fini » une fois qu’elles seront toutes lues.
Autour
d’Adam, il y a Jack, son meilleur ami retrouvé, un colosse de deux mètres, à
moitié fou, probablement un génie, un incompris. Il sait l’écouter et à sa
manière si peu délicate, le conseiller. Part, fout le camp d’ici, va chercher
ce qu’il te faut là-bas, dans le désert californien, lui dit-il. Jack lui
présente Aeka, une japonaise passionnée de sons et de bruitages qu’elle
enregistre partout, tout le temps, sans jamais se lasser, à la recherche du son
sacré. Un passe temps qu’elle partage avec Jack, rencontré à l’hôpital
psychiatrique. Ils se sont trouvés, comme une évidence.
Et
depuis peu il y a Katel, serveuse dans une aire d’autoroute, qui tente de
financer un voyage pour l’Argentine, avant les études. Une relation qui allège
le quotidien d’Adam, qui découvre des sentiments nouveaux, jamais jusqu’alors
partagés. Katel qui l’écoute aussi avec douceur, qui lui conseille tout comme
Jack de partir sur le continent américain chercher des réponses à ses
questions.
On
suit cette bande d’adolescents dans leurs tourments et leurs rêves, leurs
souvenirs et leurs aspirations. Il y a certains passages dans ma lecture qui
m’ont totalement transportée. Les souvenirs qu’Adam a de son père, comme des
rêves éveillés, racontés comme si on était justement dans la tête d’un petit
garçon de huit ans (c’est comme ça que je l’ai ressenti). Les descriptions
magnifiques de la côte bretonne, et de Brest qui, d’après ce que je sais, ne
fait pas rêver. Beaucoup de poésie, de jolis mots, une langue riche et
étonnante à lire, qui s’adresse avec ambition aux adolescents d’aujourd’hui.
J’ai beaucoup aimé aussi tous les passages qui nous parlent de street art, Adam
étant passionné par cet art éphémère. Beaucoup d’émotions pour moi à deux
reprises aussi, ces souvenirs d’enfance avec ces mots d’enfant, et son
dénouement…
Un
roman fort, à découvrir, qui intrigue, qui questionne, qui philosophe, qui
surfe entre l’adolescence et ce moment où l’on bascule dans le monde des
adultes. Un immense merci à Chloé Mary qui nous permet de lire et découvrir des
textes aussi riches et aussi fort en émotions. Un roman inclassable,
insaisissable, qui ne ressemble à aucun autre. Et ça fait du bien.
NB
: Et la magnifique couverture de Brecht Evens…
Val
et ses livres
À
dix-neuf ans, Adam est de retour à Brest pour les vacances, des vacances qu’il
a anticipées, séchant pratiquement tous les cours de l’école de graphisme où il
est inscrit.
Brest
où tout semble à la fois immuable et fragile face à l’océan, depuis les grues
du port jusqu’à la maison familiale où le décor n’a pas changé
depuis
que son père les a quittés, sa mère et lui, onze ans plus tôt…
Il
sait qu’il y retrouvera cette mère dont les rêves sont vides et avec qui il
peine à communiquer.
Il
retrouvera aussi Nathan ou plutôt Jack, comme il se fait appeler, son ami
télépathe, son presque frère, le compagnon de toutes ses frasques d’adolescent.
Celui
avec qui il arpentait les rues de la ville, « maculant les poteaux, les vitres
des bus, les bancs publics » de messages obscurs ou de sa phrase fétiche «
Chaque jour le présent dévaste ce qui fut »…
Jack,
« un fou émotif, fan de surf et compositeur dément de musique inaudible » qui
fait désormais des
allers-retours
en hôpital psychiatrique…
Mais
ce jour-là, il y a dans la poche d’Adam, cette lettre venue d’Arizona, écrite
par cette femme pour laquelle son père les a quittés…
Dans
cette lettre, elle lui annonce sa mort et a joint un paquet de lettres qu’il
lui a écrites mais n’a jamais envoyées…
Ce
père, passionné de culture indienne, avec qui il avait imaginé mille aventures
et qui savait si bien raconter des histoires.
Ce
père qu’il avait toujours espéré revoir, n’a jamais revu et qui reste si
présent dans sa mémoire …
Pourquoi
les avait-il abandonnés ?
Pourquoi
n’avait jamais donné signe de vie ?
Pourquoi
n’avoir jamais envoyé ces lettres ?
A
cet instant de sa vie, où il n’est plus un garçon et devient un homme,
confronté à son passé, que sera son avenir ?
Continuera-t-il
à fuir ? « Fuir l’école. Fuir Brest. Fuir le présent. » ?
Ou recollera-t-il les morceaux pour « en finir avec ça et revenir vers le monde » et la lumière comme l’incite Katel qui le bouscule doucement pour entreprendre un nouveau départ…
Ou recollera-t-il les morceaux pour « en finir avec ça et revenir vers le monde » et la lumière comme l’incite Katel qui le bouscule doucement pour entreprendre un nouveau départ…
Un
superbe roman et une écriture toute en finesse pour traduire le ressenti de ce
jeune homme malmené par le destin et en quête d’avenir.
Comment
se libérer de tous les fantômes, de toutes les reliques du passé, pour aller de
l’avant ?
C’est
en alternant divers narrateurs, le héros lui-même, le père par ses lettres, ou
un narrateur omniscient qui apporte au lecteur par flashs, des précisions sur
le passé d’Adam, ses relations avec son père, avec son ami, que l’auteur nous
rend son héros si proche avec sa fragilité, sa sensibilité et la difficulté à
tenir debout sur la vague de la vie.
