EN
TOUTES DIMENSIONS AVEC ANAÏS BRUNET
Rencontre
autour de l’espace en scénographie et architecture textuelle, de révélations au
bord d’un fleuve intranquille, de cœurs qui battent et de matière signifiante,
de lectures, de verre partagé et de rêve en pleine face, de temps exceptionnels, des chemins de traverse d'Agnès Debacker. Coeur, papier épais, sang d’encre
©Anaïs
Brunet
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PREMIERS
MOMENTS DE PURE JOIE
J'ai découvert
le bonheur de la pratique artistique vers l'âge de dix ans. Ma mère m'avait
inscrite dans un atelier pour enfants où j'expérimentais plein de techniques
comme le modelage de la terre ou la peinture sur soie. Il y avait surtout une
vraie ambiance d'atelier, où l'on pouvait aller vers ce qui nous plaisait
librement. On faisait parfois des pauses où l'on discutait de notre travail
autour d'un verre de coca : des moments de joie pure, comme hors du temps.
Pour moi, c'est longtemps resté inconcevable que l'on puisse faire ça à plein
temps : il fallait que la création soit un moment d'exception, comme
arraché à un quotidien ordinaire.
Pour mes études,
j'ai cru bon de chercher un compromis entre mon attrait pour l'art et le souci
de trouver un « vrai » métier. J'ai donc décroché mon diplôme
d'architecte en me spécialisant dans la scénographie. Mais le métier
d'architecte me paraissait trop éloigné de mes envies. J'ai alors passé l'agrégation
d'arts plastiques pour pouvoir enseigner et avoir une pratique artistique
complètement libre à côté. Je me suis formée trois ans à la gravure sur métal,
ce qui m'a permis de goûter à nouveau aux délices du travail collectif en
atelier et de revenir à une pratique plus libre après les sujets imposés des
études et du concours.
Enfin, à trente
ans, je me suis autorisée à regarder mon rêve de toujours en face et j'ai écrit
et dessiné mon premier album jeunesse. J'ai de nombreuses petites marottes et
je rêve de consacrer un travail approfondi à chacune d'entre elles. En ce
moment, j'ai décidé de consacrer un album au Moyen-Âge, l'une de mes périodes
préférées en histoire de l'art. J'ai aussi envie de dessiner des plans de
villes pour les enfants.
LE
GRAND SABLIER : CRÉATION ET PRATIQUE
L'enseignement
m'apporte une stabilité par opposition aux tourments de la création. Écrire des
livres n'est pas un long fleuve tranquille ! On traverse des moments de
doute ou de découragement. Dans ces cas-là, je suis heureuse de papoter avec
mes collègues à la cantine ou de m'émerveiller de la vitalité de mes élèves.
Face à une classe, je suis obligée de dégager une aura de sérénité et
d'assurance et cette attitude me calme.
D'autre part,
enseigner me permet de gagner ma vie. Mon travail d'auteur est à l'abri des
contraintes financières, je suis donc totalement libre de n'accepter que les
projets qui m'enthousiasment complètement.
Enfin, le temps
passé avec mes élèves crée un manque. Je fais tout pour les stimuler, les enthousiasmer,
les pousser à pratiquer dans la joie. Et par ricochet, ils me donnent envie de
foncer chez moi pour me remettre au travail !
©Anaïs Brunet |
LA
CHANCE DE L’IMPRÉVU OU LA CERISE SUR LE GÂTEAU
Je dirais que
80% de mon travail se fait loin de la table à dessin. Mes projets mûrissent
lentement dans mon esprit, et c'est quand j'ai une idée assez claire de là où
je veux aller que je commence à écrire ou à peindre. En cela, les études
d'architecture ont été une bonne formation. Quand un architecte se voit confier
un projet, il sait qu'il va peut-être se passer des années avant que le
bâtiment ne soit terminé. C'est une école de la patience et de la confiance. On
résout les problèmes un par un, on s'adapte à l'imprévu, on l'accueille même
comme une chance. On avance sur un chemin que l'on découvre peu à peu, sans
même réellement savoir ce que l'on trouvera à l'arrivée. J'ai donc appris à ne
plus craindre la feuille blanche ou le manque d'inspiration. Si je n'ai pas
encore trouvé la réponse à la question que je me pose, c'est que je ne suis pas
encore prête et dans ce cas, je vais me promener dans Paris, voir une expo ou
nager. Et tout finit toujours par se débloquer.
Pour le dessin,
je travaille chez moi. J'écoute France Musique ou des interviews de personnes
qui m'inspirent. J'aime la minutie, j'utilise donc toujours des outils neufs ou
presque sur une table impeccable. Peindre des détails, pour moi, c'est comme
déposer une cerise sur un gâteau. C'est la récompense pour tout le travail que
j'ai accompli en amont : trouver les idées, gribouiller des esquisses,
donner des cours pour gagner ma vie. Une phase de préparation parfois ingrate
qui trouve sa réalisation quand je peux développer une histoire dans les
moindres détails sur une feuille de papier épais.
