mardi 1 octobre 2019


BELLA FIGURA
Être attachée aux crayons, comme on revient sans cesse à une obsession nocturne, aux nuits secrètes, à l’imprévisible des rencontres, aux mouvements des expressions et sentiments. Rencontre avec Catherine Chardonnay autour des mines entêtées de ses crayons et des mines changeantes et étranges de ce Petit Garçon de Francesco Pittau

© Catherine Chardonnay

LA CHANCE DES RENCONTRES
J’ai une tante qui était bibliothécaire à Bron, à coté de Lyon, et qui nous a amené des supers livres, à mes frères et sœurs et moi : Arnold Lobel, Mitsumasa Anno et beaucoup d’autres, alors nous étions déjà bien sensibilisés à certains styles de dessins et d’histoires… Nous avons eu beaucoup de chance. Sinon, j’ai toujours aimé dessiner, mais je recopiais surtout des photos, autour de mes neuf ans, tous les mannequins de La Redoute ! Je pouvais aussi très bien m’en passer. Une prof ou les amis m’avaient parfois encouragée à faire du dessin plus tard, mais comme j’aimais bien les langues, j’étais partie pour faire une fac d’anglais, un parcours plus classique. Et puis c’est en rencontrant une costumière qui est venue habiter la maison (anciennement) de mes grands-parents, que je me suis remise à rêver à faire des études en art. Elle m’a encouragée, ainsi qu’une de mes cousines, qui est professeure d’arts plastiques et qui m’a emmenée aux portes ouvertes du Lycée Alain Colas à Nevers où elle avait enseigné et où je suis rentrée en mise à niveau d’arts appliqués. J’ai continué vers un BTS de communication visuelle, et puis, ne me sentant pas complètement à l’aise là-dedans, je me suis dirigé vers l’illustration. Ensuite, je crois que tout se joue encore avec des rencontres, j’ai mon compagnon, Renaud Perrin, qui m’a toujours énormément encouragée depuis le diplôme à Strasbourg jusqu’à aujourd’hui.



© Catherine Chardonnay



LE JOYEUX BAZAR DES COULEURS OU LE TEMPS CAPTURÉ DE LA BEAUTÉ
Je travaille dans un atelier  avec d’autres personnes. Nous sommes trois dans une grande pièce. J’ai besoin de ne pas être seule, mais en même temps je ne me concentre pas bien quand il y a du monde autour, alors c’est un peu complexe, je passe parfois la journée à faire différentes choses, mails, etc. et puis je parviens à travailler quand tout le monde est parti. J’ai deux tables, une pour l’ordinateur et une pour le dessin, et mon bureau ne parait jamais complètement installé, je n’ai pas trop d’étagères ou de choses « jolies », comme si j’allais toujours repartir. J’aime mettre pas mal de bazar sur mon bureau et puis tout ranger d’un coup. Et puis je recommence. Mes crayons de couleurs sont souvent étalés sur mon bureau, et j’aime tellement les couleurs que parfois je me mets juste à les observer. Aussi, quand il fait nuit en hiver, j’ai du mal à partir le soir, je trouve tout très très beau, mes couleurs, le bureau, les carnets … Je ne suis pas une travailleuse forcenée et j’ai souvent l’impression qu’il me faut toutes les bonnes conditions pour dessiner, le bon papier les crayons pointus, et je me mets souvent à produire dans l’urgence…



© R.Perrin & C.Chardonnay/Portraimatique


PROJET PORTRAIMATIQUE 
Nous avons conçu le Portraimatique avec Nathalie Desforges, parce que nous avions toutes les deux envie de faire des portraits surtout. Ce qui est intéressant, c’est que nous travaillons toujours à deux. Nous avons pensé le dispositif pour qu’il soit transportable, démontable en petit et c’était aussi un important travail de construction, couture, de son, d’achat de matériel. Nous sommes allées récemment au festival «Passeurs d’humanité » dans la vallée de la Roya et nous avons fait de belles rencontres dans une région magnifique. Nous nous complétons, avons des caractères très différents, ce qui est vraiment important.

© Nathalie Desforges& C.Chardonnay




©Petit Garçon, Catherine Chardonnay

CHEVEUX BLEUS LIBRES
J’ai trouvé le texte Petit Garçon vraiment très libre. Il m’a paru sortir des « codes » littéraires que l’on trouve en édition jeunesse. Tout au début, j’ai pensé encrer le récit dans un contexte comme les ambiances du livre Les raisins de la colère, ou des photographies de Dorothea Lange. Mais je partais vers un dessin un peu réaliste, ce qui était une erreur, je pense. Je me suis ensuite concentré sur ma manière de dessiner le visage très simple, au trait rouge, et j’ai cherché pas mal le petit garçon et ses cheveux bleus sont assez vite venus. En fait, je me suis rattachée à mes crayons encore une fois et j’adore l’association rouge et bleu. Et puis j’ai cherché les animaux. J’ai voulu rester simple. Pour garder l’énergie du crayon pour les dessins définitifs, et aussi pour essayer, j’ai fait tous les croquis à la tablette graphique.