C'est
très fort !
A
recommander pour adultes et adolescents à partir de 15 ans.
Opalivres,
Coup de cœur
Coup
de cœur Biblioteca Jeunesse
Coup
de cœur, Librairie Les Passantes
Adam revient à Brest après avoir appris le décès de son père qu’il a peu connu. Roman de la réappropriation de l’histoire familiale et de la puissance des amitiés adolescentes, Surf pousse son lecteur au bord des falaises finistériennes dans le vent d’émotions contradictoires. Une grande expérience de lecture.
Wishlist de Noël, Librairie Récréalivres, Gwendal Oules
Sélection Bonnes lectures fiction ados du SLPJ
Surf
est une histoire d’amour et d’amitié mais aussi et surtout un retour sur
l’enfance et les souvenirs que le narrateur conserve de son père parti aux
États-Unis quand il avait huit ans. L’année universitaire n’est pas encore
terminée mais Adam quitte Paris et rentre à Brest avec en poche une lettre
reçue la veille.
« Cher
Adam,
Je
suis désolée de devoir t'apprendre cette triste nouvelle. Ton père est mort il
y a huit semaines maintenant des suites d'un cancer des poumons contre lequel
il se battait depuis plus d'un an. […] Je te joins des lettres qu'il t'a
écrites récemment ainsi qu'une autre datée de plus de dix ans, rédigée lors de
l'une de ses nombreuses conférences qu'il donnait un peu partout dans le pays.
[…] Tu trouveras peut-être que mon courrier arrive bien tard mais il m'a fallu
quelque temps pour trouver ton adresse. Je n'ai pu me décider à te téléphoner
mais je te joins, à toutes fins utiles, mon numéro. »
Au
moment où s’ouvre le roman, Adam n’a pas encore ouvert les courriers du père
toujours emballés dans un sachet en plastique. Il les lira plus tard…
Pour l’instant, il s’est fait déposer par le chauffeur du covoiturage dans une station-service à quelques kilomètres de Brest. Il reste là plusieurs heures, cogite, boit du café, regarde travailler la serveuse, finit par lui demander son prénom : Katel…
Pour l’instant, il s’est fait déposer par le chauffeur du covoiturage dans une station-service à quelques kilomètres de Brest. Il reste là plusieurs heures, cogite, boit du café, regarde travailler la serveuse, finit par lui demander son prénom : Katel…
Puis
il rejoint Brest en stop et débarque chez sa mère qui ne s’est jamais remise du
départ de son mari. Il lui a fallu deux ans pour pouvoir reprendre son métier
de professeur d’anglais.
Adam
retrouve aussi un ami d’enfance, Nathan qui se fait appeler Jack, un garçon au
comportement complexe qui multiplie les allers-retours entre l’hôpital
psychiatrique et la maison de ses parents, voisine de celle d’Adam. Lorsqu’ils
étaient au collège, ils faisaient les quatre cents coups ensemble. Adam avait
découvert le street-art et collait partout dans la ville des étiquettes où il
écrivait des phrases énigmatiques : « Peu te cerne,
découvre-le », « Grand-père apache est malade, rappelle à toi la
démesure », « Ton vécu est leur salle à manger,
repeins-le ! »… Jack collait aussi mais sans enthousiasme, parce que
sa colère à lui concerne les surfeurs, qu’il ne comprend pas et ne supporte
pas, au point de les insulter et de les agresser…
Jack
présente à Adam une jeune Japonaise, Aeko, rencontrée à l’hôpital
psychiatrique.
En
chapitres alternés, nous suivons les conversations d’Adam avec sa mère,
les errances (souvent alcoolisées) avec Jack et Aeko, les rencontres avec Katel
(la serveuse qu’il va revoir), la lecture des lettres du père et les souvenirs
qu’Adam conserve de son enfance.
Son
père était passionné par les Indiens, surtout les Navajos, étudiait leurs
traditions et multipliait des conférences. C’est cette passion qui l’a mené aux
États-Unis où il a fini par s’installer il y a onze ans.