©Anaïs Brunet |
RÊVES
DE JEUNESSE
J'ai dû
ressentir des émotions très fortes en lisant étant petite. Ma mère et ma
grand-mère maternelle sont de très grandes lectrices, on doit avoir ça dans le
sang. J'ai été élevée avec la phrase de Montesquieu : « Je n’ai
jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ». Je crois que
je l'ai prise au pied de la lettre, car je crois de toutes mes forces aux
vertus curatives de la lecture. Après, pourquoi le dessin ? Je n'en sais
rien. Je sais simplement que j'ai toujours dépensé tout mon argent dans les
magasins de beaux-arts ou les sorties au musée, et qu'aujourd'hui je ne peux
pas passer devant une librairie sans aller jeter un coup d'œil au rayon
jeunesse. C'est mon médium, je suis heureuse de l'avoir enfin trouvé après des
années de recherche (alors qu'au fond de moi je sais qu'il était là depuis
toujours). Les histoires d'artistes qui rencontrent un jour la discipline qui
va leur permettre de se révéler me fascinent. Je pourrais écouter des heures
Thierry Marx raconter comment la découverte de la cuisine l'a sauvé, ou Marie
Desplechin narrer la vie de la Comtesse de Ségur qui a écrit son premier roman
passé cinquante ans. Et j'ai remarqué que ces artistes ne peuvent que constater
le mystère qui les unit à leur passion sans avoir totalement envie de le
percer.
©Anaïs Brunet |
SCÉNOGRAPHIE
DU DÉTAIL ET DE L’ÉCART
Je vois la
feuille blanche comme un espace en trois dimensions à investir, un terrain à
bâtir, une pièce nue à meubler. Pour moi il n'y a aucune différence entre
l'architecture et la scénographie : il s'agit de concevoir un espace dans
lequel des gens vont pouvoir évoluer. Donc quand je veux mettre en images une
histoire, je me demande quel sera le décor idéal. Une petite pièce
sombre ? Une clairière dans une forêt ? Une terrasse ou un terrain
vague ? J'ai un plaisir immense à entrer dans les détails en choisissant
la variété des arbres que je plante dans le décor ou le motif du papier peint
dont j'enduis un mur pour rendre au mieux une ambiance.
La scénographie
et l'illustration ont d'autres points communs comme la question de l'écart avec
le texte (qu'est-ce que l'image va apporter de plus que le texte qu'elle sert?)
ou celle du cadre et du hors-champ (pourquoi est-ce que je montre certaines
choses au lecteur quand je lui en cache d'autres? Puis-je jouer avec lui et le
pousser à imaginer ce qui se passe en dehors du cadre?).
©Anaïs Brunet |
L’ARRÊT
DU CŒUR : PREMIÈRE LECTURE
Cela a été
merveilleux de découvrir le texte d'Agnès Debacker. Tout y est
impressionnant : le choix de sujets difficiles pris à bras-le-corps, le
ton direct et si juste du narrateur, la délicatesse et la pudeur dans la
description des émotions, l'humour et le suspense.
Ce qui me touche
particulièrement, c'est qu'une grande partie du roman se déroule dans
l'imaginaire de Simon. Sa grande amie Simone est décédée brutalement, et il ne
sait plus vers où se tourner pour continuer à vivre avec elle. Son premier
réflexe est de mener une enquête minutieuse en s'appuyant scrupuleusement sur
les faits établis. Mais il comprend rapidement que cette démarche le conduit à
une impasse. Pour connaître le présent, l'avenir et le passé de Simone, il
faudra qu'il accepte de lâcher ses certitudes et qu'il se hasarde sur des
chemins de traverse. La magie contenue dans une théière, la mémoire fluctuante
des différents témoins de la vie de Simone, l'amour sans faille qu'il lui porte
vont l'aider à trouver sa vérité.
COULEURS
D’UN TEXTE ÉTOILÉ
Ma première
préoccupation fut de trouver, littéralement, une couleur pour ce roman. Le
thème de la mort pouvant être effrayant, pas question d'en rajouter en allant
vers des gris ou des rouges. J'ai choisi une gamme de pastels pour la douceur,
de l'ocre et de la terracotta pour la chaleur, un peu de bleu marine et
de noir pour apporter du contraste.
Ensuite, je voulais
un parti pris graphique fort qui serve de fil conducteur. J'ai choisi de
décliner sous de nombreuses formes le motif du terrazzo. Cette technique
de construction qui consiste à couler dans du béton des fragments de marbre
avant de polir le tout a connu un âge d'or dans les années 50 à 60,
c’est-à-dire au moment de la jeunesse de Simone. Je vois tout à fait son charme
désuet emplir l'appartement de la vieille dame. Actuellement, ce motif revient
en grâce et j'ai très envie de l'utiliser. Enfin, il faut dire que c'est un
matériau mystérieux qui peut révéler des surprises. On peut marcher dessus sans
y prendre garde, mais on peut aussi l'observer de près et y découvrir la grande
variété des petites pépites qui s'y logent. Vu de loin, il prend l'aspect d'un ciel
étoilé et invite à la méditation. Il a donc bien des qualités pour accompagner
l'histoire de Simon et Simone.
©Anaïs Brunet |
L’arrêt
du cœur ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine
Agnès
Debacker
Illustrations
d’Anaïs Brunet
Polynie
En
librairie le 21 février