AGNÈS DEBACKER, AVOIR UNE AVENTURE
Le début d’une histoire ou comment Agnès Debacker fait battre
les cœurs de tous pays dans une petite cuisine : rencontre autour de L’arrêt du cœur ou comment Simon découvrit
l’amour dans une cuisine (Première partie)
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POINT
DE DÉPART, POINT FINAL
Le point de départ de cette histoire est : la mort.
Pardon pour cette réponse un peu brute de décoffrage mais c’est la réalité. Je
suis obsédée par elle. Je la vois rôder partout, tout le temps. Je la vois
emmener les gens autour de moi. C’est une compagne un peu pénible et
encombrante. Je l’occupe en l’infiltrant dans mes histoires.
« C’est comme ça, c’est la vie, elle
était vieille, son coeur a lâché, ce sont des choses qui arrivent, elle n’a pas
souffert, elle a eu une belle mort… » Ouais, c’est ça une belle mort, tu
parles ! Moi, je suis sûr qu’elle aurait bien aimé pouvoir s’enfiler encore
une bonne centaine de tartines à la confiture de framboises.
SIMON VOISIN, SIMONE VOISINE
Je vais démarrer par un
aveu. Ces deux prénoms similaires ne sont pas du tout volontaires. Je les ai
lus comme tels suite au premier message reçu de la part de mon éditrice. Ils
étaient accolés dans son message, chose qu’ils ne sont jamais dans le texte.
Sur le coup, cela m’a un peu ennuyé. Il y avait une sorte d’effet de style qui
n’est pas mon style justement. À vrai dire, je ne sais pas trop pourquoi je
n’ai pas modifié le prénom de l’un ou de l’autre. C’est comme s’il était trop
tard, comme si ces deux protagonistes existaient avec ces prénoms et qu’il ne
m’appartenait plus de les changer… On est loin d’avoir tous les pouvoirs quand
on écrit.
Pour l’anecdote, j’ai
vécu le même genre de péripétie avec mon premier roman Ma chère Alice. J’ai confondu une chenille avec une limace…
Simon est un jeune
garçon d’une dizaine d’années. Il sort doucement de l’enfance. Ce moment de la
vie où les adultes sont des personnes importantes, essentielles. Des humains
auxquels on s’accroche de peur de perdre pied. Tour à tour, dans le meilleur des
cas, ils sont une projection, une assurance, un réconfort. C’est ce qu’est
Simone pour lui. (Les autres adultes aussi d’ailleurs, à des degrés différents.
Les adultes sont plutôt sympas dans cette histoire…)
Sa vision du monde
commence doucement à changer. Les adultes descendent un peu de leur piédestal
et d’autres figures et centres d’intérêt nouveaux apparaissent. Des lieux, des
espaces où l’adulte n’a plus tellement sa place (l’adolescence en somme).
Simone est une vieille
dame extravagante et débonnaire. Ce personnage représente pour moi la mamie
idéale. Celle que j’aurais adoré avoir. Elle a de l’humour, elle est cultivée,
elle sait écouter, elle n’est ni hautaine ni désabusée, elle aime la vie et
surtout, elle est libre. Libre autant que la chaîne, dont elle connaît la
longueur, le lui permet. (C’est une phrase de Cavanna : « La liberté,
c’est connaître la longueur de la chaine »).
Simone est la nounou
occasionnelle de Simon (un peu moins aujourd’hui, Simon n’est plus un petit
enfant). Ce qui les relie ensuite, eh bien c’est l’amour ! Ils s’aiment
beaucoup ces deux-là. D’un amour sincère, simple, émouvant et touchant. Le
contraire d’un amour filial ne tenant que sur un lien du sang sans consistance
et sans saveur.