La
question qui se pose au fil du roman est de savoir si Adam appellera ou non
Helen et s’il décidera de partir en Amérique sur les traces d’un père qui,
d’après ses lettres, pensait à lui tout le temps…
L’amour,
l’amitié, la passion, la vie aux marges de la folie, le rapport au réel, au
temps qui passe, autant de thèmes qui se mêlent et se croisent pour construire
un ouvrage émouvant dont la relation père-fils constitue le noyau dur et en
fait un véritable roman initiatique susceptible de nourrir la réflexion de
beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes, de les aider à comprendre et
grandir…
Encres
vagabondes, Serge Cabrol
Dans une rentrée
littéraire dense, comme chaque année, et phagocytée par les habituels têtes de
gondole (non, nous ne parlerons pas ici de « Soif » d’Amélie Nothomb. Tout le
monde le fait avec plus ou moins de bonheur d’ailleurs, un petit livre de 220
pages, publié le 22 août dernier aux éditions MeMo, sort volontiers du lot. Ce
qui, en soi, n’est pas une mince affaire. Il s’agit de « Surf » premier roman
de l’écrivain Frédéric Boudet, à qui on devait déjà le méconnu recueil de
nouvelles « Invisibles », passé un poil inaperçu dans ces forêts sauvages de
livres qui poussent chaque automne
Dans
cette bonne ville de Brest, on suit le fragment d’existence d’un jeune homme,
Adam, qui revient au pays natal suite à l’annonce de la mort de son père. Père
qui naguère l’avait abandonné pour partir en Arizona suivre la piste des
Indiens Navajos et pénétrer leur mystique. L’abandon de foyer a eu des dommages
salement collatéraux, une ex-épouse, pas vraiment dans un autre monde mais plus
vraiment dans celui-ci, un fils inconsolable à qui il ne reste plus que
quelques lettres paternelles qu’il dévore en secret pour déchiffrer le mystère
de ses origines. Et puis il y a le copain de toujours, celui avec qui il allait
taguer des éclats de sagesse dans cette morne ville de Brest, ami qui se fait
appeler Jack parce qu’il déteste son vrai prénom, qui sort de l’asile, géant de
deux mètres, le corps grossi et déformé par les médocs, la tête constellée par
la voûte étoilée, les pieds ne touchant plus terre. Jack qui regarde les
surfeurs débutants sur la plage, cherchant à glisser sur la vague sans chercher
à danser avec la beauté du monde. Jack, jamais très éloigné de l’océan, souvent
vautré sur la plage « pour écouter le sang de l’être rouler dans les veines de
la voie lactée » (p 127). Jack, qui écluse les rades de la rue de Siam en quête
d’une bonne bagarre et qui philosophe loin de tous les sentiers débattus,
personnage tout droit sorti de La Conjuration des imbéciles de John Kennedy
Toole, ce chef-d’œuvre unique d’un auteur maudit qui mit fin à ses jours car il
se croyait un écrivain raté. Pour Adam, le héros du livre, Jack c’est le seul
ami, presque l’âme-frère et un ami c’est déjà le début d’une famille, ces deux-là
s’aiment, se défient, se confrontent, cela pourrait mal finir comme dans Des
souris et des hommes. A dire vrai, les passionnés de littérature américaine
vont entrer en pèlerinage avec le roman de Frédéric Boudet : pulsations
faulknériennes dans la succession, sans transition, ni fondu enchaîné, des
dialogues, des lectures des lettres paternelles, des monologues cafardeux d’un
jeune héros qui se décrit ainsi : « Je suis en train de devenir un homme, ou
quelque chose dans le genre. » (p 190) Le début du livre, vision de solitude
sur une aire d’autoroute, évoque L’Attrape-cœurs de Salinger ; les moments de
sur-place narratif où rien ne semble se passer alors que tout se joue, en
vérité, de ce passage douloureux à l’âge adulte, de ce deuil impossible d’une
enfance heureuse qui ne reviendra plus, revendique différentes paternités entre
Brautigan, Carver ou Richard Ford. Avec Frédéric Boudet on prend sa roulotte,
on emmène ses potes et on visite un bout d’Amérique, en partant de Brest,
dernier point de la France avant d’embarquer pour les Etats-Unis. On entrevoie
la côte de Big Sur, ce mythique lieu californien où naguère Jack Kerouac se
reposa pour écrire, on traverse Flagstaff, arrêt obligatoire sur la route 66,
nouvelle capitale avec Sédona (également en Arizona) de tous les marginaux,
artistesbohême qui viennent rêver et peindre les couleurs de la contre-culture
américaine de demain. Surf de Frédéric Boudet est plein de choses à la fois,
objet polymorphe comme l’est souvent un premier roman, c’est autant un roman
initiatique (encore que l’on ne sache pas bien qui initie qui et à quoi, mais
c’est bien là le parfum de notre époque), que l’histoire d’une fratrie
recomposée où la mort emporte certains pour que les autres puissent mieux
habiter leur propre vie et s’agrandir de l’intérieur, que la quête enfin d’un
jeune homme en recherche d’une identité avec laquelle il serait enfin en paix.
Et puis cet ouvrage parle aussi de mystique, de recherche spirituelle, dans un
monde où les religions traditionnelles ne fournissent plus les réponses, et ne
nourrissent plus cette intuition profonde que ce monde parle, et que pas grand
monde ne cherche à écouter. Surf mériterait d’être offert aux évêques de France
afin qu’ils comprennent mieux pourquoi leurs tirades moribondes ne rejoignent
plus les gens dans ce qui constitue la chair, parfois meurtrie, de leurs propres
vies. Surf est un livre qui signe, à sa manière l’acte de décès du barnum
catholique et qui démontre, s’il fallait encore s’en convaincre, que nos
contemporains n’ont pas, pour autant, enterré leur soif d’absolu, leur besoin
de résoudre l’énigme de cette vie et dont le regard est toujours rempli de
questions sur l’univers qui les entoure. Pour Frédéric Boudet, en bon
dostoïevskien qui ne s’ignore pas, la vérité est toujours à rechercher du côté
de la beauté et de l’étrangeté. C’est du côté des fous, des dérangés, des âmes
perdues, des êtres dévorés par leur sentiment d’abandon que l’on finit
probablement par la trouver. C’est du côté de Jack qu’Adam comprend
progressivement ce qui se cache derrière « l’expression ironique et fugace de
l’aversion de la vague pour le désir d’éternité de l’homme » (p 125). Mais
parfois les questions gagnent à rester sans réponses, elles élargissent alors
le poitrail où se niche l’aptitude que possède chaque être humain à se
réinventer. Surf porte un regard de consolation et d’empathie profonde envers
tous ses personnages, ce livre n’offre pourtant aucune clef finale, aucun kit
de développement personnel ou de bien-être à vendre, chacun doit continuer à
arpenter jusqu’à son terme le chemin qui lui est dévolu. Chacun doit suivre sa
propre étoile pour devenir à la fois lui-même et quelque chose de plus grand
encore que lui-même. Pas la moindre phrase tire-larme dans cette histoire qui
s’y prêtait tant. Le style est précis, sans fioritures, aussi tranchant qu’une
lame de rasoir qui viendrait ôter tout effet dilatoire. Et si c’était Surf
finalement le vrai grand livre de cette rentrée ?