©Petit Garçon, Catherine Chardonnay


CONVERSATIONS SECRÈTES AVEC UN ÉTRANGE PETIT GARÇON
Mon petit garçon pense dans sa tête sans avoir besoin de s’exprimer oralement. Il a une coupe de cheveux un peu ratée, pas très bien coupée, en particulier dans la nuque derrière, j’ai fait attention de lui dessiner les cheveux qui retombent un peu mal derrière ; son implantation est particulière aussi, du sommet du crâne, ça retombe un peu à plat vers le haut et à plat derrière la tête. C’est comme ça que j’ai aimé petit garçon. J’ai découvert son caractère petit à petit, au début, c’est vrai qu’il est tout petit, mais en plus, il est plutôt timide, il n’ose pas trop faire les choses, j’aime bien l’idée qu’il soit observateur et silencieux, au milieu de choses insolites qu’il ne maîtrise pas. Au fil des récits et de mes dessins, je trouve que son attitude change, il devient plus ouvert, il a des humeurs, il s’énerve, rit, il exprime plus ses émotions. En relisant le texte de Francesco, beaucoup de choses étaient plus expressives, l’attitude de parents, leur conversations, l’ombre de petit garçon qui danse dans la nuit, mais peut-être que j’ai choisi de laisser cette vivacité dans le texte, et moi, je me suis concentré sur un petit garçon introverti, et sur les objets et les espaces qui l’entourent.


©Petit Garçon, Catherine Chardonnay


DU SOUFFLE POÉTIQUE
J’ai l’impression que ce sont des histoires racontées assez naturellement à un petit garçon. Francesco qui raconte, rajoute et rajoute des détails comme ils viennent, comme s’il était en train de jouer à raconter. Et il y a des phrases comme par exemple à propos de Bouh « alors le petit garçon lui donnait encore plus de boulettes de pâte à modeler » qui me plaisent beaucoup, parce qu’elles pourraient très bien ne pas être là, mais elles sont en fait vraiment absurdes et poétiques, et on aime avoir cette précision. La curiosité poétique et poétique curieuse que vous évoquez, je ne sais pas si je différencie bien, ce sont des textes qui ne se livrent pas à la première lecture, ils gardent des secrets, que l’on découvrira à la 25e lecture, certaines choses ne sont pas faciles à comprendre. Il y a des symboliques, la liberté, la parenté, la maturité, que je n’ai peut-être pas toujours compris car je suis assez lente et puis il y a des souffles, des effleurements, des odeurs, des êtres qui s’attirent, comme l’histoire avec le bout de tissu. Et j’aime bien cette poésie du minuscule et du sensible.


©Petit Garçon, Catherine Chardonnay


MINI-MONDE À MULTIPLES BORDS
C’est assez étrange que je me sois lancée dans des perspectives, je crois que ça vient des croquis à la tablette. C’est surtout dans le chapitre La mouche et Le bout de tissu noir que j’en ai dessinées, je n’étais pas sûr de moi du tout et finalement ce sont peut-être mes images préférées. Parce qu’elles ne sont pas parfaites, mais en même temps, elles représentent un espace confiné, et doux, avec des matières, avec des raccords de tapisserie ratés, avec des espaces laissés blancs qui se devinent grâce aux espaces colorés. Ce n’est pas un nouveau rapport au monde, c’est le monde dans lequel j’ai placé Petit Garçon, un monde dans lequel il est assez seul, fils unique, un monde plutôt confortable, mais sans surconsommation, une maison que des parents avec un tout petit peu de moyen ont pu aménagé confortablement, peut-être dans les années 70, un monde dans lequel il y a loisir de s’ennuyer. Pour les détails, c’est un peu comme un jeu, comme si je jouais avec mes propres jouets, j’aime bien ces mini-mondes que les enfants se créent avec les moyens du bord, donc il y a des disproportions vraiment rigolotes, une minuscule maison et un immense perroquet …


©Petit Garçon, Catherine Chardonnay



RENCONTRES AUTOUR DE QUELQUES ILLUSTRATIONS

La mouche ©Petit Garçon, Catherine Chardonnay
J’avais composé cette image à l’envers d’abord dans les premiers croquis et je l’ai retournée, trouvant que ce n’était pas lisible. Et c’est vous Chloé qui m’avez proposé de la mettre à l’envers. J’ai beaucoup simplifié mon croquis et crée plus de perspective pour que l’espace de la chambre soit lisible.

Le bout de tissu noir ©Petit Garçon, Catherine Chardonnay
Sur cette image, le petit garçon rentre de sa journée avec le bout de tissu. Cette barricade me fait penser à Tom Sawyer.

Il était une fois ©Petit Garçon, Catherine Chardonnay

J’aime beaucoup le personnage de Bouh, très gourmand. Sur cette image, j’ai eu plaisir à représenter son dos, bien en chair, l’ondulation de sa colonne, et les ombres qui épousent ses formes.

La dent ©Petit Garçon, Catherine Chardonnay
Toute la petite installation de jouets m’évoque des moments avec mon petit frère, où nous jouions avec des figurines de cow-boys et d’indiens. J’adorais installer les tentes et les maisons.

La dent ©Petit Garçon, Catherine Chardonnay
A cette étape du travail, je retrouve un système que j’aime bien, où je représente différents états d’un personnage; j’aime le mouvement, l’énervement, l’expression du corps. Je l’ai aussi simplifié par rapport aux croquis où il y avait cinq postures différentes, ici il n’y en a que trois.