Je
me rends compte à quel point c’est horrible d’être là sans Simone, sans
l’entendre, sans la voir. Je réalise, planté là dans son salon et entouré de
ses objets, que plus jamais nous ne cuirons ensemble des gâteaux au gingembre
et aux fruits confits immangeables, que plus jamais on n’explosera de rire avec
sa bougie qui pète quand on souffle dessus, qu’on ne dansera plus jamais le
tango en écoutant un disque d’Astor Piazzolla, dit « Hector la
Pizza », qu’on ne jouera plus ensemble à la bataille pendant des lustres,
que plus jamais je ne pourrai tripoter la peau douce et flétrie qui
pendouillait de ses gros bras.
UNE THÉIÈRE AVEC DES PATTES DE CHAT
Cette théière représente un pacte avec ce qui nous reste de l’enfance et ses croyances fantasmagoriques et chimériques. Elles existent et elles n’existent pas. Les enfants aiment y croire, mais ils ne sont ni dupes ni idiots. C’est le principe du jeu. Il nous construit, nous donne une place dans le réel en s’appuyant sur l’imagination. Cette théière est donc à mi-chemin entre le réel et l’imaginaire, c’est le symbolique en quelque sorte, l’objet qui nous permet d’approcher le réel, sa beauté et sa cruauté, en douceur, à pas de chat pour ne pas se cramer d’emblée…
Cette théière représente un pacte avec ce qui nous reste de l’enfance et ses croyances fantasmagoriques et chimériques. Elles existent et elles n’existent pas. Les enfants aiment y croire, mais ils ne sont ni dupes ni idiots. C’est le principe du jeu. Il nous construit, nous donne une place dans le réel en s’appuyant sur l’imagination. Cette théière est donc à mi-chemin entre le réel et l’imaginaire, c’est le symbolique en quelque sorte, l’objet qui nous permet d’approcher le réel, sa beauté et sa cruauté, en douceur, à pas de chat pour ne pas se cramer d’emblée…
Je me souviens de nos petites cérémonies. Simone n’était
jamais aussi sérieuse que lorsqu’elle déposait son billet au fond de la
théière. Ensuite, elle tassait les petits papiers blancs « pour qu’il y
ait toujours de la place », disait-elle. Et pour finir, avec une grande
délicatesse, qui ne lui ressemblait pas vraiment, elle reposait le couvercle.
Le petit tintement dû à l’entrechoc résonne encore dans mes oreilles. J’aimais
beaucoup ce bruit. Il signait la fin de la cérémonie et l’étendue des
possibles : nos souhaits étaient à présent entre de bonnes mains, ne
restait plus qu’à attendre qu’ils se réalisent.
AMOURS AU PLURIEL ROMANESQUE
Mon sentiment est que
vivre ensemble est une illusion. Surtout depuis qu’on en fait un slogan à tout
va. On vit les uns à côté des autres davantage qu’avec. On se regarde plus
souvent en chien de faïence qu’avec un regard enamouré. On vit en vase clos,
avec les gens qui nous ressemblent. La rencontre avec l’autre, celui qui semble
éloigné de nous, de nos coutumes, de nos valeurs, de nos caractéristiques
physiques est une exception. Et je suis complètement dans ce schéma. Il me
suffit de regarder les gens qui m’entourent, ceux que j’aime… Je ne lutte pas
contre cela, je le constate, mais je profite des histoires pour inventer un
monde où des gens soi-disant dissemblables pourraient se connaître et s’aimer.
Je profite des histoires pour oser faire ce que je ne fais pas dans la vie. Je
profite des histoires pour être aimable, tolérante et curieuse de l’autre.
Mais il y a l’odeur. Y songer me donne du courage. Cette chère
odeur de chez Simone. Je vais humer l’air à m’en étourdir et ainsi la graver à
tout jamais dans ma mémoire. Les jours de tristesse, je l’appellerai à la rescousse
et elle calmera ma peine. Non, la mort n’est pas la seule à rôder dans cet
appartement.
L’arrêt
du cœur ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine
Agnès
Debacker
Illustrations
d’Anaïs Brunet
Polynie
En
librairie le 21 février