Rencontre avec
un personnage en quête d'auteur Entretien avec Frédéric Boudet
Quinqua
fringant, Frédéric Boudet est né au Mans le 22 mai 1968, date suffisamment
importante pour qu’Hubert-Félix Thiéfaine en tire une chanson. Quelques
semaines plus tôt, Martin Luther King était abattu au Loraine Motel ; quelle
que soit l’époque, on tue toujours les prophètes. Elève du lycée Bellevue,
Frédéric Boudet est un littéraire qui s’ennuie pendant les cours de français.
Il se plonge pourtant sans vergogne dans la lecture, celle que l’on n’enseigne
pas, les auteurs américains de préférence : Henry Miller, Raymond Carver,
Hubert Selby Jr, Kerouac bien sûr, et tant d’autres. La soif de noircir des
pages le taraude, il le fait déjà avec talent, mais sans parvenir à ressentir
que tant de petits textes pourraient aboutir à l’élaboration d’un vrai roman
qu’il ne sent pas encore émerger en lui. Bac en poche, il s’inscrit à l’université,
constate que les études ce n’est pas son truc, décide de foncer sur Paris dont
il ne bougera plus, et comme naguère Bukowski, enchaîne les jobs, de McDonald à
Bouygues Télécom, jusqu’à finir par créer sa propre boîte spécialisée dans la
création de réalité dans le cybermonde. La vie suit son cours, le submerge
parfois, il continue à écrire, pond un premier manuscrit – Far West –, pas
publié, pas encore au point, loin d’être parfait malgré des fulgurances et des
phrases parfois taillées dans le diamant. Il n’oublie pas la recommandation de
Faulkner : « kill your darlings » (« tuez vos petites chéries »), pour ceux qui
dormaient pendant les cours d’anglais et qui est une invitation à ce que
l’écrivain en herbe ne se grise pas de ses petites trouvailles, Frédéric Boudet
épure son verbe, sans le rendre sec pour autant. Il parvient à intéresser les
éditions de l’Olivier pour un genre qui ne se vend pas en France : le recueil
de nouvelles. Ainsi paraît Invisibles
qui reçoit de bonnes critiques malgré un succès d’estime comme on le dit
pudiquement. Grand amateur d’ateliers d’écriture (il suivra notamment celui
animé par Philippe Djian), Frédéric Boudet continue à travailler ; comme un
ébéniste, il ponce, rabote, regarde, cogite, rabote encore. La littérature
c’est de l’artisanat, rien ne doit être « en trop », le diable se nichant dans
les détails, tout doit être raccord, en place, il faut traquer la moindre
fausse note pour que la mélodie puisse enfin émerger. Les années passent, ses
deux enfants grandissent, le moment tant attendu arrive. à 51 ans, Frédéric
Boudet publie Surf et, parole de chroniqueur littéraire, cela valait le coup de
patienter que le temps burine l’artiste et fasse son œuvre en lui. C’est de la
belle ouvrage qui tient autant du désir que le chamanisme embellisse ce monde
que de la conviction profonde qu’aucune quête existentielle n’est vaine.
G.
H. : Frédéric Boudet, « Surf » paraît aux éditions MeMo dans la catégorie «
littérature de jeunesse ». Cela nous semble aussi étrange que de faire écouter
Grateful Dead à des jeunes collégiens de quatorze ans. Pourquoi ce choix et
cette catégorisation pour un livre que l’on trouve très adulte malgré la
jeunesse de ses protagonistes ?
Frédéric Boudet : Le temps n’existe pas,
n’est-ce pas ? J’ai écouté les Grateful Dead à quatorze ans, pas plus d’un
disque je crois. La béatitude hippie n’était déjà plus, nous avions déjà besoin
de notre dose de plus sérieuses secousses, les nerfs plus à vifs, les décharges
électrique punks et scies stridentes new wave faisaient des hymnes du Grateful
Dead, des cantiques pour scouts ravis. Les Doors ok, le Velvet bien sûr, les
Stooges évidemment, mais le sirop hippie, ennui. Ceci dit, écouter l’équivalent
du Dead pour des gamins de 19 ans aujourd’hui, c’est écouter les Strokes, ça a
vieilli ça aussi ? Oui, l’heure est au rap. Pour en venir à la littérature
jeunesse, en deçà de 12 ou 13 ans, l’appellation veut dire quelque chose, oui.
Mais après quinze ans, c’est autant un roman initiatique (encore que l’on ne
sache pas bien qui initie qui et à quoi, mais c’est bien là le parfum de notre
époque), que l’histoire d’une fratrie recomposée où la mort emporte certains
pour que les autres puissent mieux habiter leur propre vie et s’agrandir de
l’intérieur, que la quête enfin d’un jeune homme en recherche d’une identité
avec laquelle il serait enfin en paix. Et puis cet ouvrage parle aussi de
mystique, de recherche spirituelle, dans un monde où les religions
traditionnelles ne fournissent plus les réponses, et ne nourrissent plus cette
intuition profonde que ce monde parle, et que pas grand monde ne cherche à
écouter. Surf mériterait d’être offert aux évêques de France afin qu’ils
comprennent mieux pourquoi leurs tirades moribondes ne rejoignent plus les gens
dans ce qui constitue la chair, parfois meurtrie, de leurs propres vies. Surf
est un livre qui signe, à sa manière l’acte de décès du barnum catholique et
qui démontre, s’il fallait encore s’en convaincre, que nos contemporains n’ont
pas, pour autant, enterré leur soif d’absolu, leur besoin de résoudre l’énigme
de cette vie et dont le regard est toujours rempli de questions sur l’univers
qui les entoure. Pour Frédéric Boudet, en bon dostoïevskien qui ne s’ignore
pas, la vérité est toujours à rechercher du côté de la beauté et de
l’étrangeté. C’est du côté des fous, des dérangés, des âmes perdues, des êtres
dévorés par leur sentiment d’abandon que l’on finit probablement par la
trouver. C’est du côté de Jack qu’Adam comprend progressivement ce qui se cache
derrière « l’expression ironique et fugace de l’aversion de la vague pour le
désir d’éternité de l’homme » (p 125). Mais parfois les questions gagnent à
rester sans réponses, elles élargissent alors le poitrail où se niche
l’aptitude que possède chaque être humain à se réinventer. Surf porte un regard
de consolation et d’empathie profonde envers tous ses personnages, ce livre
n’offre pourtant aucune clef finale, aucun kit de développement personnel ou de
bien-être à vendre, chacun doit continuer à arpenter jusqu’à son terme le
chemin qui lui est dévolu. Chacun doit suivre sa propre étoile pour devenir à
la fois lui-même et quelque chose de plus grand encore que lui-même. Pas la
moindre phrase tire-larme dans cette histoire qui s’y prêtait tant. Le style
est précis, sans fioritures, aussi tranchant qu’une lame de rasoir qui
viendrait ôter tout effet dilatoire. Et si c’était Surf finalement le vrai
grand livre de cette rentrée ? p suite page 12 Rencontre avec un personnage en
quête d'auteur Entretien avec Frédéric Boudet Propos recueillis par Philippe
Ardent 11 IEnternational n haut de l'affiche notre goncourt Golias Hebdo n° 601
semaine du 28 nov. au 4 décembre 2019 honnêtement, je n’en suis pas certain,
c’est plutôt une sorte d’aberration, un concept marketing du moment peut-être,
un truc « d’époque ». Les gros lecteurs au lycée lisent Brett Easton Ellis,
John Fante, Balzac et Dostoïevski, comme de tous temps, et les autres regardent
des séries super trash sur Netflix. D’ailleurs le prix Goncourt des lycéens se
penche sur des bouquins de littérature générale, n’est-ce-pas ? Peut-être que
L'Attrape-cœurs aujourd’hui serait bombardé sur Instagram « Le livremanifeste
que les lycéens vont adorer » ! J’ai dû rester jeune sans m’en rendre compte,
je l’ai encore relu cet hiver !
G. H. : Votre livre est centré autour du thème
du deuil : un père est mort, un jeune homme essaie d’enterrer les conneries de
son adolescence autant que la douleur éprouvée par le fait qu’il ne connaîtra
plus jamais son géniteur, une femme essaye d’oublier cette vie qu’elle aurait
voulu avoir et que son défunt mari a emporté avec lui, deuil aussi d’une petite
ville de province que tout le monde voudrait quitter car forcément « la vérité
est ailleurs ». Rien de larmoyant dans votre livre et pourtant le chagrin pleut
sur la ville de Brest tout au long de « Surf ». Vous en aviez conscience en
l’écrivant ? F. B. : « Conneries » ? Non, pas « conneries », il essaie
d’enterrer les sources de la douleur. Ou plutôt, de les déterrer, ce qui
demande un sacré courage, c’est la geste même du héros, pour en faire la
matière à une catharsis psychologique, existentielle, sans doute même un peu
chamanique, pour jouir enfin du monde plutôt que de son absence. Donc oui,
deuil, pour aller plus loin, et faire quelque chose de cette foutue absence qui
fait si froid aux entrailles, pétrir ce sentiment d’abandon - sentiment mortel
- qui vous cloue au sol plus que tous les orages et tous les déluges, « Eli Eli
lama sabachtani ? » implore soudain Jésus en croix celui qu’il appelle son
Père, preuve que le christianisme a contribué fortement à l’invention de la
littérature ! Il faut donc absolument se secouer, se relever, et rester debout,
et bondir et sauter dans la lumière, et bien sûr cesser de geindre (Jack est
une sorte de gourou - on dit coach aujourd’hui – dont le but est la «
destruction de l’auto apitoiement délétère niché en chacun de nous »). La mère
d’Adam, elle, est glacée par la souffrance, c’est un iceberg qu’Adam ose à
peine approcher, et pourtant. Jack, c’est autre chose, c’est la colère et la
puissance des astres et des océans, ça nous échappe, il se moque des
atermoiements humains, il est sans doute fait de cette chair dont sont faits
les mythes, les légendes, d’où un certain ésotérisme dans sa langue. Quant à
Brest, c’est évidemment le lieu de la quête, un territoire comme il n’y en a
plus dans le monde fini qui est le nôtre aujourd’hui, il y pleut des chagrins
et des pluies titanesques qui ne sont pas terrestres, mais qui le sont en même
temps tellement, humains trop humains aurait dit l’arrière-arrière-grand-père
de Jack.
G. H. : Votre livre est une magnifique odyssée à travers un rêve
d’Amérique ! Souvenirs de western, danse du soleil, rites de guérison des
premiers authentiques Américains et hommage omniprésent sans être non plus
envahissant à maints auteurs américains qui vous ont façonnés. Il n’empêche,
quand vous vous apprêtez à écrire une scène, vous ne vous demandez pas : « Il
l’écrirait comment ce bon Raymond Carver ? » F. B. : Oh non, surtout pas, il
faut laisser les maîtres dans les rayons de la bibliothèque, sinon vous ne
parvenez pas à écrire ! Ecrire, c’est plus comme se jeter à l’eau à la piscine,
si vous pensez au livre que vous avez lu sur « la meilleure façon de nager le
crawl », vous nagez comme un fer à repasser, pire, vous coulez ! Il faut faire
confiance à ce qui est bien plus grand et profond et confus et dense en nous,
qui nous fait, nous commande un peu, beaucoup, nous adjure de dire ce qui
murmure là, pas loin, il faut sortir de sa petite volonté étriquée de maitrise,
laisser couler. Si la chance, et le travail sont avec vous, et que vous avez
lu, et vécu, et été pénétré par suffisamment de choses dignes d’intérêts,
peut-être que vous accoucherez de quelques lignes dignes d’être lues. Et alors
vous pourrez rouvrir « Tais-toi je t’en prie » et relire quelques pages en
buvant un bon whisky d’un auteur qui n’a rien à voir avec vous, le sentiment du
devoir journalier accompli, jusqu’au lendemain où vous recommencerez, vierge,
nerveux, mais prêt au combat. Je pense plutôt à Rafael Nadal quand je me mets à
ma table d’écriture, « La littérature est un sport etc. », n’est-ce pas ? Donc
l’hommage, si hommage il y a, seul le lecteur peutêtre peut le voir, ou croit
le voir, moi j’y vois du travail, une visée, une musique que j’entends – et oui
la « musique » de la littérature américaine est très ancrée en moi - et qu’il
faut que je retranscrive, les hommages m’ennuient qui plus est, les auteurs ne
sont pas très intéressants, leurs textes oui, ils sont la matière dont on peut
tenter de s’approprier quelques maigres miettes pour les incorporer à la pâte
littéraire qui est la nôtre, quel vertige.
G.
H. : « Surf » semble être la prolongation d’« Invisibles » dont il reprend bien
des thèmes. Treize ans séparent les deux livres. Que fait un écrivain quand il
n’écrit pas ? Il attend le bon moment ? Avez-vous le sentiment d’avoir
progressé dans votre écriture, de sentir enfin ce moment magique où vous
couchez sur le papier exactement ce que vous avez en tête ?
F.
B : En fait, il écrit. Mais parfois il faut du temps, beaucoup de temps, pour
se remettre de certaines épreuves que la vie vous envoie, et puis il faut
écrire quelque chose qui vaille le coup. Depuis dix ans, je répétais souvent
que je n’écrivais plus, la vérité est un peu différente, j’ai pas mal de
manuscrits dans mes tiroirs, la plupart inachevés, peut-être l’heure a-t-elle
sonné de l’achèvement… Quant à écrire ce que l’on désire, impossible, rien
n’est jamais aussi satisfaisant que ce qui est à venir, que ce que l’on entend
là-bas au loin, il faut savoir tourner la page, aller au-delà de ce qui est «
abouti », laisser ce qui paraît achevé nous échapper, pour continuer la quête,
sans fin.
G.
H. : Aujourd’hui beaucoup de gens veulent écrire, souvent trop vite, trop tôt,
sans prendre le temps de savoir ce qui les nourrit en profondeur et de
s’interroger en vérité sur ce qu’ils veulent transmettre à leurs lecteurs. Vous
qui n’avez pas manqué de patience, que conseillez-vous aux personnes qui
veulent voir leurs premiers romans sur les étagères des librairies ?
F.
B. : Ecrire. Tous les jours. 2 à 6 heures par jour, suivant ses possibilités.
Ecrire, encore et encore. Et lire bien sûr, beaucoup, de tout. Et vivre, aussi,
ou avoir vécu. S’acharner. Ecrire demande la même discipline et le même
acharnement que jouer au tennis à un niveau professionnel. Il faut juste taper
dans la balle, encore et encore. Si c’est ce pour quoi vous êtes fait, la
souffrance ou la difficulté ne sont rien, la joie de passer des heures le
derrière sur une chaise en compagnie du monde tel qu’il vous saute à la figure
et des mots qui dansent dans votre tête vaut tous les petits sacrifices.
G.
H. : La figure royale dans votre livre c’est bien sûr celle de Jack, colosse
aux pieds d’argile, écorché vif, fracassé en mille morceaux, à la limite de la
sociopathie, mais dont le regard sur le monde témoigne d’un esprit singulier,
maniaque, décalé. Un personnage qui danse entre la folie et le grâce à l’état
brut. Curieusement, Jack c’est l’homme qui ne peut pas guérir, on ne sait pas
pourquoi il est aussi « limite », ni qui l’a mis dans cet état-là. Mais dans
une époque où le psycho-spirituel envahit tout, où l’on veut réparer tout le
monde, Jack ressemble au patient ultime. Au patient dépourvu de la moindre
patience et à qui « on ne la fera pas ». Comment vous est venu un tel
personnage ? Qu’est ce qu’il incarne pour vous ?
F.
B. : Il est venu tout seul, de loin, depuis longtemps, quand il l’a voulu, il
me suit depuis longtemps. C’est l’un de ces personnages faits de chair, de
fantasmes, de doubles et de fantômes, littéraires et réels, de rencontres
improbables, c’est une sorte d’ogre fou, mais ô combien clairvoyant, qui
s’invite dans le texte quand il le veut. C’est tout sauf un patient, tout sauf
un malade, tout sauf une victime, c’est Brian Wilson qui serait devenu punk,
l’enfant naturel de Rabelais et de Nietzsche, le frère d’Ignatius O’Reilly et
du Lenny de Steinbeck. Jack est juste un poète, bien trop intelligent, et l’âme
trop incendiée, pour pouvoir vivre dans les coutures étroites d’une enveloppe
humaine. Alors il dévore les bords de plage, erre dans les chemins fantômes, se
jette du haut des falaises, surfe des vagues éblouissantes comme des galaxies
et, comme chamane (c’est-à-dire guérisseur), prend soin des autres et en
particulier d’Adam (le premier homme, souvenons-nous en…, qui a besoin de coups
de main pour s’habituer à sa nouvelle vie) en le guidant dans le dédale des
chausse-trappes de l’existence. Je crois bien que je viens de donner la
définition d’un ange, n’est-ce pas ? Jack, oui, c’est bien ça, c’est un ange
(n’est-ce pas lui qui parle ainsi des surfeurs, « ce sont des canards qui
ignorent qu’ils sont des anges », leur reprochant manifestement d’avoir oublié
leur vraie nature, et celle de leur mission sur cette terre).
G.
H. : Quand on lit votre livre, on a l’impression d’être au début de quelque
chose, que l’on va entamer un itinéraire, qu’une œuvre littéraire est en
gestation, résolument contemporaine. De quoi sont faits aujourd’hui les rêves
de l’écrivain Boudet à propos de son prochain ouvrage ?
F.
B : Le prochain texte est déjà en chantier, je ne peux pas vraiment en parler,
mais votre idée d’itinéraire, à laquelle j’ajouterais celle de territoire, ne
sont pas loin de ce qui me hante ces temps-ci. Donner à voir un mouvement, et
les géographies, et la cascade agitée des événements, les soubresauts du grand
monde, les secousses de l’âme qui scandent la vie des hommes jetés au milieu de
ce foutoir confus et bringuebalant et joyeux et blessant qu’est la vie.
Histoire d’exploration, d’identité secrète, et de chair, et de mystère qu’il
faut bien chercher à résoudre, je suis conscient que je ne vous en dis pas
beaucoup, mais c’est trop en jachère encore ! Ecriture contemporaine, sans
doute. L’idée m’est importante qu’écrire est assez proche de la marche, de la
respiration, du beuglement seul dans les bois, du sourire face à la falaise, du
plongeon dans des torrents inconnus, toutes choses qu’on ne peut éprouver qu’au
présent, n’est-ce pas ? Il faut donc travailler pour trouver les mots qui
disent ces choses incroyables qui, chaque seconde, se jettent au monde, toutes
neuves, sous notre nez, patient travail de tamis, chercheur de minerais rares,
souvent invisibles, et un verre de whisky le soir pour s’en ndormir, jusqu’à la
quête du lendemain.
Golias
Hebdo, Philippe Ardent, Hit the Road Jack ! 1 ou « Surf » Le vrai grand livre
de la rentrée
Quête
océanique Ne nous y trompons pas, même si Surf est sélectionné pour plusieurs
prix de collégiens et d’adolescents en région, il fait partie de ces livres qui
questionnent tous les âges et sont destinés à tous les publics. Surf,
c’est l’histoire d’une amitié entre deux jeunes, celle de la désespérance face
à un père que l’on n’a pas connu, à une mère qui ne s’est jamais remise de la
séparation, et celle d’une quête qui se nourrit de tout pour tenter de
construire un monde dans lequel la vie ne soit pas forcément un combat. Et
c’est encore l’histoire des ressacs de la mémoire qui entraînent vers la folie,
de la mise à sac du bonheur qui tétanise, mais aussi de ces points d’équilibre que
les souvenirs, les relations humaines et la croyance en la vie nous permettent
d’atteindre. Ces surfs invisibles qui nous font glisser sur les vagues et
traverser les rouleaux. Qui nous ramènent aussi sur la jetée, plus ou moins
violemment, pour qu’on continue à vivre en ayant tutoyé, dans l’infini de
l’océan, les questions métaphysiques et spirituelles qui nous désaltèrent tout
autant qu’elles nous noient. Les références de Frédéric Boudet sont dispersées
dans les vies de ses personnages et dans l’écriture de ses pages. Du rap à la
musique expérimentale, de la littérature américaine des espaces infinis à
celle, russe, de la folie, elles s’accolent sans tentative de fil narratif. Des
moments, des fragments, de la violence, de l’espoir… Surf, c’est la vie à
l’état brut, même quand l’auteur puise au cœur des cultures les plus savantes
comme des plus populaires, montrant l’étonnante complexité de nos constructions
humaines. Ses personnages habitent un Brest figure de tombeau, léché par
l’océan aux éclats d’éternité, d’espoir et de mort. Un océan sur lequel on ne
sait jamais si on saura surfer.
Témoignage
Chrétien, Boris Grebille
Surf :
des anges dans la vague
C’est
instructif parfois, les exergues. Elles ont beau être des pièces de jolie
poétique, aphorismes courts ou phrases à clé, on ne comprend pas toujours ce
qu’elles font là avant de commencer le livre. Y revenir après la dernière page
éclaire parfois ce que l’auteur avait dans le ventre. A l’orée de Surf, il
y en a deux. La seconde convient à merveille au héros du roman. «Incapable de voir que tous mes refuges sont
mes tombeaux.» La citation sort d’un morceau du groupe de hip-hop
français originaire de Caen, Casseurs Flowters, fondé par Orelsan et Gringe.
Adam, 19 ans, passionné de street art au collège à en graffer de nuit sur
la peau de la ville, suit mollement des études de graphisme à Paris et revient
chez sa mère à Brest. Refuge ou/et tombeau ?
Son
père a quitté la maison quand il avait 8 ans. Spécialiste des Navajos, il
lui racontait des histoires d’Indiens et de guérisseurs tous les soirs et lui a
appris à nager. Mais Adam vient d’apprendre que celui qu’il n’a pas revu depuis
onze ans est mort à Big Sur, en Californie. Le courrier contient aussi des
lettres paternelles destinées à son fils qu’il ne lui a jamais envoyées.
Il n’arrive pas annoncer le décès à sa mère dont la vie semble arrêtée depuis
qu’elle a chassé son mari. «Ce
soir-là, allongé sur mon lit, j’avais compris que rien n’avait changé depuis le
départ de mon père.» Cette nouvelle l’ébranle, lui qui pensait au fond
de lui le revoir un jour. L’abandon ressenti depuis si longtemps a un goût de
définitif. Cela fait comme une flaque de nostalgie et de douleur mêlées qui
remontent à la surface. Ecume ou vague qui risque de l’emporter tout à fait.
Refuge ou tombeau…
Métaphore
de la vie et de la folie
Le
premier exergue provient de Jours
barbares, une vie de surf, du journaliste et écrivain américain
William Finnegan. «[…] Je n’ai même
pas envisagé, serait-ce fugacement, que je pouvais avoir le choix entre surfer
et m’en abstenir. L’enchantement me porterait là où il voudrait.» Jack,
l’ami d’enfance d’Adam, un immense gaillard, vient de passer deux ans à faire
des allers et retours entre l’hôpital psychiatrique et la maison de ses
parents. Le surf et la musique concrète sont les deux choses qui l’obsèdent le
plus dans la vie. Le surf comme une métaphore de la vie et de la folie. Qui le
pousse à pourchasser des surfeurs au milieu des vagues. Il dit à
Adam : «Ce qui compte n’est pas
de parvenir à surfer sur ces foutues planches, mais de déchiffrer ce qu’elles
nous donnent à voir : des silhouettes dressées sur un morceau de carton,
tentant de retenir l’eau qui fuit sous leurs pieds mais qui, découvrant soudain
l’abîme, battent furieusement des bras et des oreilles pour se réveiller. Tu
veux connaître la vérité ? Ces types n’oseront jamais aller jusqu’au bout
du rêve – ce sont des canards qui ignorent qu’ils sont des anges.»
Il
y a beaucoup de choses dans Surf.
L’abandon et la perte irrémédiable, l’apprentissage de la cruauté de
l’existence. Il y a aussi le décor prégnant de Brest, pas de sa beauté, mais de
son âpreté et de ses excrétions, des rochers noirs du bord de mer, d’une maison
du souvenir juchée sur la falaise à Roscanvel. Il y a aussi des personnages
barrés et fascinants, Jack et son amie japonaise Aeka fan de Pierre
Henry. Surf saisit ce point
de bascule, la planche sur la crête de la vague. Jack joue à tenir debout avec
son surf imaginaire sur le toit de sa maison et continue lucidement à jouer
avec le destin ; Adam décide d’enlever la bonde pour évacuer la marée
stagnante.
Libération,
Frédérique Roussel
Orages
sur Brest
Roman
poétique, nostalgique, parfois furieux, plein des humeurs de la mer au loin,
dans les décors ruinés de la ville portuaire ou ceux, mornes, de ses zones
pavillonnaires, roman sombre, Surf est un livre sans surfeur hanté
par cette image :
« Ce qui compte n’est pas de parvenir à surfer
sur ces foutues planches, mais de déchiffrer ce qu’elles nous donnent à
voir : des silhouettes dressées sur un morceau de carton, tentant de
retenir l’eau qui fuit sous leurs pieds mais qui, découvrant soudain l’abîme,
battent furieusement des bras et des oreilles pour se réveiller. Tu veux
connaître la vérité ? Ces types n’oseront jamais aller jusqu’au bout du
rêve — ce sont des canards qui ignorent qu’ils sont des anges. »
Adam,
qui a abandonné pour un temps ses études et a quitté Paris pour rejoindre la
maison de sa mère, son ami Nathan qui se fait appeler Jack et va de bagarres en
abattement entre deux séjours à l’hôpital psychiatrique, Aeka la japonaise
bruitiste, Katel, serveuse dans un bar de station-service, qui rêve de voyage,
tous sont en équilibre instable, les uns en panne et tout proches de l’abîme,
les autres sur une lancée encore incertaine.
L’amitié
les réunit, ainsi que des passions communes autour du son. Cette amitié empêche
Adam d’abandonner Nathan / Jack alors qu’il le devrait pour avancer enfin sur
son propre chemin, comme elle pousse Jack à tenter de faire sortir Adam de son
inertie, au prix de sa future solitude. La relation complexe qui unit Jack et
Aeka, tous les deux murés dans leur singularité et tous les deux amateurs de
musique concrète et bruitistes, l’amour qui nait entre Adam et Katel, le lien
fragile qui unit douloureusement Adam à sa mère et celui qui le relie encore
fortement à son père, tout cela tisse un réseau de douleurs intenses.
Quête
du père (parti aux USA alors que le narrateur, Adam, était encore enfant),
deuil (le livre s’ouvre avec l’annonce de la mort du père et la réception de
trois lettres écrites par lui à différents moments de son éloignement), longue
dépression de la mère, incapacité réciproque des adolescents et des adultes à
se parler et à se comprendre, nostalgie de l’enfance, difficulté à rompre avec
le passé…, le livre est riche de tous ces éléments et de bien d’autres (voir le
bel entretien de Frédéric Boudet avec Chloé Mary). Il est surtout porté par une
langue poétique, qui allie souplesse et densité, comme une vague : on est
emporté.
Li&Je,
Anne-Marie Mercier